Page images
PDF
EPUB

α

« doit les dominer pour parler de plus haut et de plus loin <«< aux peuples émus, nos temples auraient-ils pris vers le ciel «< un essor si élevé? Les verrions-nous porter jusqu'aux nues ces voûtes hardies suspendues dans les airs plus que sou<< tenues sur ces colonnes fuyantes qui semblent moins, par «<leur admirable légèreté, les lier à la terre que les lancer « dans l'espace? Non; ils auraient gardé les proportions << lourdes et ramassées des basiliques primordiales, avec leurs « cintres abaissés, leurs enceintes écrasées, où la vie est « étouffée faute d'air et de lumière.

<< Sans la cloche aurions-nous ces gracieuses campaniles, «ces flèches aériennes, ces tours majestueuses, imposantes « par leur masse gigantesque ou étincelantes de mille jours « et découpées en élégantes dentelures, où le ciseau de l'ar« tiste s'est joué avec les prodiges, et qui font le plus bel << ornement du village comme la gloire et l'orgueil des métro<< poles? Enlevez ces monuments, que restera-t-il ? Une « morne uniformité d'édifices rangés sous un niveau mono<«< tone. Aussi, rien n'est triste comme l'aspect de ces villes, << reines sans diadème, assises dans l'humiliation, dont aucun << emblème divin ne surmonte les toits découronnés, soit que «la main du temps ou celle des hommes les ait dépouillées « de leur splendeur antique, soit que la nouveauté de leur « existence ne leur ait point permis de recueillir cette riche << succession d'un autre âge. Là, point de ces dômes solennels « dont le langage muet, mais éloquent, se fait entendre aux « yeux. Là, point de sons qui frappent l'oreille que le cri de « la scie et le bruit de l'enclume. Là, surtout point de voix « mystérieuse qui parle à l'âme. On sent le vide dans ces cités pleines de peuple; c'est comme une froide impression de « Dieu absent qu'on ne voit point règner par sa grandeur au« dessus des habitations de l'homme et veiller, par sa bonté, <<< aux besoins de ses enfants. >>

[ocr errors]

« Demandez au jeune homme étudiant qui revient des « écoles publiques, au soldat qui rentre dans ses foyers,

« à l'émigrant qui rapporte au toit héréditaire les moyens «de subsistance qu'il est allé gagner à la sueur de son vi«sage dans les terres étrangères; demandez-leur pourquoi

[ocr errors]

leur cœur bat plus vite, pourquoi leurs yeux se mouillent « de larmes quand ils commencent à entrevoir, à travers le feuillage des vieux ormes, au-dessus de la fumée du ha« meau, le clocher, que leurs songes leur ont représenté « tant de fois, dans les jours de l'absence; quand arrivent « à leurs oreilles les premières modulations de la cloche « qu'ils craignaient tant de ne plus entendre? Ah! c'est « que ce clocher a prêté son timbre aux jeux innocents de « leur enfance; c'est que cette cloche les a appelés aux le<< çons du bon pasteur, les a conviés au banquet divin; c'est « qu'avec celui-ci, elle a pleuré les funérailles d'un père; « c'est qu'avec celui-là, elle a frémi de joie sur le berceau « d'un nouveau-né.

« Nous parlons surtout ici du village, parce que c'est « au village que ces impressions sont le mieux senties, et « malheur à lui si jamais il les laissait s'affaiblir et s'effa« cer! Il perdrait, avec ses mœurs simples et sa foi naïve, « les seules jouissances véritables qu'il lui soit donné de « goûter et qui peuvent adoucir la rigueur de ses privations. « Car, la cloche est tout pour l'habitant des campagnes : « elle est sa règle, son moniteur et son guide. C'est elle « qui marque la division du temps, qui indique les heures << de la réfection et du sommeil, du travail et du repos. »

(La fin au prochain numéro.)

NOEL DESCOINS.

L'HISTOIRE DE MES VOISINS

(Fin.)

Catherine s'était mariée un peu avant la guerre de 1870. Son père faisait alors le commerce des bois dans une petite bourgade des Vosges. Tout prospérait à ce moment; la famille était dans l'aisance, le mari de Catherine travaillait avec son père. Ils avaient une maison qu'ils habitaient ensemble et où ils avaient placé une partie de leurs économies. Au moment de la déclaration de guerre, le père avait fait de grandes provisions de bois qu'il comptait revendre bientôt avec bénéfice; soudain la guerre éclata; après les premiers revers, les Prussiens arrivèrent; ils étaient furieux de la résistance qu'ils venaient, paraît-il, de rencontrer dans la montagne où une poignée de francs-tireurs et quelques paysans les avaient arrêtés une demi-journée dans une gorge. Ils brûlèrent tout dans le bourg et brisèrent ce qu'ils ne pouvaient brûler. La petite maison et les bois, seule fortune du père de Catherine, furent anéantis.

[ocr errors]

Ils se trouvèrent tous du coup ruinés; pis que cela, endettés; car la plupart de ces bois n'étaient pas payés. C'était le déshonneur, la faillite. Le père, fou de douleur, tomba malade et mourut au bout de quelques jours; la vieille mère fit elle-même une longue maladie. La pauvre Catherine était seule à ce moment, son mari était parti pour l'armée Réfugiée dans une cabane construite à la hâte avec les débris de l'ancienne maison, en proie à la misère la plus profonde, soignant sa mère malade, Catherine attendit le printemps. Il arriva enfin et avec lui le mari qui n'avait pas été blessé heu

reusement.

Il se mit hardiment et sans défaillance à la besogne, répara un peu la chaumière, passa quelques journées sous ce toit où les pierres noircies avaient été les témoins de son

bonheur d'autrefois; puis il partit pour la ville où il espérait trouver de l'ouvrage.

Au bout de quelque temps, quand la mère rétablie fut capable de soigner son jardin et de se suffire à elle-même, Catherine vint retrouver son mari, et ils travaillèrent tous deux avec l'ardeur et la patience que donne un noble but constamment poursuivi.

Ils voulaient, les braves cœurs, payer les dettes du père et soutenir la mère. Les deux jolis êtres que je voyais de ma fenêtre, naquirent pendant ce temps.

Plus tard, embauché dans une troupe d'ouvriers qui partaient pour P..., le mari de Catherine quitta la ville où il travaillait, emmena sa femme et vint habiter le pauvre et étroit logement où je les avais connus. « Ici, Jacques gagnait davantage, ajouta Catherine; nous avions déjà amassé 4,200 fr. qui avaient été remis par petites sommes au notaire chargé de régler la succession de mon père. Tout allait bien quand le malheur est venu !... >>

Nous échangions, mon ami et moi, des regards étonnés et émus. Ces pauvres gens vivant au jour le jour et se chargeant encore des dettes du vieillard, travaillant la moitié de la journée pour eux, et l'autre moitié pour celui dont ils avaient la mémoire à défendre et à réhabiliter; ces sacrifices obscurs, incessants, si courageusement supportés; tout cela nous émouvait fortement, et c'est la voix empreinte d'émotion et de respect, que mon ami, en quittant Catherine, lui promit de faire tout ce qu'il pourrait pour son mari. Elle nous remercia tous deux avec effusion pour le bien que nous lui avions fait, comme pour celui que nous voulions lui faire encore, et nous accompagna en dissimulant sa douleur pour ne pas nous attrister.

En nous séparant, N... paraissait triste et soucieux. « Cette femme m'a ému, disait-il. Un moment l'innocence de cet homme courageux et honnête m'a paru évidente; puis, j'ai douté. Des charges graves pèsent contre lui; je ne me le dissimule pas. Cette histoire n'est peut-être qu'un conte... Ce

pendant il me semble que jamais l'honnêteté et la franchise n'eurent des accents plus sincères. Enfin où est la vérité, ajouta-t-il en me serrant la main. - Dieu le sait... nous le saurons peut-être aussi ! »

[ocr errors]

A trois jours de là, un soir où j'étais plongé, c'est le mot, dans un livre très intéressant concernant les fractures en général, et celles des jambes en particulier, on frappa vigoureusement à ma porte de manière à me faire sauter sur ma chaise, et sans plus attendre, mon ami N... s'introduisit dans ma chambre. Bonjour, mon cher ami, me dit-il, pardon de te déranger ainsi; mais tu ne le regretteras pas tout à l'heure. J'ai des choses si graves à t'apprendre que cela m'étouffe ; ferme tes bouquins tout de suite. Je vais te conter cela. Làdessus il se mit à se promener de long en large dans ma chambre, en me disant : « Je t'ai parlé, l'autre jour, tu te le rappelles sans doute, de ma première entrevue avec Jacques, mon client, le mari de Catherine. C'était dans une cellule où se trouvait un autre homme que je distinguai mal tout d'abord. Toutefois, je ne tardai pas à le remarquer. Dès que Jacques eut commencé son récit, il se tourna vers nous et me montra sa figure en plein éclairée par le jour qui venait de la fenêtre. Il avait une tête peu sympathique, des yeux intelligents mais sauvages, le nez long, les cheveux blonds rasés et le front déprimé.

« Il prêtait une curieuse attention à mon entretien avec Jacques; plusieurs fois nos regards se croisèrent; mais il baissait toujours les yeux pour éviter les miens.

« Au moment, ces détails m'avaient frappé, puis je les avais oubliés. Aujourd'hui je retournai voir Jacques; j'avais quelques questions à lui faire, et je voulais lui donner des nouvelles de ses enfants. En apprenant que l'un d'eux avait été malade, le pauvre garçon laissa couler quelques larmes et détourna la tête en me disant : Pauvre enfant !

« A ce moment mes regards tombèrent sur ce compagnon de cellule que j'avais déjà remarqué l'autre fois; il avait

« PreviousContinue »