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BATTRE FROID A QUELQU'UN.

Lui montrer de la froideur.

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BATTRE LE CHIEN DEVANT LE LOUP. Feindre de se facher contre quelqu'un pour tromper une autre personne.

On sait que la bastonnade est fort en usage en Russie; aussi existe-t-il un proverbe russe qui dit :

Un homme battu vaut mieux que deux qui ne l'ont pas été.

Quelques proverbes anciens expriment l'utilité du bâton :

Qui a lance au poing, tout lui vient à point.
Bien doit porter baston qui a voisin félon.

Comme un faquin porte faix,

Ainsi le baston la paix.

Le mot faquin signifiait autrefois crocheteur, porte faix. Pour ce qui est du bâton: appui, soutien, Musset, dans le proverbe intitulé: Il ne faut jurer de rien, fait dire à un neveu que son oncle menace de déshériter: « Prenez garde. « mon oncle, vous allez casser votre bâton de vieillesse. » Mme de Puizieux a dit, dans un autre ordre d'idées : « L'athéisme est un mauvais bâton de vieillesse (1). »

Dans cette longue série de locutions, j'ai réservé pour la dernière celle-ci que je m'approprie et à laquelle je vous associe, cher lecteur : à propos de mon livre, puissiez-vous ne pas dire de moi : « Il a donné le bâton pour se faire battre. »

AUGUSTE LAFORET.

(1) Pour les diverses locutions proverbiales citées dans ce chapitre, voir les livres spéciaux et notamment le Dictionnaire des proverbes, par P.-M. Quitard. Paris, 1812.

LITTÉRATURE NORVÉGIENNE

P.-CHR. ASBJØRNSEN (1)

Il n'est pas de nom plus populaire - en Norvège que celui de Peter-Christen (Pierre-Christian) Asbjornsen. Et cette particularité de bon aloi, fusion des sentiments naïfs de l'homme des champs et de l'appréciation critique des lettrés, n'est pas un banal compliment adressé par les seuls Norvégiens à leur littérature nationale: des éditions danoises, des traductions en suédois, en anglais, en allemand, etc. (2), témoignent abondamment du succès qu'ont rencontré partout où elles ont pénétré les œuvres de l'écrivain populaire, et en particulier les Contes Norvégiens (Norske Eventyr), les Contes des habitants du monde invisible (Huldre-Eventyr).

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C'est au livre 4er des Contes populaires recueillis par Asbjornsen et Jorgen Moe- que nous empruntons le récit présenté aujourd'hui aux lecteurs de la Revue de Marseille: sa donnée mythique remonte, tout au moins, à la première des deux Edda et reparaît dans la seconde sous une forme qui se rapproche de celle du conte. La parenté est plus reconnaissable dans la nouvelle Edda, qui attribue les qualités salines de la mer à l'action d'un moulin sous-marin et explique de même les tourbillons, à commencer par le gouffre du Malstrom. Elle est moins frappante dans l'ancienne Edda où il est simplement parlé d'un moulin merveilleux qui s'abîma dans la mer, après avoir moulu de l'or pour Frode, roi de Danemark, et du sel pour un viking fameux.

(1) Prononcez Asbieurnsen.

(2) V. dans le Journal littéraire, no 5 (1865) et dans le Courrier du Dimanche, no 7, même année, ma traduction de L'ogre qui ne portait pas son cœur sur lui; — dans Le jeune Polyglotte, tre année, no 1: L'oiseau-Gertrude; et 2 année, no 1: Les trois boues Bruse, Pourquoi l'ours n'a qu'un petit bout de queue,

Quelle différence entre la saga un peu lourde d'allure, à la façon des vieilles chroniques, et le récit au tour vif qu’Asbjornsen a recueilli de la bouche même des paysans ! Mais le mythe y a perdu de sa pureté originelle, certains traits ont été appliqués après coup, et la description du séjour des démons, l'idée de cacher le moulin derrière la porte de l'enfer, sont des épisodes intercalés après l'introduction du catholicisme. Il est vrai qu'il n'est pas besoin d'être un mythologue de profession pour éliminer ces éléments étrangers et retrouver, sous sa forme nouvelle, le fond tout païen de la vieille

saga.

Asbjornsen n'est pas seulement un conteur inimitable, riche d'humour, familier avec les mœurs et les idées des paysans, dont il excelle à reproduire le langage: un sentiment inné qu'il a développé avec passion pendant ses longs séjours à la campagne, l'a marqué poète; et l'on est séduit à le lire ouà l'entendre par l'accent de vérité qui se dégage de ses descriptions saisissantes mais concises, comme il convient en style de conte.

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Le célèbre conteur norvégien est né à Christiania le 15 janvier 4842. Il aura donc bientôt 68 ans; mais chez lui l'imagination est restée vive et jeune, ainsi que cet esprit de tournure un peu anglaise, particulier aux norvégiens. Son enfance n'avait pas eu de promesses, ni son adolescence: maladif et obligé d'interrompre ses études pour aider à son père, fabricant d'instruments météorologiques, il ne put passer son dernier examen qu'en 1837, c'est-à-dire à 26 ans envirou; mais par une heureuse disposition de la Providence, il s'était trouvé dans la nécessité, vu son isolement et son manque de ressources, d'accepter une place de précepteur à la campagne, et ce fut pendant les quatre années de ce modeste préceptorat qu'il jeta les bases de sa future vie littéraire. Il aimait les longues marches et se plaisait à gravir les montagnes, à suivre le cours des torrents au fond des vallées, à voir

rebondir sur la roche polie les cascades qui se détachent si blanches dans leur cadre de noirs sapins, et sa fantaisie peuplait ces paysages de Trold ou de géants. C'étaient là ses plaisirs du matin. Le soir, les vastes clairières l'attiraient; sur le gazon argenté par la lune, il évoquait les Nisse au bonnet pointu et se préparait ainsi à recevoir, à mieux saisir les récits naïfs du vieux temps; mais surtout il recherchait les paysans, étudiait leur vie, leurs habitudes, leur poésie, et peu à peu pénétrait dans leur pensée. Grâce à son entrain naturel, il sut leur arracher, un à un, et par un prodige d'habileté patiente que comprendront seuls ceux qui ont pratiqué le paysan du Nord de l'Europe, ces contes si charmants dans leur simplicité, qui reposent de la lecture fastidieuse des contes à fées et à génies.

Cette esquisse serait incomplète si elle passait sous silence les services rendus par Asbjornsen à l'histoire naturelle en général et à l'agriculture de son pays.

En 1853, après des dragages nombreux qui mirent en lumière la prodigieuse richesse de vie animale cachée dans les abîmes de la mer, il eut la bonne fortune de retirer du fiord de Hardanger, par 200 brasses de profondeur, une astérie de deux pieds de diamètre, armée de onze bras, aux couleurs éclatantes, et sans aucune analogie avec celles connues des savants. Cette trouvaille fit révolution dans l'histoire de la géologie et dans le domaine de la zoologie: elle conduisit les géologues à établir que les ancêtres fossiles de l'astérie d'Asbjornsen appartenaient à la période des terrains crétacés, époque tertiaire, et les zoologues reconnurent en elle le trait d'union nécessaire, et jusqu'alors cherché en vain, entre les rayonnés et les ophiures.

Cette découverte émut les naturalistes de tous les pays. Les professeurs Carpenter et Wyville-Thomson, de Queen's College, Lutken de Copenhague, Heckel d'Iéna, en firent ressortir l'importance, rendant justice au zèle éclairé du naturaliste

norvégien; mais déjà Asbjornsen, dont les facultés exubérantes se répandaient volontiers sur des objets divers, avait tourné les yeux vers les belles forêts de son pays. Il en fut nommé le conservateur et en régla l'aménagement, tout en s'occupant de l'exploitation des tourbières. Initiateur infatigable, il améliorait d'un côté, créait ou organisait de l'autre.

Les bornes de cette notice ne nous permettant pas d'insister sur les côtés multiples d'une carrière si remplie, nous renvoyons les lecteurs curieux de détails à la brochure publiée par M. Alfred Larsen (La vie et les œuvres de P.-Chr. Asbjærnsen, Christiania, Werner et Cie, 1873); mais nous toucherons en terminant, à un point particulier qui nous semble dominer l'œuvre du polygraphe norvégien.

Vulgarisateur par excellence, Asbjornsen se plaît à élucider, pour le grand public, des questions que dédaigneraient des écrivains moins amis du peuple; lui ne méprise rien; il a traité de omni re scibili, depuis la poésie jusqu'à la tenue d'un ménage, en passant par l'agriculture, l'industrie et l'économie politique. Partout il laissera sa trace, mais nulle part plus lumineuse qu'en littérature, et déjà son influence s'est montrée décisive sur l'esprit, la langue, la manière des poètes et des nouvellistes norvégiens auxquels il a indiqué la source de toute poésie nationale: la vie du peuple.

Enfin, Asbjornsen a été l'un des premiers pionniers de cette réforme de la langue, qui devait suivre et qui suivit la rupture de l'union Dano-Norvégienne (1814). Pourquoi ses imitateurs ne se sont-ils pas tous maintenus dans les sages limites que le bon goût et un tact sûr avaient tracées à leur devancier ?

V. MOLARD.

Mantes, Août 1879.

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