Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

REMARQUES

SUR QUELQUES COMÉDIES D'ARISTOPHANE,

SUR

LE THEATRE GREC, &c.

LES Grecs sont harangueurs et rhéteurs jusques dans leurs

tragédies. Vous voyez presque toujours deux personnages qui devroient se dire des choses vives et souvent interrompues, faire chacun un long discours qui a exorde, preuves et péroraison, et où l'un résume tranquillement tout ce qu'a dit l'autre.

Ces mêmes tragiques ont des lieux communs sans fin, et souvent mal placés, et qui ne s'appliquent pas si bien aux personnages qu'aux Athéniens, pour lesquels je ne doute point qu'ils ne fussent faits: mais il n'y avoit pas beaucoup d'art à cela.

Je voudrois bien savoir comment on me justifieroit les reproches violens qu'Admète, dans Alceste, fait à son père Phérès, sur ce qu'il n'a pas voulu mourir pour lui. Il falloit que les Grecs fussent encore bien barbares, du temps qu'ils trouvoient cela beau.

Encore dans Alceste, il y a une description d'Hercule arrivé chez Admète, et qui aussi-tôt se met à faire bonne chère. Cette description est si burlesque, qu'on diroit d'un crocheteur qui est de confrairie. Je ne sais quelle idée les Grecs avoient d'Hercule, ou comment étoient faites leurs réjouissances.

[graphic]

n'y a ni sujet ni dessein, mais des emportemens fort poétiques et fort hardis. Je crois qu'Eschile étoit une manièrė de fou qui avoit l'imagination très-vive et pas trop réglée.

Le Plutus est fort bon. Il y a des choses aussi plaisantes que Molière en ait fait.

Aristophane paroît en un endroit s'y plaindre de ce qu'il n'y avoit point de médecins à Athènes, parce que la médecine n'y étoit pas estimée.

Il falloit que les Athéniens ne fussent pas trop dévôts ; car cela se jouoit devant eux, et les dieux sont traités dans cette comédie assez cavalièrement. Mercure vient se plaindre de ce qu'ils meurent tous de faim, depuis que Plutus a recouvré la vue, parce que tout le monde étant riche, on ne fait plus de sacrifices. Il pousse la chose jusqu'à demander un emploi chez Chremile, quel qu'il soit, du moins pour avoir de quoi manger. Il y a encore un endroit où Aristophane décrit fort plaisamment la friponnerie du prêtre d'Esculape, qui ayant éteint les lumières dans le temple, venoit ramasser et mettre dans un grand sac tout ce qu'on avoit offert au dieu; et Carion, pour imiter le prêtre, mange la bouillie d'une vieille qui étoit auprès de lui. Les scènes de cette autre vieille qui entretenoit un jeune homme, sont merveilleuses. Les scènes de la Pauvreté ne me plaisent guère; elles font même un mauvais effet, à quoi Aristophane n'a pas pris garde; car la pauvreté fait voir des inconvéniens très- solides à l'égalité des biens, et on ne répond point à ses raisons; cela est cause que je ne suis pas si aise que Plutus ait recouvré la vue. Je le serois tout-à-fait sans cela; tous les effets qu'on en voit sont agréables.

Les Nuées eussent été bonnes contre un sophiste; mais

Le dessein de cette pièce est pourtant fort plaisant. Strepsiade est le vrai gentilhomme bourgeois, par la difficulté qu'il a d'apprendre, par ses méprises continuelles, et par la naïveté avec laquelle il rend ce qu'il a appris. Il ressemble fort aussi à George Dandin, quand il se plaint d'avoir épousé une femme de la ville, lui qui étoit un homme de la campagne. Les niaiseries qu'on fait faire à Socrate sur la mesure du saut de la puce, sont très - ridicules; mais je ne crois pas que cela fût fondé. Aristophane dit beaucoup de bien de lui dans un chœur, et se plaint de ce que tous les comiques ne savoient point d'autre chanson que d'attaquer ce pauvre Hyperbolus. Je n'aime point ces deux personnages, dont l'un est le discours véritable, et l'autre le discours sophistique. Les personnages allégoriques ou métaphysiques ont fort mauvaise grace parmi ceux qui sont vivans, mais prin cipalement ces deux discours-là; ils disent pourtant de bonnes choses. Aristophane reproche à son siècle la délicatesse de se servir de bains chauds.

[ocr errors]

Les Grenouilles sont faites de deux morceaux, qui ne so ressemblent point. L'un est tout de plaisanteries et de jeux de théâtre sur le voyage de Bacchus aux enfers; les différentes réceptions qu'on lui fait, et ses continuels changemens d'habits avec Xanthias, font un effet fort agréable: ce seroit encore toute autre chose dans l'action; je n'ai rien vu de meilleur pour le jeu de théâtre. L'autre morceau de Grenouilles est tout de critique. Euripide reproche à Eschile ses grands mots forgés à plaisir, l'enflure et l'obscu rité de son style, une Niobé, qui étoit tout un acte sur le théâtre, sans parler. Eschile reproche à Euripide qu'il est grand causeur et sophiste ; qu'il a un style mou; qu'il n'a pas fait comme lui des Perses et des Sept devant Thèbes, non pas contre Soctate, qui n'étoit rien moins que sophiste.

[graphic]

qui étoient des tragédies mâles, et capables d'animer les citoyens aux grandes choses; mais qu'il a représenté des Stenobées et des Phédres, caractères vicieux et de mauvais exemple. Il dit que quoique ces histoires, à la vérité, soient connues de tout le monde, un poëte n'en doit pourtant pas réveiller le souvenir; que pour lui, il ne croit pas avoir mis sur le théâtre une femme amante. Il me semble que Corneille et Racine pourroient à-peu-près faire ensemble les mêmes scènes que font Eschile et Euripide. Euripide est encore bien blâmé par Eschile, de ce qu'il habilloit quelquefois ses héros de haillons, afin qu'ils fissent plus de pitié au peuple. Ensuite ils vont jusqu'à critiquer quelques vers l'un de l'autre. Eschile prétend faire voir que tous les prologues d'Euripide sont sur le même ton. Euripide en commence vingt, et à tous Eschile leur fait convenir le ληκσθιον απώλεσεν. On ne sait bonnement ce que cela veut dire. M. Blondel m'a dit qu'il soupçonnoit que ληχσθιον ἀπώλεσεν étoit le refrain de quelque chanson de ce temps-là, comme landeriri, landerirette; et que comme cela revenoit toujours à la fin de la chanson, Eschile, en remettant toujours par tout Anxodkov ¿æ☎λecev, marquoit l'uniformité des prologues d'Euripide.

[ocr errors]

Selon Aristophane, voici l'ordre des tragiques grecs; Eschile, Sophocle, Euripide. Il est fort plaisant de faire mettre dans des balances des vers d'Eschile contre des vers d'Euripide, et de faire que ceux d'Eschile, qui sont forts et nombreux, et composés de grands mots, l'emportent sur ceux d'Euripide, qui sont foibles et minces, mais plus peignés.

Les Cavaliers sont un peu ennuyeux, parce que c'est toujours la même chose; toujours la dispute de Cléon et d'Agoracrite, toujours des scènes d'injures de l'un contre

les

[ocr errors]

Tautre. Mais, à cela près, cette pièce-là est une satyre forr plaisante de la facilité qu'avoit le peuple d'Athènes à se laisser gouverner par des gens de rien et par des fourbes ; car Cléon, qui gouvernoit alors, étoit tanneur; et Aristophane, pour lui donner un rival digne de lui, lui oppose un chaircuitier. Toutes les qualités qu'il trouve à ce chaircuitier pour être le premier homme de la république, comme d'être ignorant, accoutumé à couper et à trancher de tost et de travers, a survendre sa marchandise, à brouiller tout dans les boudins qu'il fait, tout cela est très-bien imaginé. J'aime bien encore les contestations de Cléon et d'Agoracrite, à qui criera le plus haut et sera le plus méchant, caresses et les présens qu'ils font au peuple, &c. L'un lui apporte une casaque, l'autre un habit entier ; l'un des gâteaux, l'autre une soupe, &c. Ce gâteau à la lacédémonienne que Démosthène dit qu'il avoit préparé, et que Cléon lui a dérobé, représente fort bien l'affaire de Pyle. Cléon est encore bien comparé aux nourrices qui mâchent du pain pour leurs enfans, mais qui en avalent trois fois -plus qu'elles ne leur en donnent. Je m'étonne que le peuple d'Athènes, qui étoit maître absolu, souffrît qu'on le jouât en sa présence, qu'on l'appellât mille fois sot et imbécille, et qu'on lui fit voir qu'on le menoit par le nez tant qu'on vouloit, et qu'on le prenoit par des niaiseries comme un enfant, Bon pour lui en faire des remontrances sérieuses, à la manière de celles que lui faisoit l'orateur Démosthène : mais des plaisanteries de théâtre, c'est autre chose.

[blocks in formation]

a été repris par les comiques de ce temps-là, et Platon a paru en plaisanter d'une manière qui le condamne. Cette

« PreviousContinue »