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degré de talent et de vérité qui en reproduit l'image! Ce récit a-t-il conservé Marie-Stuart toute entière? Voyez-vous là et ce qui rend sa mort si touchante et ce qui l'explique? voyezvous là cette ironie de femme et de reine cette finesse moqueuse d'esprit, qu'au milieu de sa détresse elle a conservée jusqu'au dernier moment? Voyez-vous en même temps cette ardeur de la foi catholique et de la foi bytérienne, ces deux croyances mises en face l'une de l'autre, et se signalant, par des persécutions, et par des martyres? Vous expliquez-vous ces profondes antipathies qui faisaient que la belle, que la jeune, que la catholique Marie devait périr par un ordre de la moins belle, de la moins jeune, de la protestante Élisabeth? Voyez-vous ces choses dont Walter-Scott, avec son beau talent, vous a donné l'idée dans ce roman de l'Abbé, qui est plus vrai que l'histoire ?

Vous en trouverez la trace dans Brantôme esprit aussi frivole que Robertson était sérieux, mais qui avait vécu dans le temps de Marie, et qui sentait, par l'impression contemporaine, tout ce que la gravité studieuse et solitaire de Robertson n'a peut-être pas bien entendu.

>> Le dix-septiesme donc de febvrier l'an mil cinq cent cinquante-sept, arrivant au lieu où estait la reyne prisonnière, chasteau appellé Fotheringay, les commissaires de

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la reyne d'Angleterre, par elle envoyez (je ne diray point leurs noms, car il ne serviroit de rien), sur les deux ou trois heures après midy, et estant en la présence de Paulet, son gardien ou geoslier, font lecture de leur commission touchant l'exécution à leur prisonnière; lui déclarant que le lendemain matin ils y procederoient, l'admonestant de s'apprester entre sept ou huict.

» Elle, sans s'estonner aucunement, les rémercia de leurs bonnes nouvelles, disant qu'elles ne pouvoient estre meilleures pour elle, pour voir maintenant la fin de ses misères, et que dès long-temps elle s'estait apprestée et résolue à mourir depuis sa détention en Angleterre; suppliant pour temps les commissaires de luy donner un peu de temps et de loysir pour faire son testament et donner ordre à ses affaires, puisque cela gisoit à leur volonté, comme leur commission portait. A quoi le comte de Shrewsbury lui dit assez-rudement: Non, non, Madame, il faut mourir; tenezvous preste demain entre sept et huict heures du matin. On ne vous prolongera pas le délay d'un moment. »

Cela me paraît plus expressif, je l'avoue; cela rend mieux la vérité que l'espèce de réponse officielle, placée, par Robertson, dans la bouche de la spirituelle et maligne Marie: « Quoique je >> ne pensasse pas que la reine d'Angleterre don» nerait le premier exemple de violer la personne » sacrée d'une princesse souveraine, je me sou» mets à ce que la Providence à décrété pour » moi. » Au lieu de cette phrase si grave sur les droits des têtes couronnées, Marie avait répété plusieurs fois : « Je vois ce que fait pour >> moi ma bonne sœur.»

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Brantôme n'a pas oublié ce mot; il rapporte également un détail bien touchant dont le génie de Schiller a tiré un merveilleux parti, et que Robertson a négligé. Mais poursuivons ce parallèle.

Vous avez vu ce que Robertson a dit de ce ministre presbytérien qui adresse à Marie un long discours convenable à la situation présente Mais pouvait-il y avoir un discours convenable à la situation de Marie, dans la bouche du valet théologien de ses persécuteurs? Fallait-il que Robertson ne se souvînt que de son attachement à l'église presbytérienne? Fallait-il qu'il ne conçût pas la nature humaine? N'était-il pas naturel que l'âme de Marie, non-seulement par sa foi, mais par sa colère, se soulevât tout entière contre ces prières hérétiques pour elle, et prononcées par l'homme qui approuvait sa sentence, et qui allait bénir sa meurtrière?

« On lui amena un ministre pour l'exhorter, mais elle luy dict en anglais : « Ah! mon amy, donne-moi patience, » lui déclarant qu'elle ne voulait communiquer avec luy, ni avoir aucuns propos avec ceux de sa secte, et qu'elle estait apprestée à mourir sans conseil, et que telles gens que luy ne luy pouvaient apporter aucune consolation ou contentement d'esprit.

Ce néanmoins voyant qu'il continuait ses prière en son barragouin, elle ne laisse de dire les siennes en latin, eslevant sa voix pardessus celle du ministre; et puis redit qu'elle s'estimait beaucoup heureuse de verser la dernière goutte de son sang pour sa religion, plus que de vivre si longue

ment, et qu'elle ne pouvait s'attendre que nature parachevast le cours ordinaire de sa vie, et qu'elle espérait tant en celui qui estait représenté par la croix qu'elle tenait en sa main, et devant les pieds duquel elle se prosternait.

>>

On voit là, ce que Robertson n'a pas dit, toute l'émotion, toute la chaleur de la foi catholique opposée à la foi protestante; on voit cette rudesse, cette vivacité d'antipathie, qui rend insupportables, à la douce Marie, les paroles du ministre protestant, et les lui fait repousser avec une impression de haine et de dégoût si bien rendue par la triviale énergie de Brantôme.

Quel est le résultat littéraire de toutes ces réflexions? C'est qu'en rendant justice à l'école écossaise du dix-huitième siècle, en honorant au plus haut degré cette impartialité, cette liberté d'esprit, née en partie du bonheur des institutions anglaises, en partie de l'imitation de notre littérature, nous regrettons qu'il lui ait manqué un sentiment plus vif de la vérité. Ajoutons de plus que l'imagination, qui se compose à la fois de vivacité et de sensibilité, cette imagination qui voit ce qui n'est pas devant ses yeux, qui est touchée de ce qu'elle n'a pas senti elle-même, est unë qualité nécessaire du grand historien; et l'on peut dire en ce sens qu'il a besoin d'être poëte, non-seulement pour être éloquent, mais pour être vrai.

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