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sance est limitée et la sienne sans limites, mais que de plus, il y a cette différence que nous pouvons seulement modifier ce qui est, tandis que la vertu de Dieu donne l'être. Quand on affirme en ce sens que Dieu ne peut tirer le monde du néant, on limite la puissance de Dieu la puissance de Dieu n'a qu'une seule limite, c'est le contradictoire. La production d'une substance implique-t-elle contradiction? Qu'on le prouve (1).»

C'est ce qu'on ne fera pas de longtemps, à moins qu'on ne prenne au sérieux cette idée prétentieuse et puérile de M. Renan écrivant à M. Berthelot: « Ne pensez-vous pas que le molécule pourrait bien être, comme toute chose, le fruit du temps, qu'elle est le résultat d'un phénomène très-prolongé, d'une agglutination continuée des milliards de milliards de siècles? » Triste et pauvre plaisanterie ! Le temps n'a jamais rien produit par lui-même, et les phénomènes ne sont que des modes isolés et fugitifs. Nous aurons à revenir sur cette échappée sur le darwinisme.

Lactance et Bossuet ont fait ressortir que toutes les erreurs en matière de religion et de philosophie n'ont été, dans tous les temps, et ne seront toujours que la conséquence logique, inévitable de la négation du dogme de la

(1) Histoire de l'école d'Alexandrie, I, p. 368.- V. le P. Gratry, De la Connaissance de Dieu, I, p. 250, édit. in-18, et ses Lettres sur la Religion, p. 276: « Nous, nous disons: Au commencement, il y avait l'ouvrier, mais non pas l'œuvre l'ouvrier a fait l'œuvre : è nihilo. Et vous, vous dites: Au commencement il n'y avait ni ouvrier ni œuvre. C'est donc le double è nihilo, le nihilum à parte operis, et puis le nihilum à parte operantis; néant d'œuvre et néant d'ouvrier. Que si notre doctrine est vraie, la vôtre demeure absurde: si notre doctrine est absurde, la vôtre l'est deux fois. » On ne sait trop ce que la science moderne pourrait répondre à ce raisonnement scientifique. En voulant tirer le fini de quelque chose de préexistant, elle est obligée de le faire sortir de l'infini, ce qui la rend panthéiste; ou elle le compose avec la matière éternelle, ce qui la fait manichéenne. La Genèse seule se tient loin de ces deux écueils, en proclamant dès le premier verset le dogme de la Création par la puissance et l'énergie seules de Dieu,

Création. Aussi, les anciens philosophes,

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comme l'a démontré le P. Ventura, - ayant tous nié le dogme primitif et traditionnel de la Création, sont tombés dans l'athéisme en fait de religion, dans le cynisme en fait de morale, dans le scepticisme en fait de philosophie. M. Jules Simon, dans sa Religion naturelle, reconnaît: « qu'aucune école philosophique n'avait enseigné le dogme de la Création avant le Christianisme. »> Aussi, devaient-elles toutes tomber dans les plus graves erreurs.

Si Dieu n'a pas créé le monde du néant, mais l'a formé d'une matière préexistante, incréée, éternelle comme luimême, c'est le dualisme de Platon et d'Aristote, c'est-à-dire la doctrine de deux principes également éternels et, par conséquent, également Dieu. Si Dieu a tiré le monde de sa propre substance, c'est le pantheisme ou la doctrine d'une seule substance réelle, c'est-à-dire que Dieu est tout, et que tout est Dieu. Si Dieu n'est pour rien dans la formation du monde; si le monde est le résultat du mouvement éternel essentiel à la matière, ou des agglomérations fortuites des atômes, c'est l'atomisme ou le matérialisme. Or, ces trois systèmes, avancés successivement par tous les sophistes et les ergoteurs qui se sont succédés depuis plus de deux mille ans, ont sombré sous les coups d'une sage et vraie philosophie. C'est que l'Eglise a pour nous des illuminations qui manquèrent aux plus nobles esprits de l'Antiquité et qui font défaut à ceux qui ferment volontairement les yeux à la Lumiere. Là, où Socrate disait : « Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien; » là, où Cicéron, écho, en cela, des Académiciens, faisait entendre cette désespérante conclusion « En présence d'une obscurité si profonde, de la discorde, de la contradiction de la part des plus grands hommes raisonnant sur tout sans pouvoir s'entendre sur rien, je me vois obligé de m'attacher à ce principe: que l'homme ne peut rien comprendre, rien savoir, être certain de rien (nihil percipi posse, Acad., 11); là, enfin, où le plus déso

lant scepticisme était le dernier mot de ces anciens sages que Tertullien appelait : « des animaux de gloire », le plus simple enfant chrétien, au moyen de son catéchisme,

comme nous a dit Jouffroy, a des convictions découlant d'une source divine et qui défient le doute et la contradiction. Le vrai ne contredit pas le vrai.

<< Quand l'Eglise catholique, a dit Mer Freppel, enseigne que Dieu a créé toutes choses de rien, elle pose un principe de causalité tout-puissant et réel; elle n'envisage pas le néant comme une matière première d'où le monde aurait été tiré, ce qui serait contradictoire dans les termes; en deux mots, elle affirme un acte mystérieux sans doute, mais qui ne répugne pas à la raison. Dans la pensée de Hégel, au contraire, le néant devient l'être par lui-même, en vertu de son énergie propre et sans le secours d'une force étrangère: c'est une absurdité à la place d'un mystère. » - Ce qui confirme la pensée de Bossuet: « Pour ne vouloir pas croire des mystères incompréhensibles, ils suivent, l'un après l'autre, d'incompréhensibles erreurs. »

Voici la conclusion de saint Augustin: « Quand on dit: Dieu a tout fait de rien, on ne dit autre chose que ceci : Il n'y avait rien hors de lui pour faire son œuvre; il l'a faite parce qu'il l'a voulu. » ( Ad Oros., III.) Un autre grand métaphysicien a dit : « Celui qui existe souverainement et infiniment peut, par son existence infinie, faire exister ce qui n'existe pas. Il manquerait quelque chose à l'être infiniment parfait, s'il ne pouvait rien produire hors de lui. Rien ne marque tant l'être par soi, que de pouvoir tirer du néant et faire passer à l'existence actuelle (1). »

Il faut donc que Dieu ait créé le monde de rien, c'est-àdire sans matière préexistante. Cela est; or, comment cela s'est-il fait ? c'est un mystère pour l'intelligence humaine.

(1) Fénelon, De l'existence de Dieu, 2e partie.

Mais encore vaut-il mieux s'en tenir au mystère de la doctrine chrétienne, qui jette un si grand jour sur l'importante question de l'origine des choses, - que de se perdre dans les contradictions et les absurdités palpables du panthéisme.

Et le monde fut créé en six jours! Ici se présentent les objections spécieuses, relativement à la durée de ces jours. Sont-elles plus fondées? c'est ce que nous exami

nerons.

JULES COURTET.

(A suivre.)

ALIX.

I.

Aix, l'ancienne capitale de notre belle Provence, tient toujours, entre toutes les villes ses voisines et ses rivales, le sceptre haut levé de l'intelligence et du savoir. Ses murs sont le rendez-vous d'une jeunesse avide d'instruction, qui vient y conquérir, par le travail, son droit de cité dans la république des lettres et ses titres d'introduction dans les carrières libérales.

C'est parmi cette foule laborieuse que se trouvait, il y a quelques années, un étudiant nommé Rodolphe.

Ce jeune homme était le fils unique d'une veuve qui habitait dans une petite terre de famille, située à peu de distance de La Barben, village des environs.

Ce modeste héritage, géré d'une manière intelligente et avec un esprit d'ordre bien entendu, suffisait à la veuve et lui permettait de donner à son fils tous les avantages d'une large et solide éducation.

Rodolphe, privé de son père dès le premier âge, avait grandi, pour la science et la vertu, à l'ombre de la sollicitude maternelle. Son cœur s'était ouvert de bonne heure aux divins enseignements d'une religion éclairée, et, par la suite, ces premiers principes, mùris et fortifiés par l'âge, s'étaient changés en franche et solide conviction. Ayant, d'ailleurs, pour apprendre, une facilité presque exceptionnelle, doué d'une imagination vive et ardente, c'était à pas de géant, pour ainsi dire, qu'il avait marché dans la carrière des études.

Avec cela, quoique éloigné le plus souvent de ses camarades dissipés et insouciants, il n'était ni morose ni sournois; au contraire, avenant, d'un commerce facile, il s'était concilié, de prime abord, par l'aménité de son caractère, l'estime et l'amitié de tous.

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