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Il faut croire qu'Agésilas est de Corneille, puisque son nom y est, et qu'il y a une scène d'Agésilas et de Lysander, qui ne pourroit pas facilement être d'un autre. Après Agésilas vint Othon, ouvrage , ouvrage où Tacite est mis en œuvre par le grand Corneille, et où se sont unis deux génies si sublimes. Corneille y a peint la corruption de la cour des empereurs, du même pinceau dont il avoit peint les vertus de la république.

Depuis son retour au théâtre, il y paroissoit, avec éclat, des pièces d'un genre fort différent des siennes. Ce n'étoit point une vertu courageuse, ni l'élévation des sentimens portés jusques dans l'amour qui y dominoit; c'étoit un amour plus tendre, plus simple et plus vif, des sentimens dont le modèle se trouvoit plus aisément dans tous les cœurs. On admiroit moins, mais on étoit plus ému. Une infinité de traits de passion bien touchés, et pres que sans aucun mêlange de choses plus nobles qui les eussent refroidis, une versification très-agréable, et dont l'élégance ne se démentoit jamais, un jeune auteur dont le style étoit plus jeune aussi : voilà ce qu'il falloit principalement aux femmes dont les jugemens ont tant d'autorité au théâtre françois. Aussi furent-elles charmées, et Corneille ne fut plus pour elles que le vieux Corneille. J'en excepte quelques femmes qui valoient des hommes.

Il y en eut un dont la voix devoit être d'autant plus comptée, que ce n'étoit pas seulement un écrivain très-célèbre, mais un homme du grand monde. On peut ajouter que sa voix étoit parfaitement libre, puisqu'il vivoit en Angleterre, privé de sa patrie. De Saint-Évremond publia une dissertation sur l'Alexandre de Racine; et là il s'élève vivement contre notre Nation, qui ne goûte que ce qui lui ressemble, et qui n'avoit refusé ses applaudissemens à Corneille dans sa Sophonisbe, que parce qu'il avoit trop bien rendu le vrai caractère de la fille d'Asdrubal; au lieu que Mairet en avoit fait, avec beaucoup de succès, une coquette ordinaire. « Corneille, ajoutoit de Saint-Évremond, » est presque le seul qui ait le bon goût de l'antiquité; il a surpassé nos auteurs, et s'est peut» être ici surpassé lui-même ».

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Corneille ne manqua pas de remercier de SaintÉvremond d'un suffrage aussi glorieux que le sien, et aussi hautement déclaré. « Vous m'avez pris par "mon foible, lui dit-il dans sa lettre; cette Sophonisbe, pour qui vous marquez tant de tendresse, a la meilleure part à la mienne.... » Vous confirmez ce que j'ai avancé sur la part que » l'amour doit avoir dans les belles tragédies, et » sur la fidélité avec laquelle nous devons conserver » à ces vieux illustres les caractères de leur temps

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» de leur nation et de leur humeur. J'ai cru jus

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qu'ici que l'amour étoit une passion trop chargée » de foiblesses pour être la dominante dans une

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pièce héroïque j'aime qu'elle y serve d'orne» ment, et non pas corps. Nos doucereux » et nos enjoués sont de contraire avis; mais vous » vous déclarez du mien ». Il y a encore dans cette lettre ces paroles assez remarquables : "Vous » m'honorez de votre estime en un temps où il » semble qu'il y ait un parti fait pour ne m'en laisser » aucune. Vous me soutenez quand on se persuade qu'on m'a battu ».

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Il est vrai qu'il s'étoit formé un parti contre lui. Ceux qu'il appelloit les doucereux et les enjoués, et toutes celles pour qui ils l'étoient, composoient une grande partie de Paris et de la cour; et ils ne se contentoient pas d'élever le nouvel auteur qui le méritoient, ils vouloient l'élever sur les ruines de l'ancien. Ils prévaloient, et par le nombre, et par un certain bruit confus et imposant qu'ils savent si bien faire dans le besoin. On ne négligeoit rien pour grossir ses troupes; et c'étoit toujours un avantage que de les grossir: on mettoit en œuvre toutes les petites adresses qui peuvent aider une réputation naissante, et hâter le vol de la renommée; on employoit contre le redoutable ennemi jusqu'aux traits d'un fameux satyrique, exercé

à foudroyer glorieusement de mauvais auteurs. Pendant ce tumulte et cette espèce de sédition contre une autorité légitime, Corneille se tenoit retranché dans son cabinet, sans être presqu'autrement connu du monde que par son nom, sans protecteurs puissans déclarés en sa faveur, sans partisans affidés, n'ayant de gloire que celle qui étoit venue le trouver d'elle-même, ne s'y fiant peut-être pas assez, mais certainement hors d'état, et même incapable de lui prêter aucuns secours étrangers.

Il vit le goût du siècle se tourner entièrement du côté de l'amour le plus passionné et le moins mêlé d'héroïsme; mais il dédaigna fièrement d'avoir de la complaisance pour ce nouveau goût. Peut-être croira-t-on que son âge ne lui permettoit pas d'en avoir. Ce soupçon seroit très-légitime, si l'on ne voyoit ce qu'il a fait dans la Psyché de Molière, où, étant à l'ombre du nom d'autrui, il s'est abandonné à un excès de tendresse dont il n'auroit pas voulu déshonorer son nom.

Il ne pouvoit mieux braver son siècle, qu'en lui donnant Attila, digne roi des Huns. Il règne dans cette pièce une férocité noble que lui seul pouvoit attraper. La scène où Attila délibère s'il se doit allier à l'Empire qui tombe, ou à la France qui s'élève, est une des belles choses qu'il ait faites.

Bérénice fut un duel dont tout le monde sait l'histoire. Henriette-Anne d'Angleterre, princesse fort touchée des choses d'esprit, et qui eût pu les mettre à la mode dans un pays barbare, eut besoin de beaucoup d'adresse pour faire trouver les deux combattans sur le champ de bataille, sans qu'ils sussent où on les menoit. Mais à qui demeurera la victoire? au plus jeune.

Il ne reste plus que Pulcherie, Surena, tous deux, sans comparaison, meilleure que Bérénice, tous deux dignes de la vieillesse d'un grand homme. Le caractère de Pulcherie est de ceux que lui seul savoit faire; et il s'est dépeint lui-même avec bien de la force dans Martian, qui est un vieillard amoureux. Le cinquième acte de cette pièce est tout-à-fait beau. On voit dans Surena une belle peinture d'un homme que son trop de mérite et de trop grands services rendent criminel auprès de son maître; et ce fut par ce dernier effort que Corneille termina sa carrière.

La suite de ses pièces représente ce qui doit naturellement arriver à un grand homme qui pousse le travail jusqu'à la fin de sa vie. Ses commencemens sont foibles et imparfaits, mais déja dignes d'admiration par rapport à son siècle; ensuite il va aussi haut que son art peut atteindre; à la fin il s'affoiblit, s'éteint peu-àpeu-à-peu, n'est plus semblable à lui-même que par intervalles.

Après

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