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de la religion prétendue réformée. C'est ainsi qu'il écrit au maître des requêtes Mazuyer: «Il est maintenant question de gaigner le cœur de «< ces esprits desvoyez par bons traittemens, pourveu qu'ils exécutent « fidèlement la paix. Je vous prie d'y tenir la main et empescher qu'ils «ne reçoivent des vexations indeues dans l'obéissance en laquelle ils se <«< mettent1. » ( 1o juillet 1629.) Et, quelques jours après, au duc de Montmorency « Le roy s'asseure une exécution ponctuelle de ce qu'ils (ceux de Nîmes) ont promis; et moy, je vous engage mon honneur « que leurs priviléges leur seront soigneusement conservez, et que, « y a eu quelques-uns qui ayent eu appréhension d'une garnison, ça esté <«< sans fondement, vous donnant ma foy et ma parole qu'on n'y a point «<pensé, et qu'on n'est pas capable d'y penser à l'advenir 2. »

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s'il

Cette politique sage et modérée, Richelieu ne la maintenait pas sans effort, et il était obligé de la défendre non-seulement contre certains évêques, mais même contre les ministres, qui auraient dû l'aider à la mettre en pratique. Michel de Marillac, le garde des sceaux, homme d'État à l'esprit étroit, à la vue courte, harcelait Richelieu de mémoires pour le pousser à maltraiter les protestants. « J'ay veu (lui écrivait un «jour le cardinal) vos mémoires qui consistent en quatre points... «Toutes ces choses me semblent fort bonnes, mais je ne sçay si elles « sont de saison, en l'estat auquel sont les affaires de présent. Vous « m'avés escript plusieurs fois qu'il étoit nécessaire que le roy retournast << en France, pour establir la paix en Languedoc et Dauphiné, et j'ay «peur que ces établissemens nouveaux, dont l'intention est parfaite<<<ment louable, n'affermissent pas celle qui y est maintenant, et esmeuve « les espritz; et je ne sçay s'il est bon de le faire à cette heure que l'on

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1 Même source manuscrite, t. LI, et même Correspondance, p. 363. — Gorrespondance de Richelieu, t. III, p. 371.- Citons un exemple entre plusieurs. Nous avons vu, aux archives des Affaires étrangères, la minute d'une lettre de l'archevêque de Tours, Bertrand d'Eschaux, adressée à Richelieu, le 19 février 1635, où ce prélat se plaint de n'avoir pas eu l'appui du cardinal dans une lutte entreprise pour ôter de Saint-Maixent le prêche des religionnaires aux grands jours de Poitiers. Il avait espéré pouvoir compter, dans une telle occurrence, sur l'assistance du cardinal, et néantmoins, au faict et au prendre, quand j'ay esté aulx mains avec les religionnaires, je puis dire: nullus fuit de gentibus mecum.» Nous avons trouvé, dans le même manuscrit, un projet de réponse du cardinal; c'est une minute non achevée, et, dans ce fragment, il n'est pas question du prêche de SaintMaixent; nous savons, d'ailleurs, que, depuis quatre mois, Richelieu laissait sans réponse les instances réitérées de l'archevêque de Tours sur ce sujet. (T. IV, p. 673 de la Correspondance de Richelieu.) - Archives des Affaires étrangères. Cette lettre du 6 août 1630, a été imprimée, t. III, p. 834 de la même Correspondance.

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« a la guerre au dehors. Touttesfais je remets ces affaires à vostre bonne << prudence. >>

Cette lettre, que nous ne pouvons transcrire en entier, mérite d'être remarquée; la politesse des formes n'en dissimule pas la pénétrante ironie. Il n'est pas hors de propos de rappeler ici que Marillac était l'homme de la reine mère, laquelle n'était pas loin alors de la rupture avec Richelieu, et s'efforçait déjà de le perdre dans l'esprit du roi, fort animé lui-même contre les huguenots; aussi les ménagements d'expression, les semblants d'approbation dont use le cardinal, en repoussant les propositions de Marillac, sont évidemment à l'adresse de Louis XIII, qui pouvait ne pas désapprouver ce que condamne Richelieu.

Le cardinal recueillit le fruit de cette conduite non moins politique qu'équitable, à l'époque de la révolte de Monsieur, secondé par le duc de Montmorency, gouverneur du Languedoc, province où les protestants étaient en grande majorité. Le roi les trouva fidèles à la cause monarchique; tandis que les catholiques, et les évêques à leur tête, prenaient parti pour la révolte1.

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«Le roy est très-satisfait de ceux de vostre religion, écrivait Riche<< lieu au maréchal de La Force, le 8 août 1632; en continuant comme «<ilz ont commencé, ilz l'obligeront de plus en plus à les maintenir, ainsi qu'il le désire, et comme il y est résolu. Vostre présence et vostre <«<zelle ne serviront pas peu pour les affermir dans leur devoir 2. » Et ce n'étaient pas là de ces paroles qu'on pourrait prendre pour une politesse adressée au vieux duc, protestant dans le fond du cœur. C'était si bien l'expression de la vérité, que Richelieu, peu de jours après sa lettre écrite, chargeait le maréchal de lever des régiments de huguenots : «< Si << vous cognoissez des huguenots, dans les Sevenes, qui en veulent faire «<(des régiments) deux ou trois, de 5 ou 600 hommes, vous les pouvez << donner et les faire lever au mesme temps. » On était donc bien sûr de leur fidélité, puisqu'on leur mettait les armes en main.

Cette dangereuse crise passée, où les protestants avaient été trouvés sujets fidèles, leur loyauté ne pouvait être douteuse dans des temps meilleurs. Nous voyons que, vers la fin de 1634, lorsque Richelieu se préparait à commencer la guerre qui fut déclarée en mai 1635, il faisait de nouveau lever des troupes assez nombreuses parmi les populations les plus attachées à la religion réformée.

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2 Les évêques d'Albi, de Lodèves, de Nîmes, d'Uzès. Lettre manuscrite conservée dans les archives de la maison de La Force, imprimée, ainsi que la suivante, dans le quatrième vol. de la Correspondance de Richelieu, p. 341 et 349. — 3 Cette seconde lettre est du 20 août. Mêmes archives.

Le cardinal disait au roi, dans un mémoire où il exposait certaines mesures prises en exécution des ordres de Sa Majesté : « Les bons hom<< mes venant de Gascogne et des Sevennes, je croy que le plus qu'on << en pourra lever en ces quartiers là sera le meilleur. » Puis il ajoute, par une sorte de concession aux sentiments particuliers de Louis XIII: «Il est fascheux de lever tant de huguenots, mais on trouve peu de bons « hommes; S. M. choisira, s'il luy plaist, et en sçaura peut-estre d'au<<< tres 1. » Et le roi a écrit de sa main, en marge des propositions de levées : « Bon. »

On sait, d'ailleurs, que Richelieu n'a pas cessé de donner le commandement des armées à de vieux protestants éprouvés dans leur zèle calviniste, les La Force, les Châtillon. Non-seulement il a conservé au service du roi les anciens serviteurs de Henri IV, mais lui-même en a appelé de jeunes: Bernard de Saxe Weymar, Turenne, Rantzau et d'autres; il a même fini par donner un commandement considérable au duc de Rohan, le plus habile homme de guerre parmi les protestants, et qui, resté ferme dans la lutte jusqu'à la dernière extrémité, jusqu'à la paix de 1629, était, à leurs yeux, le plus fidèle défenseur de leur foi.

Nous montrerions Richelieu inviolablement attaché à ces principes jusqu'à la fin de sa vie, s'il était nécessaire de rassembler de plus nombreux souvenirs, et si ce n'était pas une vérité démontrée pour tous ceux qui ont étudié à fond la politique et le gouvernement de Richelieu, que ce grand ministre n'aurait jamais eu recours à la mesure extrême de la révocation de l'édit de Nantes.

Et ce qui achève de mettre dans tout son jour le sentiment de Richelieu sur cette question, ce qui prouve que le respect des franchises protestantes n'était pas seulement un expédient de sa politique appliqué à son propre gouvernement, mais une croyance profonde et une conviction de principes, c'est que les persécutions qu'il ne voulait pas permettre en France, il les condamnait également dans les pays étrangers. Le Mercure françois, espèce d'annuaire politique, qui était considéré comme un de ses organes, et qu'il tint plus étroitement dans sa dépendance depuis 1635, époque où il en confia la direction à Théophraste Renaudot, sa créature, et dont la plume était déjà à ses gages dans la Gazette, le Mercure2, dès cette année 1635, s'élève fortement contre la mau

Archives des Affaires étrangères, collection France. La pièce que nous rappelons ici, à laquelle on donne le titre de Response ou discours sur le traicté de Prague, faict entre l'empereur Ferdinand II et le duc électeur de Saxe, est un mémoire évidemment commandé, à la rédaction duquel le cardinal pouvait bien n'être pas tout à fait étranger, et qui doit être considéré comme une pièce officielle. (Merc. fr. t. XXI, p. 1-22.)

vaise foi et l'injuste politique de Ferdinand II, qui, au mépris des engagements contractés par lui-même en 1599, lorsqu'il n'était encore qu'archiduc de Graetz, et depuis, par un traité solennel, en 1621, chasse les hérétiques de ses États. Cette flétrissure, que Richelieu inflige publiquement au manque de foi de l'empereur envers les protestants, il ne s'est jamais exposé à la mériter à son tour.

Puisqu'il se trouve encore des écrivains sérieux qui croient pouvoir présenter l'imposante autorité de Richelieu comme une justification de la révocation de l'édit, il convient de rappeler des faits qu'on semble oublier, et il est bon qu'il soit prouvé par des textes irrécusables que ceux qui l'invoqueraient désormais chercheraient leur propre condamnation.

Mazarin continua la politique de Richelieu, à l'égard des huguenots comme dans tout le reste, en mettant à la place de la fermeté libre et franche de son devancier les ménagements cauteleux et les rigueurs sournoises au moyen desquels il tâchait de vivre en paix avec tout le monde. Il laissait la liberté de conscience aux protestants; et cependant il calmait l'impatience catholique en contrariant l'exercice du culte réformé par certaines mesures vexatoires 1, dont il usait, dans l'occasion, sans trop de bruit. Néanmoins, sous Mazarin, la soumission et la fidélité des huguenots ne se démentirent pas. La Fronde, qui eût été pour eux une si belle occasion de révolte, ne les vit point prendre parti contre le roi « Je suis content du petit troupeau (disait Mazarin en « parlant des huguenots), il ne s'écarte pas. >>

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Il est inutile d'insister davantage, tant l'absence de tout parti politique parmi les protestants sous Mazarin, et au temps de la grande puissance de Louis XIV, est un fait incontestablement acquis à l'histoire.

Voilà donc l'état vrai des choses durant la période de plus d'un demisiècle qui précéda la révocation de l'édit de Nantes. Si l'on a eu quelque faute à reprocher à des protestants, si la réforme a causé quelque embarras, il n'y eut que des fautes isolées, des embarras tels que l'administration en rencontre inévitablement de quelque part que ce soit.

Loin d'être redoutables à la royauté, les réformés étaient parmi les défenseurs du roi, quand les catholiques le forçaient de sortir de Paris, et, dans cette guerre, on a vu le monarque et l'État défendus par le huguenot Turenne, lorsque Condé les attaquait, ligué avec les Espagnols. En dépit du sentiment religieux qui s'obstinait à les mettre à part dans

Voyez le tome XVII du Recueil des anciennes lois françaises, passim.

la nation, et malgré l'obstination d'un aveugle préjugé, aux yeux de la politique éclairée, protestants et catholiques n'étaient qu'un même peuple. Or il n'y aurait qu'un seul argument de valeur à apporter en faveur de la révocation: prouver que la réforme était devenue, en 1685, un danger sérieux pour le monarque et pour le royaume; qu'aux plus beaux temps du règne de Louis XIV, factieuse et armée, elle était encore constituée comme une puissance dans l'État. Mais c'est précisément le contraire qui est la vérité; et, depuis la paix de 1629, s'il y eut toujours une hérésie obstinée, il n'y eut plus de faction.

Et cependant, pour disculper Louis XIV, l'historien nous dit : « Cette <«< mesure ne fut pas, de sa part, un acte spontané et imprévu, mais le « résultat d'un système qui datait de son avénement à la couronne, et « dont l'intérêt politique fut le principal fondement. Il ne faut pas, d'ail«leurs, confondre la révocation de l'édit de Nantes avec ses suites. » (P. 272.)

Prétendre que telle avait été, depuis son avénement à la couronne, la pensée de Louis XIV, c'est le blâme le plus sévère qu'on lui ait encore infligé; une préméditation de plus de vingt années pour arriver à un tel acte! La faute s'aggrave et devient plus inexcusable, si on l'attribue à un motif politique et non à un motif de religion. Au zèle religieux on pourrait encore trouver une sorte d'excuse; il n'y en a plus, si l'on n'invoque que la nécessité politique, la raison d'État.

Et puis quelle futile distinction que celle de la révocation elle-même et de ses suites! Comme si les suites n'étaient pas une conséquence de l'acte, comme si un gouvernement n'était pas tenu de prévoir avant d'entreprendre, et de calculer les résultats possibles d'une importante résolution!

Une faute évidente, inexcusable, mais réparée autant peut-être qu'il était permis de la réparer à un pouvoir accoutumé à se croire infaillible, et qui avait surtout l'orgueil de le paraître, voilà ce que fut, en ce qui concerne Louis XIV, la révocation de l'édit; voilà comme il convient, nous le croyons, d'apprécier cet acte si diversement jugé, pour qui veut être également exempt des complaisances de la flatterie et des injustices du dénigrement.

M. le duc de Noailles reconnaît lui-même que « la révocation de «l'édit de Nantes a été jugée au fond avec une juste sévérité, » et puis il accumule les arguments pour prouver qu'on l'a jugée trop sévèrement. Et c'est un des caractères de cette histoire de faire de primeabord des concessions au sentiment moral, à la saine critique, et de s'appliquer ensuite à les retirer par le raisonnement; espèce de contra

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