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homme à s'arrêter là; il fallait saisir les mouches qui pondaient : à force 161 d'assiduité et de persévérance, on réussit enfin à en saisir une, et il se trouva que c'était une des six qu'on étudiait, une de celles dont le corselet avait été peint de rouge.

«J'ai répété si souvent cette expérience, dit Huber, et j'en ai pesé «toutes les circonstances avec tant de soin, que je suis parvenu à faire "naître des abeilles ouvrières fécondes dans mes ruches, toutes les fois «que je le veux 1. »

Les abeilles ouvrières sont donc des femelles; ces femelles sont quelquefois fécondes; et, chose singulière, elles ne pondent jamais que des œufs de mâles, des œufs de faux-bourdons.

Les reines abeilles, au contraire, produisent des œufs des deux sortes, de mâles et de femelles; mais, pour cela, il faut qu'elles soient fécondées dans les seize premiers jours après leur naissance; car, si l'accouplement est retardé au delà du vingtième jour, il n'opère plus qu'une demifécondité, et la reine ne pond plus que des œufs mâles.

Mais passons à quelque chose de plus difficile encore. Venons enfin à cet accouplement, qui avait échappé jusque-là aux yeux les plus perçants et les plus habiles.

Huber prend des reines dont il a suivi toute l'histoire depuis leur naissance (précaution essentielle que n'avait point eue Schirach), et que, par conséquent, il sait être décidément vierges. Il les met dans des ruches d'où il a exclu tous les mâles qui s'y trouvaient, et qui ont été disposées de façon que nul mâle nouveau n'y pût entrer. Toutes ces reines prisonnières, restées sans mâles, restent stériles. L'accouplement, la fécondation des reines est donc nécessaire.

Huber ne s'en tient pas à cette expérience; il en fait une seconde, et qui sera comme la contre-épreuve de la première. Il met des reines vierges dans des ruches remplies de mâles. Le tout est rigoureusement tenu prisonnier, et toutes les reines restent encore stériles.

Des reines décidément vierges, des reines surveillées et suivies dès leur naissance, restent donc stériles, soit qu'on les isole des mâles, soit que, pour parler comme Huber, on les place au milieu d'un sérail de mâles. Évidemment, ou l'accouplement ne se fait point, ou il se fait hors des ruches.

C'est ce qu'une expérience allait décider.

On était dans le mois de juin. Huber savait que, pendant la belle saison, les mâles sortent ordinairement des ruches à l'heure la plus

1 Nouvelles observations sur les abeilles, t. I,

p. 166.

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chaude du jour. Si donc, se dit-il, les reines sont obligées de sortir aussi pour être fécondées, elles choisiront probablement le temps même de la sortie des mâles.

C'est ce qui ne manqua pas d'arriver. Sous la direction d'Huber, les yeux qu'on lui prête se fixent sur une ruche où se trouvait une jeune reine inféconde; il était onze heures du matin; bientôt les mâles sortent, et peu après la reine les suit et prend son vol. Lorsqu'elle revint, elle était fécondée, et portait avec elle les signes les moins équivoques d'un accouplement; les parties mâles d'un faux-bourdon étaient restées dans son sein. Deux jours après elle commença à pondre.

On sent maintenant toute l'importance de ce point qu'avaient négligé Schirach et les imitateurs de Schirach. Il n'avait pas tenu prisonnières ses reines depuis leur naissance jusqu'à leur première sortie; elles avaient donc pu sortir; elles étaient sorties; et, ne fût-ce qu'un moment, elles étaient revenues fécondées.

Les reines abeilles ne sont donc point fécondes par elles-mêmes; elles ne le deviennent que par accouplement, par fécondation, et l'accouplement ne s'opère que hors de la ruche, que dans les airs.

Mais quelle est la vertu, quelle est la durée, et, si je puis ainsi dire, quelle est la portée prolifique de cet accouplement? Huber s'est assuré qu'un seul accouplement suffit pour féconder tous les œufs qu'une reine abeille doit pondre pendant deux ans. «J'ai même lieu «de croire, ajoute-t-il, que ce seul acte suffit à la fécondation de tous « les œufs qu'elle pondra pendant sa vie, mais je n'ai de preuve sûre « que pour le terme de deux ans 1. »

Ce nouveau et grand fait, à demi entrevu par Réaumur, imparfaitement compris par Schirach, rapproche les abeilles des pucerons.

On se rappelle la belle observation de Bonnet sur les pucerons. Bonnet a vu que les femelles des pucerons peuvent donner jusqu'à neuf générations successives sans fécondation. Des observateurs récents ont vu ces générations sans fécondation aller jusqu'à dix, jusqu'à onze; ils les ont même vues se répéter et se prolonger pendant trois et quatre ans de suite, par la seule précaution de placer les insectes dans des lieux maintenus à une température douce et constante.

Tous les individus ainsi produits sans fécondation sont des femelles. Cependant il arrive un moment où des mâles sont enfin produits; la dernière génération de l'année, la génération automnale, donne des måles et des femelles.

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Ces mâles et ces femelles se recherchent, s'unissent, et, cette fois-ci, ce sont des œufs que pond la femelle. De vivipare qu'elle était, tant que le mâle n'intervenait point, elle est devenue ovipare. Puis l'hiver passe, le printemps revient, les œufs éclosent, et les jeunes femelles recommencent leurs générations sans fécondation.

Je reviens à Huber. Sa belle découverte sur l'origine de la cire, qui ne provient pas du pollen des fleurs élaboré par l'estomac des abeilles, comme le croyait Réaumur, mais d'une sécrétion glanduleuse, qui s'opère sous les anneaux inférieurs du ventre; ses observations, si nettes et si précises, sur la mise en œuvre de cette cire dans ce qu'il appelle l'architecture des abeilles; sa distinction si neuve et si importante des abeilles cirières ou qui n'ont d'autre fonction que de produire la cire, et des abeilles nourrices, ou qui n'ont d'autre fonction que de nourrir les larves, etc. tout cela demande un nouvel article.

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L'objet que je me suis proposé, dans celui-ci, a été de montrer, par un exemple digne de plus d'attention qu'il n'en a obtenu, tout ce que peut la méthode expérimentale dans nos études d'histoire naturelle, même les plus délicates et les plus fines, dans nos études sur les instincts.

Je continuerai, dans quelques autres articles, cette revue des Mémoires de Réaumur, en complétant toujours ce qu'il a vu par ce qui a été vu par ses successeurs. On n'est pas juste envers un homme supérieur, lorsqu'on se borne à lui faire honneur de ses propres travaux; il faut lui faire un second honneur de tous les travaux qu'il a provoqués, non d'une manière indirecte, mais directement, c'est-à-dire par ce qu'il y a de plus efficace et de plus communicatif dans le génie d'un homme, par sa méthode.

FLOURENS.

(La suite à un prochain cahier.)

HISTOIRE DE MADAME DE MAINTENON ET DES PRINCIPAUX ÉVÉNÉments du règne de Louis XIV, par M. le duc de Noailles. Paris, Comptoir des imprimeurs-unis, 4 vol. in-8°, 1848-1858.

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TROISIÈME ARTICLE1.

Deux mois ne s'étaient pas encore écoulés depuis la publication de l'édit de révocation, que, parmi les hommes placés de manière à voir les choses de près, il s'en trouva qui comprirent les dangers de cette espèce de coup d'État. Dans une lettre de La Reynie au président de Harlay, nous lisons : « C'est précisément, Monsieur, tout ce qu'on doit craindre qui arrive, et ce qui a grand besoin de vostre authorité et de vostre <«<sage conduite. Il n'y a rien que les gens de la religion craignent davan<«<tage que de tomber entre les mains de ces indiscrets zélés, et plusieurs «d'entre eux refusent de se faire catholiques pour n'estre pas livrés aux <«< dévots et aux pasteurs de ce caractère d'esprit. Je suis persuadé que, << s'il vous plaist de faire sentir combien vous improuvés une telle con«duite, l'effet en sera grand, et je ne le crois pas moins nécessaire; car << le bon curé n'est pas le seul qui a de bonnes et pieuses intentions pour «jeter tout par les fenestres 2.»

Louis XIV ne pouvait manquer de connaître et de partager les préoccupations qui inquiétaient un petit nombre d'hommes éclairés, parmi ceux qui l'entouraient. Nous ne trouvons néanmoins, durant la première année, aucun acte qui révèle le dessein de retourner en arrière. Et pourtant le mal que devait faire à la France l'exil volontaire ou forcé d'une partie notable de sa population la plus industrieuse frappait déjà tout le monde, et nous avons maintes dépêches de Seignelay pleines de recommandations pour retenir ou rappeler les fugitifs.

M. de Noailles le reconnaît lui-même, et, parmi les documents que renferment à ce sujet les archives des Affaires étrangères, une lettre de M. de Bonrepaus3, ambassadeur en Angleterre, prouve quelles étaient déjà les préoccupations du gouvernement pour faire rentrer en France tout ce qu'on pouvait gagner des ouvriers qu'on avait contraints d'en sortir ".

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1

Voyez, pour le premier article, le Journal des Savants, cahier d'août 1860; et, pour le deuxième article, le cahier de février 1861. Bibl. impériale, Papiers de Harlay. Impr. dans la Correspond. de Louis XIV, tome IV, p. 385. — Du 5 mai 1686. Cette nécessité de faire rentrer les protestants expulsés

J'ignore l'impression que recurent de tels faits les contemporains qui savaient se souvenir et réfléchir; mais, pour l'historien dont le devoir est de noter, de résumer les événements, d'en suivre la marche et de les comparer, il y a là l'occasion d'un triste rapprochement. Dans les premières années du règne de Louis XIV, lorsqu'il suivait les conseils de Colbert, cet habile ministre rédigeait une instruction pour les commissaires envoyés dans les provinces, à l'effet d'examiner et de préparer tout ce qui pouvait contribuer à la prospérité du royaume. On recommandait aux commissaires de s'appliquer spécialement à la question des manufactures, «< non-seulement pour rétablir toutes celles qui sont per« dues, mais pour en établir de nouvelles, et, comme S. M. a cette ma«tière fort à cœur, au cas que les commissaires trouvent des villes bien <«< intentionnées pour faire ces rétablissements, et qu'elles manquent de « moyens, non-seulement S. M. leur donnera sa protection, mais même, « à proportion du dessein qui sera proposé, S. M. les assistera volontiers « de quelques sommes pour les rétablissements, et même de quelque << revenu annuel pour l'entretenement et l'augmentation des manufac

«<tures 1. >>

N'est-ce pas un affligeant spectacle de voir, à vingt ans de là, ce grand roi, après avoir lui-même détruit son ouvrage, s'efforcer péniblement de le recommencer, sans aucun espoir de regagner la prospérité perdue?

Deux mois avaient suffi pour montrer que la révocation atteignait la fortune du pays dans ses sources les plus vives; et, en moins d'une année, tous les résultats se révélèrent tristement aux yeux de Louis XIV. fut, pour Louis XIV, l'objet d'une constante sollicitude. Le 25 février 1699, Pontchartrain envoie encore à d'Aguesseau un mémoire donné au roi par l'abbé de Camps, sur les vues qu'il auroit de faire revenir en France les protestans, gens de distinction et de mérite qui en sont sortis à cause de la religion.» (Depping, P. 459.) Et, l'année suivante, un certain nombre de François protestants revenant de Brandebourg et autres lieux de l'empire, où ils avaient fait des établissements, annonçant la résolution de revenir en France, Pontchartrain écrit à M. de Bonnac : S. M. m'a commandé de vous dire qu'il seroit très-important pour le bien du royaume qu'en suivant ce mouvement de quelques particuliers vous taschassiez de le pousser plus loin, et d'engager les François establis dans les endroits à portée desquels vous êtes, surtout ceux qui sont à la tête des manufactures, et qui employent les ouvriers, à prendre le même party, et à y revenir. Mais, s'il y avoit d'autres moyens praticables pour les y exciter, je les proposeray volontiers au roy lorsque vous me les aurez suggérés.» (Bibl. imp. regist. de dépêches; impr. dans la Corresp. de Louis XIV, t. IV, p. 497.) Cela était écrit quatorze ou quinze ans après l'édit de révocation; on trouve des exemples pareils à toutes les dates. — Memoire conservé dans les papiers de Conrart, bibl. de l'Arsenal, t. XII, in-fol. Il a été imprimé dans l'appendice de l'excellent travail de M. Chéruel: Histoire de l'Administration monarchique en France, depuis Philippe-Auguste jusqu'à la mort de Louis XIV.

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