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d'après les maximes émises et avec les paroles employées par son fondateur. Elle amena de grands conflits.

Ces conflits entre le pouvoir impérial, deux fois rétabli par les papes en faveur de Charlemagne et d'Othon le Grand, et constamment consacré par eux, et le pouvoir pontifical confirmé par les empereurs, étaient, pour ainsi dire, inévitables. Ils devaient se produire sur divers points et par suite de prétentions tout à fait contraires. Il était naturel que le premier conflit éclatât au sujet de l'Église. L'empereur qui avait

constitué la domination territoriale du sacerdoce chrétien et lui avait donné ses attributions féodales, avait étendu son action sur lui, tandis que le pape en réclamait la suprême direction comme l'évêque des évêques et le représentant du chef de l'apostolat. De là vint la longue lutte connue sous le nom de guerre des investitures. Le second conflit eut surtout pour cause et pour objet la domination de l'Italie. L'empereur aspira à la posséder et à y commander à l'instar de ses plus anciens prédécesseurs, qui en avaient été les maîtres incontestés, tandis que le pape empêcha que l'empereur n'y étendît et n'y consolidât une puissance sous laquelle il aurait été assujetti lui-même comme prince territorial, et qui l'aurait gêné dans l'exercice de ses fonctions religieuses comme souverain pontife. Aussi l'un travailla à s'emparer de la Péninsule italienne, l'autre s'efforça de la défendre; le premier visa à la soumettre, le second concourut à la rendre indépendante. Cette lutte, qui recommença plusieurs fois et sous diverses formes, fut la plus longue et la plus terrible. Elle eut lieu surtout dans le xıro et le x° siècle, entre les papes et les princes de la maison de Souabe.

Le désaccord du pouvoir religieux et du pouvoir impérial aurait éclaté plus tôt avec toute sa force sans la grande décomposition dans laquelle ces deux pouvoirs furent enveloppés l'un et l'autre, lorsque l'empire carlovingien tomba en pièces, et que le régime féodal atteignit l'Église comme tout le reste et la bouleversa. Il se manifesta dès le Ix siècle. A cette époque le clergé exerça une sorte de suprématie. Le corps des évêques disposa de la souveraineté sous les Carlovingiens, et le pontife romain, qui donnait l'empire, prétendait déjà à la supériorité sur l'empereur. En 833, ce fut une assemblée d'évêques qui imposa une pénitence publique au fils même de Charlemagne, à Louis le Débonnaire et, le dépouillant du baudrier militaire pour l'enfermer dans un monastère, entendit le rendre par là incapable de remonter sur le trône et de commander1. Ce fut une assemblée d'évêques qui, en 842,

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Opus Thegani, De gestis Ludovici Pii imperatoris, p. 82, et Vita Ludov. Pë

déposa Lothaire et investit de ses États ses deux frères Charles et Louis'. Ce fut une assemblée d'évêques qui, en 869, réunie à Metz, décerna à Charles le Chauve le royaume de son neveu Lothaire, royaume que Charles le Chauve partagea l'année suivante, du gré des évêques, avec son frère Louis le Germanique. Ce fut une assemblée d'évêques qui, en 857, déposséda à son tour Charles le Chauve, lequel ne craignit pas de déclarer, deux ans après, que les évêques avaient le droit de le déposer, se bornant à protester contre la manière dont ils avaient exercé ce droit, parce qu'ils l'avaient jugé sans l'entendre, et qu'ils auraient dû l'entendre avant de prononcer sur lui 2. Les évêques n'ôtaient pas seulement les couronnes, n'autorisaient pas seulement le partage des États; ils créaient des royaumes et faisaient des rois. Les évêques de la Gaule orientale, depuis le Valais jusqu'à la Méditerranée, réunis en synode au nombre de vingt-trois, à Mantaille non loin de Vienne, fondèrent, en 879, le royaume d'Arles et le donnèrent à Boson 3. Les évêques lombards, assemblés en 889 à Pavie, disposèrent du royaume d'Italie en faveur de Guy de Spolète, et firent passer la coude la tête d'un prince carlovingien, sur celle d'un duc du pays. Représentants principaux des peuples, dont ils étaient les élus, les évêques érigeaient des États et distribuaient des trônes surtout au nom de l'autorité religieuse, qui était la plus respectée et la mieux obéie.

En même temps que les évêques renversaient des rois et en faisaient, les papes, chefs de l'épiscopat, et maîtres de la ville où avaient siégé les apôtres et régné les empereurs, décernaient l'empire et commençaient à proclamer la suprématie du pontificat. Déjà, en 834, Grégoire IV avait dit à des évêques des Gaules: «Sachez que l'autorité du «pontife passe avant toutes les autres, et que le gouvernement des âmes «l'emporte sur le pouvoir impérial, qui n'est que temporel *. » Le pape Nicolas Ier s'était fait l'arbitre des rois, et il avait excommunié Lothaire, roi de Lorraine, petit-fils de Louis le Débonnaire. Le pape Jean VIII,

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imper. p. 114 du t. VI du Recueil des historiens de France. 'Nithard, lib. IV, p. 28-29 du t. VII du Recueil des hist. de France. qua consecratione vel regni sublimitate, supplantari vel projici a nullo debueram, saltem sine audientia et judicio episcoporum, quorum ministerio in regem sum consecratus, etc. » Libellus proclamationis Caroli regis, apud Labbe, t. VIII, p. 679. 3 Voir l'acte de cetle assemblée dans le Recueil des historiens de France, t. IX, p. 304-305. «Jussio apostolicæ sedis non minus vobis sacra videri debuerat quam illa quam dicitis imperialem... non enim illa prævenit, sed nostra, id est pontificalis. Neque enim ignorare debueratis majus esse regimen animarum, quod est pontificale, «quam imperiale, quod est temporale. (Epist. Gregorii IV ad episcopos regni Francorum. Recueil des hist. de France, t. VI, p. 352.)

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consacrant l'élection de Boson comme roi par les évêques de la Gaule orientale, avait écrit à l'empereur Charles le Gros : «J'ai adopté l'il« lustre prince Boson pour mon fils, ainsi contentez-vous de votre propre <«< royaume, car j'excommunierai aussitôt quiconque oserait attaquer << mon fils1. » Lorsque le même pape eut élevé Charles le Chauve à l'empice, dans un synode romain tenu en 877, il proclama son autorité en ces termes : « Nous l'avons justement élu, et nous avons approuvé avec <«<l'assentiment et le vote de tous nos frères et coévêques, ainsi que des << autres ministres de la sainte Église romaine, du magnifique sénat et de a tout le peuple romain; et, selon l'ancienne coutume, nous lui avons << solennellement remis le sceptre de l'empire romain, l'avons décoré «< du nom d'Auguste, et oint extérieurement de l'huile, qui est le signe << de la vertu et de l'onction intérieure de l'Esprit Saint.>> Il ajouta : Après avoir exercé notre ministère, dont Dieu est l'auteur, dans cette «Église romaine qui est la maîtresse, la mère, et la tête des Églises, en « répandant les prières de la bénédiction, en décernant la couronne et « le sceptre de l'empire, aujourd'hui, dans cette sainte et générale assem« blée de nos frères, nous confirmons et corroborons ce que nous avons fait par les sentiments du cœur, les paroles de la bouche et les souscrip« tions de la main 2. » Les pouvoirs qu'exercèrent les papes, au 1x° siècle, et les prétentions qu'ils émirent, s'accrurent et s'imposèrent au xr. Il y eut, entre la conception de cette théorie et sa pleine réalisation, l'intervalle d'un siècle et demi, dû à une interruption prolongée dans la marche ascendante de l'Église et de son chef suprême.

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Deux causes surtout y concoururent: 1° l'état de l'Europe, qui, loin de tendre alors, comme elle le fit plus tard, à se réorganiser à l'aide de l'unité religieuse, allait au démembrement le plus extrême par l'anarchie militaire et la décomposition territoriale; 2° le mode d'élection au pontificat, qui était fort vicieux. Pendant cette universelle désorganisation, les royaumes se morcelèrent, l'empire cessa quelque temps d'exister, le clergé se corrompit, l'épiscopat devint féodal, et la papauté, réduite au plus triste isolement, tomba dans la plus déplorable dépendance. Les papes furent assujettis, non plus aux empereurs, mais aux petits dominateurs de Rome, qui décidèrent de leur élection. Ces

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Bosonem gloriosum principem per adoptionis gratiam filium meum effeci, Aquapropter contenti termino regni vestri pacem et quietem habere studete : quia modo et deinceps excommunicamus qui contra prædictum filium nostrum insurgere tentaverint.» (Apud Schmidt, Geschichte der Deutschen, t. I, p. 681-682, not. Q. Ulm, 1785, in-8°.)-Acta synodi romanæ de confirmatione electionis Karoli imperatoris. Ann. 877. Apud Baluze, t. II, p. 253-254.

maîtres furent les oligarques romains, et principalement les comtes de Tusculum et les Crescenzi, qui possédaient des quartiers fortifiés dans la ville, en même temps qu'ils étaient feudataires dans la campagne. Les premiers étaient établis, non loin du Capitole, sur la Via lata, et eurent, avec le comté de Tusculum, le marquisat de Camerino; les seconds occupaient au dedans de redoutables positions, notamment sur les ruines du théâtre de Marcellus, et possédaient au dehors les seigneuries de Lamentana et de Nomentum. Les uns et les autres tinrent successivement le môle d'Adrien, qui, placé à l'entrée de Rome, dont il était à la fois la clef et la forteresse, procurait le moyen d'y dominer1. Il se forma dans Rome des factions turbulentes et acharnées, qui portèrent sur la chaire de saint Pierre et en précipitèrent tour à tour leurs candidats respectifs.

Aussitôt qu'Étienne V fut mort, en 891, cette anarchie pontificale commença. Entre l'élection de Formose et celle de Sergius III, de la maison de Tusculum, il y eut dix papes presque tous renversés comme ils avaient été promus, violemment. De ces pontificules, ainsi que les appelle Platina, Boniface VI siégea quinze jours, et fut expulsé par Étienne VI, qui exhuma le cadavre de Formose, et, après l'avoir revêtu d'habits séculiers et lui avoir fait couper les deux doigts servant aux consécrations, le jeta dans le Tibre, cassa ses décrets et ses ordinations, et fut étranglé lui-même par Romain III, qui abrogea ses actes et ne garda que quatre mois le siége pontifical, où lui succéda Théodore II, qui n'y resta que vingt jours. Enfin, à la suite de Jean IX et de Benoît IV, qui, chose rare alors, furent papes pendant trois ans, Léon V occupa à peine un mois la chaire de saint Pierre, d'où il fut jeté en prison, et de là dans un couvent, par Christofore, qu'au bout de sept mois, Sergius III emprisonna, tonsura et déposséda à son tour2.

Il y eut alors un peu de ralentissement dans la mobilité pontificale et l'anarchie romaine. La faction des comtes de Tusculum sembla s'être accordée avec celle de la sénatricè Théodora et de sa fille Marozia, qui possédait le môle d'Adrien, et avec celle des Crescenzi. Le résultat de cette union momentanée fut l'élévation presque successive de Sergius III, fils du comte de Tusculum, qui siégea huit ans, et de Jean X, de la maison

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Voir, sur ces familles, Memorie istoriche dell' antico Tuscolo oggi Frascati, raccolte da D. Domenico Barnabe Mattei, Roma, 1711, in-4°; Ciacconi in Vit. pontificum; franc. Zazzera, Della nobiltà dell' Italia, in-fo, Napoli, 1615; Corona della nobiltà d'Italia, etc. di Giov. Pietro de' Crescenzi Romani, in-4°, in Bologna, 1630; De' conti Tuscolani trattato appoggiato ad antichissimi documenti, etc. ms. Vatican. * Baronius, Platina, Ciacconi.

Crescenzi1, qui occupa quatorze ans la chaire apostolique. Mais, s'il y eut moins de violences, il y eut plus de scandales dans Rome. Sergius III 2 eut de Marozia un fils devenu lui-même pape plus tard, et Jean X fut l'amant de Théodora, à laquelle il dut son élévation. Ce dernier pape montra quelque grandeur, et délivra l'Italie des Arabes établis aux bords du Garigliano. Mais, pontife altier et belliqueux, il succomba sous la haine de Marozia, qui le fit jeter et étouffer en prison pour venger la mort de son premier mari, Albéric de Tusculum, marquis de Camerino, tué par l'ordre de Jean X.

Après lui, la faction tusculane disposa entièrement du pontificat. Marozia fit nommer pape Jean XI, fruit de son union criminelle avec Sergius III3. Elle appela dans Rome, où elle commandait souverainement, son troisième mari, le roi Hugues, qu'elle reçut dans le môle d'Adrien. Mais celui-ci, qui voulait acquérir le titre d'empereur, conféré seulement à Rome et par le pape, eut l'imprudence d'outrager Albéric, fils de Marozia et du comte de Tusculum. Albéric, indigné, chassa Hugues de Rome, dont il resta maître absolu pendant vingt ans. Il réduisit les papes aux simples fonctions de leur ministère religieux, sans leur laisser la moindre autorité dans la ville et sans leur permettre de nommer des empereurs. De ces papes, qui se succédèrent obscurément au nombre de quatre, pendant la longue durée de sa domination, le dernier, Agapit II, aurait voulu admettre dans Rome et y couronner empereur Othon le Grand, qu'Albéric ne consentit pas à y recevoir, et Othon n'osa pas entreprendre d'y pénétrer de force.

A la mort d'Albéric, en 954, son fils Octavien lui succéda. Maître du môle d'Adrien et de Rome, il aspira à devenir pape. Il avait à peine atteint l'âge de la puberté, lorsque Agapit II mourut, un an après son père Albéric. Il le remplaça sous le nom de Jean XII, réunissant ainsi le pontificat religieux à la principauté militaire de Rome. Image fidèle de son temps, ce jeune pape eut tous les vices de la tyrannie et de la débauche. Il remplit de ses maîtresses le palais de Latran, transformé en lieu de prostitution. Il mutila des cardinaux. Il vendit les ordinations religieuses, qu'il faisait quelquefois dans ses écuries, au moment même où il allait à la chasse, disait la messe sans communier, invoquait au jeu Jupiter et Vénus*. Sous lui, les églises des apôtres restèrent désertes, et, de leurs toits découverts, la pluie tombait jusque sur l'autel. Les pè

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Ciacconi, ann. 914.- Baronius l'appelle Sergius ille nefandus. - Luitprand, Hist. 1. II, c. XIII. 4 Dépositions faites dans le synode de Rome. Continuat.

Luitprand. Hist. 1. VI, c. vII.

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