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ment, et qu'elle ne pouvait s'attendre que nature parachevast le cours ordinaire de sa vie, et qu'elle espérait tant en celui qui estait représenté par la croix qu'elle tenait en sa main, et devant les pieds duquel elle se prosternait.

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On voit là, ce que Robertson n'a pas dit, toute l'émotion, toute la chaleur de la foi catholique opposée à la foi protestante; on voit cette rudesse, cette vivacité d'antipathie, qui rend insupportables, à la douce Marie, les paroles du ministre protestant, et les lui fait repousser avec une impression de haine et de dégoût si bien rendue par la triviale énergie de Brantôme.

Quel est le résultat littéraire de toutes ces réflexions? C'est qu'en rendant justice à l'école écossaise du dix-huitième siècle, en honorant au plus haut degré cette impartialité, cette liberté d'esprit, née en partie du bonheur des institutions anglaises, en partie de l'imitation de notre littérature, nous regrettons qu'il lui ait manqué un sentiment plus vif de la vérité. Ajoutons de plus que l'imagination, qui se compose à la fois de vivacité et de sensibilité, cette fmagination qui voit ce qui n'est pas devant ses yeux, qui est touchée de ce qu'elle n'a pas senti elle-même, est une qualité nécessaire du grand histórien; et l'on peut dire en ce sens qu'il a besoin d'être poëte, non-seulement pour être éloquent, être éloquent, mais pour

être vrai.

COURS

DE

LITTÉRATURE

FRANÇAISE.

MESSIEURS,

On m'a fait l'honneur de m'écrire deux lettres critiques, mais bienveillantes : dans l'une, on m'accuse de juger trop vite les plus célèbres historiens de l'Angleterre; dans l'autre, de m'écarter trop long-temps de la France. Il me faut une double excuse pour ce double reproche : je parle brièvement des écrivains anglais, parce que je dois surtout en parler sous le rapport de l'influence que la philosophie française exerçait sur leur génie ; je m'éloigne de la France, parce qu'au dix-huitième 5e Leçon.

I

V LECON
PUBLIÉE.

siècle la France est partout, que sa littérature agit dans toute l'Europe, comme puissance intellectuelle et comme puissance politique. On donnerait, Messieurs, une idée incomplète et fausse du génie français au dix-huitième siècle, si on le séparait de l'Europe, si on ne saisissait pas le lien et le rapport qui l'unissaient à tous les efforts tentés ailleurs par l'intelligence humaine, si on ne cherchait point partout la trace et les monumens de son action.

Mais en même temps j'éviterai toute digression qui ne se lie pas, qui ne se rapporte pas à la France. Il est quelques historiens anglais que je négligerai, parce que leurs talens et leurs ouvrages, remarquables en eux-mêmes, ne justifient pas ces rapports d'imitation et d'analogie que je cherche entre la France et les autres nations de cette époque. Fergusson, auteur d'une savante et curieuse histoire de la république romaine, ne nous occupera pas Fergusson, qui s'appelle trop modestement un compilateur, n'est point un élève de l'école française, n'écrit pas sous l'inspiration de la philosophie promulguée par Voltaire.

Mais un des plus célèbres historiens anglais, un de ceux qui ont traité à la fois avec science et avec talent un vaste sujet, Gibbon, doit attirer nos regards. Il est, au plus haut degré, élève

de l'école française. Il réunit à une érudition du Nord l'indépendance, les vues, les préjugés, les formes de style même, que la philosophie française affectait au dix-huitième siècle. Nulle part cette influence n'est plus sensible, et dans ce qu'elle a de libre, d'instructif, et dans ce qu'elle a de faux pour la critique et pour le goût.

Ici je suis encore singulièrement frappé des difficultés de l'examen que je me propose. Embrasser, en effet, dans un court espace, avec des notions incomplètes, cet immense spectacle du monde romain analysé, décrit par Gibbon, apprécier tant d'efforts d'érudition et de sagacité, énoncer un jugement, même timide ' sur le travail d'une vie tout entière et d'une si haute intelligence, c'est de ma part une tentative à peine excusable. Cependant l'ouvrage de Gibbon est un monument historique d'un ordre si élevé, la vie, les principes littéraires et philosophiques de Gibbon sont un événement si remarquable dans le dix-huitième siècle, et tellement lié à l'histoire de la littérature française, qu'il me serait impossible de ne pas m'en occuper

avec vous.

L'Angleterre s'était illustrée dans la carrière. historique par ces ouvrages de Hume et de Robertson, qu'avait inspirés le génie de la France. Une place restait encore à prendre; c'était dans

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