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LA RÉPONSE D'UNE MARGUERITE.

SOUVENIR D'UNE JEUNE FILLE.

C'était par une belle après-midi de Mai. Nous nous rendions, mon père et moi, à la fête que donnait à ses voisins le nouveau propriétaire du château de Bauval. Elle devait être brillante: concert, loterie, bal champêtre, goûter sur l'herbe, en un mot tous les plaisirs qu'en pareille circonstance offre à ses invités un maître de maison qui peut et qui sait bien faire les choses. Cependant, ce n'était pas la perspective de ces divertissements, qui, depuis l'invitation reçue... depuis huit jours, me faisait rêver à cette fête.

Notre maison de campagne était peu éloignée du château de Bauval. Nous avions donc pris les allures de gens qui ont du temps devant eux pour arriver, et n'ont pas besoin de se rappeler que la ligne droite est le plus court chemin d'un point à un autre. Nous suivions donc la ligne en zig zag. Mon père herborisait de ci et de là; moi, je m'arrêtais presque à chaque pas, à droite ou à gauche, admirant les fleurs printanières dont la prairie était émaillée. Tout à coup, une large touffe de marguerites, mes fleurs préférées, qui bordait presque le chemin, fixa mon attention. Une d'elles surtout: complétement épanouie, droite, ferme sur sa tige, elle s'élevait au-dessus des autres encore fermées en bouton ou seulement à demi ouvertes. Comme dans un groupe de famille, la sœur aînée, dont la beauté se révèle déjà, dépasse et domine ses jeunes sœurs qui ne donnent encore que des espérances.

Les blancs pétales de la marguerite me paraissaient provoquants, et son petit cœur, jaune comme l'or, semblait me dire « Allons! jeune fille, cueille-moi ; tu as seize ans ; n'as« tu rien à me demander? Consulte mon oracle infailible, il t'apprendra ce que tu désires savoir. Cueille-moi, cueille« moi!... »

Comment résister!... je m'inclinai en souriant, je cueillis la marguerite dont la couleur d'innocence me promettait franchise et vérité; d'un œil ému, je la fixai d'abord; puis, d'une voix qui voulait être ferme: « Je vais à une fête, lui dis-je; veux-tu me dire s'Il y viendra? » Je m'arrêtai ensuite anxieuse; puis, comme la fleur tremblait dans ma main et semblait. impatiente de me répondre, mes doigts l'effeuillèrent bien vite viendra-t-Il?... ne viendra-t-Il pas?... - oui. -- non. Ces mots plusieurs fois répétés laissèrent encore sous mes doigts fiévreux deux ou trois pétales.

C'était le moment solennel. Me recueillant, et non sans un fort battement de cœur, je me disposai à entendre la véridique sentence, mes yeux attachés sur la fleur lui disaient dans un langage muet mais expressif: « Ne me trompe pas, de grâce, fleurette! ne me trompe pas ! » Une des fe uilles tombe: Il viendra, dit-elle ; puis, une seconde répond : Il ne viendra pas; et enfin la troisième, avec un petit air de malice, prononce: Il viendra!!!... Je sautai de joie.

De la pauvre fleur effeuillée, il ne restait entre mes doigts que la mince tige et le petit cœur d'or... Toute émue, reconnaissante, je les couvris de baisers et les replaçai sur la touffe d'où je les avais détachés dans un état bien différent.

Je n'avais plus qu'une pensée: arriver au plus tôt à la fête. Mon père resté en arrière me rejoignit. Dissimulant, sous une raison banale, le motif secret de mon impatience : «Ne nous détournons plus, lui dis-je, il faut ne pas être « des premiers, mais ne pas être non plus des derniers. » Pourquoi ne l'avouerai-je pas ? dans ma marche hâtive, parfois le doute, plus cruel encore pour le cœur que pour l'esprit, le doute se présente à moi ; « Si la marguerite avaient menti? « Et me voilà troublée, confuse, interdite.« Si....si... ; mais non, non, la marguerite ne peut pas mentir, la marguerite ne ment pas. Si elle mentait, c'est que tout mentirait ici-bas, et je ne puis pas l'admettre.» Alors je me sentais de nouveau confiante, heu

reuse, honteuse presque de cet instant de méfiance, et impatiente de plus en plus.

Comme il me parut long le court trajet qui nous restait à faire! Nous arrivons enfin, et... je ne l'aperçois pas ! Pourtant, telle est encore ma confiance dans la réponse de la marguerite que je murmure tout bas: « C'est un retard, rien qu'un retard, Il va venir... Il viendra! »

Je me mêle à la foule des invités, je montre de l'entrain, de la gaîté, mais une gaîté un peu nerveuse, on le comprend. Les instants passent, les heures s'écoulent; mais qu'importe ! Il va venir, Il viendra!

Mais quoi! déjà ? c'est la dernière heure qui sonne !... personne n'arrive plus, on se dispose à partir, on se cherche, on s'appelle, on part! ... mon père et moi prenons congé, les derniers, des maîtres de la maison.

« Ah! maudite fleur, perfide marguerite, tu m'as trompée, <«<tu as menti; mais tout ment alors ! »>

Nous reprenons le même chemin que nous avions suivi ; mais ai-je besoin de le dire? Quelles sont différentes mes impressions actuelles de celles que j'avais éprouvées en me rendant à la fête ! Je marche lentement à côté de mon père, la tête basse, sans dire mot, et seulement, poussant, de temps à autre, un soupir que je m'efforce d'étouffer. Mon père se méprend. - «Je comprends tes regrets, chère fille, me dit-il; « une fête aussi belle, une fête où l'on s'est tant amusé ne devrait jamais finir, n'est-ce pas ? Du moins, tu en as pris «ta bonne part. >>

Cependant nous avançons; nous avons parcouru la longue avenue du château, nous dépassons le poteau indicateur de la grande route. « Ah! c'est ici, oui, c'est bien ici, sur le bord de la prairie, que j'ai remarqué cette touffe de marguerites, que j'ai cueilli la plus belle et que je l'ai interrogée Mais je détourne aussitôt la vue. « Non, non, vilaines fleurs, je ne « veux pas vous voir mais vous dire seulement: Vous n'êtes

a que d'insignes bavardes, et vous feriez bien mieux de <«<vous taire au lieu de ne parler que pour mentir! »

On le sait; lorsqu'on mêle quelques paroles bonnes ou méchantes, méchantes surtout, à sa mauvaise humeur, elle perd de son intensité. C'est ce qui m'arriva. La sévère apostrophe que j'avais adressée aux marguerites calma d'abord un peu mon irritation; puis vinrent la réflexion et le raisonnement. N'aimais-je pas trop les marguerites pour rompre avec elles et les haïr à tout jamais? Ne serait-ce pas trop payer, à ce prix, la vengeance de ma déconvenue?... Là-dessus, je me retournai vivement, et j'envoyai aux marguerites, déposé au bout de mes doigs, le baiser de la réconciliation. Preuve évidente, ce me semble, que si j'ai beaucoup de défauts, je n'ai pas du moins celui de garder rancune.

Une circonstance particulière vint encore raffermir en moi ces sentiments de pardon et d'oubli. Au moment où nous atteignions notre domaine, la cloche du village sonna l'Angelus. Singulier rapprochement! je me sentis reportée plusieurs année en arrière, à l'époque où j'avais encore ma vieille grand'mère; et les sons de la cloche, tantôt joyeux, tantôt tristes et graves, me rappelèrent la voix chevrotante et parfois ricaneuse de ma bonne aïeule me répétant cette recommandation, l'une de celles qu'elle affectionnait le plus : « Enfant, ne l'oublie jamais; que ce soit homme, femme « ou fleur qui parle, de tout ce qui est dit, il faut en pren«dre et en laisser. »

Je n'ai plus seize ans. En avançant dans la vie, j'ai mis, plus d'une fois, en pratique les maximes de ma grand’mère, et je m'en suis toujours très-bien trouvée ; je ne doute pas qu'il en soit de même pour tous ceux qui feront comme

moi.

LYDIE P...

PENSÉES.

La timidité est la poésie de l'amour.

Une femme sans pudeur est une fleur moins le parfum.

La manière dont un service a été rendu peut justifier l'ingratitude de l'obligé.

Les gens médiocres affectent d'être graves partout et toujours; les hommes d'esprit savent l'être quand il le faut.

L'esprit invente, le goût choisit.

Une fortune imprévue est la pierre de touche de la médio

crité.

L'avare, comme l'ivrogne pour le vin, a pour l'or une soif indésaltérable, car elle s'accroît aussi à mesure qu'il la satisfait.

Dieu est un ami que l'on oublie aux jours heureux, mais vers lequel on revient vite aux mauvais jours.

THEOPHILE VALLIÈRE.

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