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gulier. Ce sont des idées qu'on n'eût pas comprises auparavant. Au quatrième siècle, je vous demande pardon de ces digressions et de ces secousses de mon esprit, au quatrième siècle, il y avait dans les ouvrages des chrétiens quelque chose d'une passion nouvelle, d'une insatiable curiosité sur les destinées de l'homme, d'un dédain de la terre, d'un élancement vers le ciel; c'est ce qui brille dans les ouvrages de Grégoire de Naziance, d'Augustin. A la fin du dix-huitième siècle, sous une autre forme, c'est le même dégoût de la vie commune, c'est la même espérance de je ne sais quelle perfection; c'est enfin, tout à la fois, l'agitation et l'ennui qui prédominent les ames. Je crois donc que cette nature d'émotions vraie, réelle, n'étant plus une passion de cabinet, doit se communiquer nécessairement à la poésie, et que rien d'élevé, de vrai dans les arts d'imagination, dans l'éloquence, dans la poésie, ne paraîtra, sans être marqué de ce caractère.

Mais quoique cette forme de composition nous soit maintenant indigène, qu'elle ne vienne plus seulement d'Angleterre, en copiant des pages d'Young, il faut qu'elle soit toujours dominée par cette convenance et cette vérité qui bannissent les longueurs. Ce qui est monotone est toujours faible. Si vous vous arrêtez trop long-temps sur ces émotions tristes, vous ne pénétrez plus au fond de l'âme. Je préférerais aux Nuits d'Young, ce

morceau touchant et court dans lequel un poëte a jeté quelques-uns des sentimens de son âme, s'est occupé en passant de la vie et de la mort, de Dieu et de l'avenir, non pas avec la gravité orthodoxe d'un théologien, mais avec l'agitation d'une âme jeune, curieuse, mélancolique. Ce sont des élans du cœur, ce ne sont pas des traités; si c'étaient des traités, longs comme les Nuits d'Young, il pourrait y avoir du génie par accident; mais cela me fatiguerait plus que cela ne me toucherait. J'y verrais une espèce de spleen littéraire qui pourrait bien finir par le suicide du talent.

Je ne raisonne plus, et je vais citer (1):

Mon cœur lassé de tout, même de l'espérance, etc. voilà, suivant moi, la poésie mélancolique dans sa plus touchante expression. La voilà naturelle, éloquente, plus remplie de grâce encore que de tristesse, et surtout très-courte et très- rapide, donnant à l'âme une émotion, et ne lui faisant pas le long commentaire de sa propre douleur, ne la prêchant pas sur sa souffrance.

(1) Lamartine, Méditations poétiques.

De l'Imprimerie de TROUVÉ et Compagnie, rue Notre-Dame-des-
Victoires, no 16.

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Nous allons maintenant étudier la seconde époque littéraire du dix-huitième siècle, en France, en Angleterre et en Italie, trois pays si voisins et si divers, qui se sont communiqué leurs inspirations et leurs idées. En France, sous le nom de seconde époque, je désignerai le temps où les quatre génies créateurs du dix-huitième siècle n'agissent plus seuls sur la littérature, et sont remplacés ou entourés par ce nombre assez grand d'esprits inférieurs, mais brillans, qui concoururent à donner aux lettres françaises un carac➡ tère de popularité dans toute l'Europe.

En Angleterre et en Italie, cette seconde époque doit nous offrir encore des esprits d'un ordre élevé, des hommes dont les pensées agissent beaucoup sur l'esprit français. Une sorte de réaction s'accomplit; et, de même qu'au commencement du dix-huitième siècle, l'Angleterre avait réfléchi le génie de la France, ainsi dans cette époque la France à son tour réfléchit l'Angleterre. Notre esprit d'abord si brillant, devint imitateur; notre littérature, d'abord imitée des anciens, devint copiste des modernes, même en cherchant la gloire de l'innovation et du paradoxe. L'innovation, si l'on peut parler ainsi, se plaça seulement dans la singularité de l'imitation.

C'est surtout l'Angleterre qui devint alors le modèle privilégié de la France. Les grands génies même du dix-huitième siècle l'avaient imitée; les esprits secondaires devaient l'imiter bien davantage. Ainsi, Messieurs, le développement naturel de notre cours, ce rapport, cette corres➡ pondance, que nous marquons sans cesse entre les peuples principaux de l'Europe se communiquant par la pensée, nous obligent à nous arrêter quelque temps sur l'Angleterre.

Nous avons déjà parlé de ses poëtes. En effet, quand il s'agit d'imagination et de génie, les poëtes ont le droit d'être en tête du mouvement; ce sont eux qui agitent les premiers l'esprit de

leur nation, qui jettent sa pensée dans des routes nouvelles, qui éveillent et développent ses sentimens. Ainsi, dans la Grèce, Homère, ou toute l'école poétique qui s'appelait Homère; ainsi, dans l'Italie, quelques-uns de ces vieux poëtes, que Virgile n'a fait oublier qu'en morcelant leurs vers dans les siens, ainsi, dans l'Europe du moyen âge, ce Dante, si grand théologien pour son siècle, et si grand poëte pour le nôtre, ce Dante, qui créa à la fois toute une mythologie et toute une langue, ont les premiers remué l'esprit de leurs contemporains, et donné le mouvement aux siècles à venir.

Ainsi, en Angleterre, Shakspeare a tout fait naître à la fois, la hardiesse, le sublime du langage, l'imagination dramatique, soit dans le pathétique, soit dans la comédie. Ainsi, notre Corneille, venu plus tard, quand la langue française était déjà dénouée par le génie de Montaigne, eut peut-être une influence moins universelle, moins éclatante, remua moins de choses à la fois; et cependant, sa trace se trouve dans tout ce que l'esprit humain a fait de grand en France au dix-septième siècle.

Mais ces grands hommes, ces poëtes qui mènent la pensée de leurs contemporains, qui la poussent en avant, il ne faut pas les espérer à toutes les époques même, de splendeur littéraire. Young, Thompson, que j'ai nommés, dont

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