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n'avoit pas d'aversion, non plus que pour Lucain! Il falloit aussi qu'il n'en eût pas pour Stace, fort inférieur à Lucain, puisqu'il en a traduit en vers et publié les deux premiers livres de la Thébaïde, Ils ont échappé à toutes les recherches qu'on a faites depuis un temps pour en trouver quelque exemplaire.

Corneille étoit assez grand et assez plein, l'air fort simple et fort commun, toujours négligé, et peu curieux de son extérieur. Il avoit le visage assez agréable, un grand nez, la bouche belle, les yeux pleins de feu, la physionomie vive, des traits fort marqués et propres à être transmis à la postérité dans une médaille ou dans un buste. Sa prononciation n'étoit pas tout-à-fait nette. Il lisoit ses vers avec force, mais sans grace.

Il savoit les belles - lettres, l'histoire, la politique; mais il les prenoit principalement du côté qu'elles ont rapport au théâtre. Il n'avoit pour toutes les autres connoissances, ni loisir, ni curiosité, ni beaucoup d'estime. Il parloit peu, même sur la matière qu'il entendoit si parfaitement. Il n'ornoit pas ce qu'il disoit; et, pour trouver le grand Corneille, il le falloit lire.

Il étoit mélancolique. Il lui falloit des sujets plus solides pour espérer ou pour se réjouir, que pour se chagriner ou pour craindre. Il avoit l'hu

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meur brusque, et quelquefois rude en apparence; au fond, il étoit très-aisé à vivre, bon père, bon mari, bon parent, tendre et plein d'amitié. Son tempérament le portoit assez à l'amour, mais jamais au libertinage, et rarement aux grands attachemens. Il avoit l'ame fière et indépendante; nulle souplesse, nul manège; ce qui l'a rendu trèspropre à peindre la vertu romaine, et très - peu propre à faire sa fortune. Il n'aimoit point la cour; il y apportoit un visage presque inconnu un grand nom qui ne s'attiroit que des louanges, et un mérite qui n'étoit point le mérite de ce pays-là. Rien n'étoit égal à son incapacité pour les affaires, que son aversion. Les plus légères lui causoient de l'effroi et de la terteur. Il avoit plus d'amour pour l'argent que d'habilité ou d'application pour en amasser. Il ne s'étoit point trop endurci aux louanges, à force d'en recevoir : mais quoique sensible à la gloire, il étoit fort éloigné de la vanité. Quelquefois il s'assuroit trop peu sur son rare mérite, et croyoit trop facilement qu'il pût avoir des rivaux.

A beaucoup de probité et de droiture naturelle, il a joint, dans tous les temps de sa vie, beaucoup, de religion, et plus de piété que son genre d'occupation n'en permet par lui-même. Il a eu souvent besoin d'être rassuré par des casuistes sur ses

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. pièces de théâtre; et ils lui ont toujours fait grace en faveur de la pureté qu'il avoit établie sur la scène, des nobles sentimens qui règnent dans ses ouvrages, et de la vertu qu'il a mise jusques dans l'amour.

PARALLÈLE

DE CORNEILLE

I.

E T

DER A CINE.

CORNEILLE

1693.

ORNEILLE n'a eu devant les yeux aucun auteur qui ait pu le guider. Racine a eu Corneille.

II. Corneille a trouvé le théâtre françois très-grossier, et l'a porté à un haut point de perfection. Racine ne l'a pas soutenu dans la perfection où il l'a trouvé.

III. Les caractères de Corneille sont vrais, quoiqu'ils ne ne soient pas communs. Les caractères de Racine ne sont vrais que parce qu'ils sont communs.

IV. Quelquefois les caractères de Corneille ont quelque chose de faux à force d'être nobles et singuliers. Souvent ceux de Racine ont quelque chose de bas, à force d'être naturels.

V. Quand on a le cœur noble, on voudroit ressembler aux héros de Corneille ; et quand on a le cœur petit, on est bien aise que les héros de Racine nous ressemblent.

VI. On rapporte des pièces de l'un, le desir d'être vertueux, et des pièces de l'autre, le plaisir d'avoir des semblables dans ses foiblesses,

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VII. Le tendre et le gracieux de Racine se trouvent quelquefois dans Corneille; le grand de Corneille ne se trouve jamais dans Racine.

VIII. Racine n'a presque jamais peint que des François, et que le siècle présent, même quand il a voulu peindre un autre siècle, et d'autres nations. On voit dans Corneille toutes les nations, et tous les siècles qu'il a voulu peindre.

IX. Le nombre des pièces de Corneille est beaucoup plus grand que celui des pièces de Racine, et cependant Corneille s'est beaucoup moins répété lui-même que Racine n'a fait.

X. Dans les endroits où la versification de Corneille est belle, elle est plus hardie, plus noble, plus forte, et en même temps aussi nette que celle de Racine; mais elle ne se soutient pas dans ce degré de beauté, et celle de Racine se soutient toujours dans le sien.

XI. Des auteurs inférieurs à Racine ont réussi après lui dans son genre; aucun auteur, même Racine, n'a osé toucher après Corneille au genre qui lui étoit particulier.

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