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diction facile à expliquer, si l'on considère, d'une part, la bonne foi et l'esprit éclairé de l'auteur; de l'autre, son penchant décidé aux conciliations et aux tempéraments.

Écoutez ce que fait dire à M. le duc de Noailles et la justesse de son esprit et l'impartialité de sa conscience d'historien : « Non-seulement le «clergé, mais les parlements, les universités, les corps municipaux, les « communautés de marchands et d'artisans se livraient, en de fréquentes <«< occasions, à leur aversion contre les protestants. Dès qu'on pouvait, << dans quelque cas particulier, enfreindre l'édit de Nantes, abattre un << temple, restreindre un exercice, enlever un emploi à un réformé, on «< croyait remporter une victoire sur l'hérésie. On imputait hautement à «la malédiction du ciel sur eux toute espèce de malheur public; on les << accusait de tous les crimes dont les auteurs demeuraient inconnus, << Telle était la disposition que la longue et terrible suite d'événements << que nous avons rappelée avait laissée dans les esprits. » (P. 275.)

Et l'historien revient plusieurs fois sur ces sourdes persécutions, ces vexations de toutes sortes, ces continuelles violations de l'édit; il va même jusqu'à dire que c'était un système invariable adopté par le gouvernement; comme si les traités faits avec les protestants et les lois qui les concernaient ne devaient être observés que dans les conditions qui les obligeaient, et non dans celles qui obligeaient envers eux. Il nous montre Louis XIV, lui-même, déclarant dans ses mémoires la volonté de ne respecter les édits que lorsque la nécessité l'y forçait1.

Eh bien, si, malgré les garanties du pacte conclu avec eux, les protestants subissaient patiemment ces injustes persécutions, si, lorsqu'on violait ainsi à leur égard les dispositions de l'édit qui devait les protéger, ils ne se révoltaient pas, était-ce donc là, pour un gouvernement sage, une raison de supprimer l'édit? C'était, au contraire, la justice et la logique le disent, une raison de le maintenir.

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<< Sans doute, dit encore M. de Noailles en parlant du roi, il eût été plus digne d'un esprit supérieur comme le sien, de devancer son << temps; et le repos de l'Etat n'étant plus menacé, l'autorité royale « étant si bien affermie, de conserver cette indépendance de la con« science et de l'esprit que Dieu lui-même nous a donnée. » (P. 310.)

Nous ne sommes pas, envers Louis XIV, si exigeant que M. de Noailles: nous ne lui demandons pas de devancer son temps, nous ne lui demandons que de ne point reculer d'un demi-siècle et de ne pas rejeter violemment la France par delà Richelieu et Henri IV.

1 Année 1666.

M. de Noailles poursuit : « Il est évident que l'intérêt politique entra «et devait entrer pour beaucoup dans le désir d'extirper du royaume «un germe de division d'où étaient sortis de si grands désordres; mais «c'était, il est vrai, un intérêt en quelque sorte de tradition et de pré«voyance plutôt qu'un intérêt fondé sur le danger du moment. Le «parti protestant était alors paisible, et n'offrait rien de redoutable.» (P. 322.)

Il est inutile de faire remarquer que les faits aussi consciencieusement présentés condamnent victorieusement la révocation, et laissent sans excuse un prince tel que Louis XIV.

Son excuse véritable, la seule que puisse admettre l'équitable sévérité de l'histoire, nous la trouvons (nous l'avons dit et nous le démontrerons bientôt par d'irrécusables témoignages), non dans la justification de sa faute, mais dans l'aveu tacite qu'il en a fait lui-même, et surtout dans quelques efforts tentés, sinon pour la réparer, au moins pour en atténuer les résultats; c'est la seule qui concilie et le respect dû à la vérité, et les égards que mérite la mémoire d'un grand roi.

Il fallut peu de temps à Louis XIV pour être éclairé par l'expérience, et cela est d'autant plus remarquable, que les manœuvres dont on s'était servi pour lui persuader, avant la révocation, qu'elle n'éprouverait aucune difficulté, et ne serait suivie d'aucune conséquence fâcheuse, furent employées, après la révocation, pour lui en dissimuler les suites déplorables.

Les promoteurs de cette inique et funeste mesure, lorsqu'elle n'était pas encore résolue, doutaient tellement des dispositions du roi à cet égard, qu'ils ne permettaient pas qu'on lui parlât d'aucun moyen de conciliation. L'idée d'une conférence où les points controversés seraient discutés étant venue à l'intendant N. Foucault, l'un des ennemis déclarés de la réforme, il la communiqua, dit-il, aux personnages les plus considérés et plus accrédités du parti, qui l'assurèrent que c'était la seule voie qui pût faire réussir le grand projet des conversions.

Mais, ajoute Foucault : «En ayant fait la proposition à M. le chan«celier Le Tellier, il la rejeta absolument..... et me défendit d'en parler « au roy.» Les témoignages sont nombreux qui prouvent le soin que l'on mit à tenir Louis XIV dans l'ignorance de l'état vrai des choses. Louvois fut un de ceux qui s'appliquèrent le plus à tromper le roi1.

1

Nous croyons, de plus, qu'il ne se faisait aucun scrupule de mettre le roi en avant pour donner plus d'autorité aux mesures de rigueur. Ce même Foucault nous dit : « M. de Louvois m'a mandé, par sa lettre du 17 novembre 1685, que l'intention du roy est que les dragons demeurent chez les gentilshommes de la religion P. R. du

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Toutefois, quelques précautions que l'on eût prises, quelques efforts que l'on eût faits pour cacher la vérité au roi et lui persuader que la révocation serait accueillie avec autant de soumission par les protestants que d'enthousiasme par les catholiques, Louis XIV ne pouvait se défendre, au moment de l'exécution, d'une vive inquiétude.

Le secrétaire d'État Seignelay écrivait, par ordre du roi, à La Reynie, lieutenant général de police, le 18 octobre 16851, pour lui recommander de prendre, le jour de l'enregistrement de la révocation de l'édit, toutes les mesures de précaution que pouvait inspirer la crainte d'un péril imminent. Quatre jours après, le 22 octobre, le même secrétaire d'État mandait au procureur général du parlement de Paris : « Je vous supplie de vouloir bien m'informer de ce qui s'est passé ce << matin lors de l'enregistrement de l'édit qui supprime celuy de Nantes; «<et quoyque je ne doute pas que vous preniez la peine de faire la « mesme chose sur ce qui se passera demain à Charenton, je vous diray (( que le roy m'a paru avoir tant d'envie d'estre informé des moindres particularitez, que je croy qu'il sera nécessaire qu'il vous plaise d'en« voyer un courrier exprez, en cas qu'il se passast quelque chose qui « valust la peine d'en informer S. M. »

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Et presque aussitôt, Seignelay, pour satisfaire l'impatience croissante du roi, écrivait au lieutenant général de police : « Je vous prie instamment « de me faire sçavoir ponctuellement ce qui se sera passé dans la démoli<«<tion du temple de Charenton, S. M. m'ayant demandé plus de quatre <«< fois aujourd'huy si je n'avois pas eu des nouvelles de ce qui s'estoit « passé lors de l'enregistrement de l'édit, estant fort attentive à ce qui << regarde la suitte de cette affaire. >>

Ces dépêches de Seignelay ont été imprimées il n'y a pas longtemps dans la Correspondance de Louis XIV2, l'une des publications les plus intéressantes de la grande collection des documents inédits sur l'histoire de France. Cette correspondance, à laquelle on doit des révélations curieuses, n'avait pas encore paru lorsque M. le duc de Noailles écrivait; elle contient les documents les plus authentiques concernant l'action di

« Bas-Poitou, jusques à ce qu'ils soient convertis, et qu'on leur laisse faire le plus « de désordres qu'il se pourra.» (Mém. mss. Bibl. imp. supplément français, n° 150, fol. 60 v°.) Nous reconnaissons parfaitement bien Louvois dans de telles paroles, nous n'y reconnaissons pas Louis XIV. On voit même qu'à diverses reprises Louvois, transmettant aux provinces les ordres du roi, est chargé expressément de répéter que la volonté de S. M. est qu'une exacte discipline soit observée, et que les violences des soldats soient punies. Bibl. imp. registres du secrétariat de la maison du roi. — Depping, t. IV, p. 344, 346, 363.

1

recte de Louis XIV dans les mesures prises presque aussitôt après la révocation de l'édit pour en neutraliser les effets, et obvier aux conséquences déplorables dont on ne tarda pas à s'apercevoir. C'est un fait historique qu'il est d'autant plus nécessaire de bien établir, qu'il a été plus universellement méconnu. Rulhières, le premier, dans les Eclaircissements historiques sur les causes de la révocation de l'édit de Nantes, ouvrage imprimé en 1788, a éveillé sur ce point quelques vagues indices; de notre temps, en 1836, une partie des mémoires secrets du marquis de Sourches, grand prévôt de France, publiée avec un extrait des mémoires de l'intendant Nicolas Foucault, par M. Bernier, y vinrent ajouter quelques notions nouvelles; plus récemment, la publication de M. Depping en a fourni des preuves irrécusables; enfin quelques documents encore inédits, que conserve la Bibliothèque impériale, achèvent de mettre la vérité dans tout son jour.

(La suite à un prochain cahier.)

M. AVENEL.

ALEXANDER UND ARISTOTELES IN IHREN GEGENSEITIGEN BezieHUNGEN, NACH DEN QUELLEN DARGESTELLT. Alexandre et Aristote dans leurs rapports réciproques, d'après les documents originaux, par R. Geier; Halle, 1856, Iv et 240 pages in-8°.

Il est naturel que l'histoire s'intéresse aux instituteurs des princes, puisque l'éducation qui prépare un prince à gouverner ses semblables prépare souvent ainsi de graves événements dans la destinée des peuples. Soit que l'élève ait éclipsé ses maîtres, comme cela se voit dans l'éducation de Marc-Aurèle, dont le plus célèbre instituteur, Fronton, ne nous apparaît guère, dans ses écrits récemment retrouvés, que comme un honnête et spirituel sophiste; soit que les maîtres aient éclipsé leur disciple, comme Bossuet et La Bruyère ont éclipsé le dauphin fils de Louis XIV; soit enfin que le maître et le disciple aient laissé tous deux d'illustres souvenirs, comme il arriva pour Aristote et pour Alexandre, toujours nous aimons à savoir, et à savoir par le détail, comment et avec quel succès s'exerça le talent du précepteur d'un roi : c'est là, par

exemple, l'intérêt qui s'attache pour nous aux hombreux ouvrages qui concernent l'éducation du grand dauphin et celle du duc de Bourgogne.

Malheureusement, l'antiquité ne nous a rien laissé de comparable à ces récits et à ces documents instructifs. La Cyropédie, malgré son titre, n'est guère qu'un roman; et les imitations qu'elle avait produites en Grèce, quoique prétendant davantage à l'autorité de l'histoire, n'auraient pas, je le crains, répondu beaucoup mieux, sous ce rapport, à notre curiosité. On en peut juger par ce qui nous reste de l'Éducation d'Auguste par Nicolas de Damas, espèce de biographie louangeuse et emphatique, où les maîtres du jeune Octavien paraissent n'avoir pas occupé une bien large place. En ce qui concerne Aristote et Alexandre, nous serions plus avides encore, s'il est possible, de documents sérieux, et nous en sommes plus dénués, car nous avons perdu les deux ouvrages d'Onésicrite et de Marsyas qui en traitaient spécialement1, et, parmi les ouvrages d'Aristote, ceux qui pouvaient plus ou moins s'y rapporter. Malgré l'irréparable tort que nous ont fait de telles pertes, cette mémorable rencontre de deux esprits puissants par des facultés si diverses; tant de science et de génie mis au service d'une éducation qui devait avoir pour le monde de si durables conséquences; le premier philosophe de ce temps apprenant au fils du plus habile politique l'art de gouverner les Hellènes sans leur paraître un tyran, et l'art de conquérir avec profit pour la civilisation et pour l'humanité tous ces rapprochements et ces contrastes ont vivement séduit l'attention, je dirai presque l'imagination des historiens et des philosophes. On a recueilli et commenté, avec un soin curieux, jusqu'au moindre souvenir que l'antiquité nous ait laissé sur ce sujet.

:

Sans parler des livres qui traitent, en général, d'Alexandre et de son siècle, comme l'ouvrage classique de Sainte-Croix et celui de M. Droysen, sans parler de ceux qui embrassent toute la vie et tous les travaux du Stagirite, comme l'Aristotelia de M. Ad. Stahr, l'éducation d'Alexandre par Aristote a fourni récemment la matière de trois écrits spéciaux. En 1826, M. C. Zell publiait, dans le premier volume de ses Ferienschriften, un mémoire sur Aristote considéré comme précepteur d'Alexandre. En 1837, un jeune philologue de Berlin, fils de l'illustre Hegel, soutenait, pour obtenir le grade de docteur, une thèse élégante De Aristotele et Alexandro magno. C'est le sujet qu'a repris, pour le traiter avec un grand luxe

1

Diogène Laërte, VI, $ 84, qui, en rapprochant de la Cyropédie l'ouvrage d'Onésicrite, nous apprend que c'était, en réalité, un éloge d'Alexandre; Suidas, au mot Μαρσύας Περιάνδρου Πελλαίος.

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