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position naturelle, nous serions portés plutôt à la justice contraire. Mais cependant on ne peut méconnaître le grand effet moral, le renouvellement salutaire qu'éprouva l'Italie, par une conquête à laquelle les esprits avaient été préparés, et qui n'était si complète que parce qu'elle n'était pas imprévue, quoiqu'elle fût soudaine. Cette Italie, qui depuis le seizième siècle avait langui, reçut tout à coup une vie et une activité nouvelle. La France semblait en cela imiter l'antique Rome. Vous le savez, dans chaque pays conquis, la prise de possession des Romains, c'était de faire à la hâte de grands travaux publics, d'ouvrir des routes, d'élever des amphithéâtres, de bâtir des thermes, des. temples; ils pavaient le large chemin des légions romaines; et dans beaucoup de contrées, vingt siècles n'ont pas déplacé les dalles de pierre qu'avaient posées leurs mains. Dans nos villes du midi, vous admirez encore des ruines plus belles que des monumens. Eh bien, quelque chose de cette activité gigantesque caractérisa ce qui se passait de nos jours en Italie. Je ne sais si cette même sympathie de langue et d'origine qui avait d'abord facilité les entreprises du vainqueur de l'Italie, l'intéressait davantage

aux Italiens, et lui donnait une sorte de prédilection pour leur pays; mais enfin dans son règne parfois si dur et si violent, il repandit beaucoup de bienfaits sur l'Italie. Quelques uns de ces bienfaits ne plairaient peut-être pas à un peuple qui voudrait toujours être libre. Cette belle route tracée à travers le Simplon, ce passage permanent qui vaut mieux que le passage d'Annibal, ces relais de postes établis dans les Alpes, ce chemin qui perce le rocher, s'engouffre sous une longue voûte éclairée par des lampes, et reparaît ensuite à la clarté du jour; ce sont là de grands travaux de main d'homme, et un danger pour l'Italie qui a perdu ses murailles. Avant et depuis, d'autres travaux français avaient assaini, embelli plusieurs contrées de l'Italie. Les tentatives d'un pontife, de Pie VI, pour dessécher les marais pontins, furent renouvelées avec plus d'art et de puissance. Ailleurs, l'Italie recevait des monumens nouveaux. La magnifique cathédrale de Milan était achevée. On faisait des routes, des ponts, des promenades publiques, mille embellissemens auxquels les Italiens n'avaient pas songé depuis deux siècles, et qu'ils attendaient ainsi dire de la main des Français. Du reste,

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malgré les promesses du vainqueur, ce n'était certainement pas la liberté qu'on avait donnée aux Italiens; il s'en fallait beaucoup. Je vois qu'une très rigoureuse censure interdisait dans l'Italie impériale la publication de beaucoup d'ouvrages; je vois que tous ces beaux esprits qui n'avaient pas la fierté d'Alfieri baissaient humblement la tête sous la main du conquérant. Je lis une lettre de Cesarotti dans laquelle il remercie, avec une profonde reconnaissance, le secrétaire du ministre d'un vice-roi d'avoir fait donner à son neveu une place de juge de paix dans la ville de Milan. Je lis beaucoup de pièces dans lesquelles le brillant et énergique Monti, qui, au commencement des troubles civils, avait si violemment excité la haine populaire contre les Français, les célèbre avec un enthousiasme plus français que patriotique; mais, ne l'oublions pas, l'Italie avait éprouvé pendant long-temps deux privations, la privation de la liberté et la privation de l'ordre. L'Italie était remplie d'hommes éclairés, d'hommes spirituels; l'Italie était un pays charmant pour le voyageur; mais la théorie des impôts, les arts industriels, tout ce qui constitue l'ordre des peuples civilisés, et surtout l'ordre des Français, y était 11o Leçon.

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singulièrement négligé. Cette police active de la conquête, cette main puissanté qui se portait partout, cette volonté ferme et bienveillante pour les Italiens, en quelques années, changea l'état du pays. Le conquérant s'est vanté luimème d'avoir jeté cinq cents millions en Italie. Je ne sais pas à qui il les avait pris. Mais il est certain qu'il consommait dans l'Italie les impôts prélevés sur elle, et la faisait en général gouverner par des magistrats indigènes, précaution qui dissimule et adoucit la conquête!

Ce spectacle étonnant d'une domination étrangère qui, pendant huit années, transforme un pays, met l'ordre où l'ordre n'existait pas, fait profiter les vaincus plus que les conquérans eux-mêmes, laissera certainement dans l'histoire et dans l'avenir des Italiens une trace durable. Nous ne pouvions l'oublier en retraçant la puissance de cet esprit français qui, d'abord novateur en spéculation, le devint par la conquête, déplaça les dominations, et changea les pays, lors même qu'il ne les gardait pas.

Parmi les événemens singuliers qui ont caractérisé cette période de l'histoire, il en est un qui fait ressortir l'influence salutaire d'un pouvoir unique et ancien. L'italie comptait

dans son sein des royautés comme Naples, des républiques comme Venise. Lorsque l'étonnant édifice élevé par le conquérant s'est brisé, lorsqu'il est tombé du haut de sa pyramide, et sa pyramide avec lui, les peuples soumis jadis à des souverains ont retrouvé une patrie. Venise, que personne ne réclamait, Venise, qui n'avait plus la force de se réclamer elle-même, a disparu; elle a changé de main; elle a été comme ces proies trop riches qui, enlevées par la force, reprises par la justice, ne reviennent jamais dans la main du propriétaire.

PARIS.

DE L'IMPRIMERIE DE RIGNOUX,
RUE DES FRANCS-BOURGEOIS-S.-MICHEL, N° 8.

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