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Car tant en ai le mal chier,

Que tout le mont n'en prendoie,

S'il me convenoit changier.

S'il ne falloit que prouver la noblesse des trouverres ou troubadours, je ferois paroître encore ici des comtes de la Marche, d'Anjou, de Provence, des ducs de Bretagne, de Brabant, et même l'empereur Frédéric Barberousse; car je ne daignerois pas compter les seigneurs d'un moindre dont le nombre est presque incroyable mais je crois qu'il vaut mieux continuer à choisir quelques-uns de leurs meilleurs morceaux, sans avoir égard à la qualité des auteurs.

rang,

Peyre Remond le Proux, provençal, a dit assez galamment:

Uno doulour senty venir

Al cor d'un angoyssous afan,
Lou mége que my pot guarir
My vol en dyetta tenir,

Comme lous autres méges fan.

Robert de Reims, dans un grand morceau d'antithèses sur l'amour, n'a mal rencontré en celles-ci:

Amours va par avanture
Chacun y pert et gagne,
Par out rage et par mesure
Sane chacun et me hagne.
Eurs et mes adventure

Sont tosjours en sa compaigne.

Pour cest raison et droiture

Que chacun s'en lot et plagne.

Finissons, et peut-être trop tard, par ces vers d'Eustace li peintre, à sa maîtresse :

Dame ou tous biens crest et naist et esclaire,
A qui biauté nulle autre ne se prend,
Dont sans mentir ne pourroit-on retraire
Fors grant valeur, et bon enseignement,
Qu'il n'y faut rien, fors mercy seulement,
Bien sont vos faits et vos doux ris contraire.
Cuer sans mercy, et semblant débonnaire ;
Hé! diex pourquoi ensemble les consent?

Ces étincelles de poésies parurent principalement dans les deux extrémités du royaume, en Provence et en Picardie. Les Provençaux, aidés de leur soleil, auroient dû avoir l'avantage : mais il faut avouer que les Picards ne leur cédèrent en

rien.

La plus grande gloire de la poésie provençale est d'avoir pour fille la poésie italienne. L'art de rimer passa de Provence en Italie, et Dante et Pétrarque firent bien leur profit de la lecture des troubadours; et, par une juste reconnoissance, ils ont parlé avec éloge de la plupart d'entr'eux, surtout du grand Arnaud Daniel. Pétrarque eut encore une obligation plus particulière à la Provence:

tout le monde sait qu'il fut inspiré par une provençale.

Qui croiroit que le ménestrel Rutebeuf, Hebert, et d'autres auteurs aussi inconnus, et en apparence aussi méprisables, fussent les originaux des meilleurs contes de Bocace? Qui croiroit que Bocace eût pillé ces pauvres gens-là? Il l'a fait cependant : il leur a pris le palefrenier, qui, étant tondu, va tondre tous les autres; le mari jaloux qui confesse sa femme; le berceau, et quelques autres encore qui ne sont certainement pas des plus mauvais. Leurs auteurs les appelloient des fabliaux, et plusieurs de leurs ouvrages portent ce titre.

Ils avoient encore des fabliaux moraux ou allégoriques. Tel est le roman de la Rose, dont les personnages sont, Jalousie, Bel- accueil, Fauxsemblant, &c. Tel le tournoiement de l'AnteChrist, qui est un combat des vertus et des vices. Tel le roman de Richart de l'Isle, où Honte et Puterie ont débat. Puterie irritée de ce que Honte ne la veut suivre pour lui faire honneur, la prend, la jette d'un pont de Paris dans la Seine, où la pauvre Honte se noie, dont vient que plus n'y a Honte dans Paris.

Ces poëtes ont traité aussi des morceaux de l'histoire de leur temps, et plus souvent des histoires fabuleuses: mais la matière la plus commune, principalement pour les poëtes de qualité, c'est l'amour.

Il étoit dans l'ordre qu'avec l'esprit poétique il se répandît en France un esprit de galanterie. Il y avoir en Provence la fameuse cour d'amour; et la Picardie, rivale de la Provence, avoit aussi ses plaids et gieux sous l'ormel. Ces gieux et la cour d'amour étoient des assemblées de gentilshommes et de dames, qui s'exerçoient à la courtoisie et gentillesse, et décidoient avec de certaines formes et avec autorité les questions galantes qui étoient portées à leur tribunal.

Par exemple, on demandoit à nosseigneurs et dames de la cour d'amour, ou de gieu sous l'ormel, lequel voudroit mieux pour une dame, ou un » amant qui est nice, ou un qui sait plus du siècle? » S'il y a plus d'honneur à conquérir celle qui » aime, ou celle qui onc n'aima? Si l'amant se » mariant à sa mie perd l'envie qui souloit avoir » de chanter? Lequel la dame devroit choisir, ou » d'un voyage de son amant à la croisade contre » Mainfroy, ou d'un mariage à autre qu'elle ? Lequel doit plus faire pour sa dame, ou celui » qui a, ou celui qui espère ? Lequel vous aime» riés mieux, jouir votre rival et vous, ou ni l'un » ni l'autre? Vous avés gagné une dame que cha» cun gagne à son tour; avés - vous perdu ou » gagné »? Sur ces sortes de sujets l'on faisoit les chansons du jeu parti, c'est-à-dire, qui contenoient les demandes et les réponses de part et d'autre. Il

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y a telle de ces questions qui pourroit fournir à une des plus spirituelles conversations de Cyrus et de Clélie, et peut-être y auroit-il lieu de s'étonner que des siècles d'ailleurs si peu éclairés en sussent tant mais il les faut regarder comme de jeunes personnes qui ont de bonne heure l'esprit formé sur la galanterie.

Nous avons encore le recueil de ces jugemens galans, ou du moins faits à leur imitation, sous le titre d'Arresta Amorum, il y a deux cent ans. L'auteur est Martial d'Auvergne, procureur au parlement de paris. Il commença ainsi ses Arresta

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Après y avoit les déesses.

En moult grand triomphe et honneur,

Toutes légistes et clergesses

Qui savoient les decrets par cueur.

Leurs habits sentoient le cyprès

Et le musc si abondamment,

Que l'on n'eût sçeu estre au plus près
Sans esternuer largement.

Ensuite viennent cinquante procès différens; et

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