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accepte un mot aussi parfaitement inintelligible, on ne voit pas pourquoi elle ne se résignerait pas à tous les mystères de la théologie orthodoxe (1). » Il faut donc, d'après les rationalistes, supprimer la Création. Reste bien à expliquer la présence de la matière : nous ne reviendrons pas là-dessus.

On s'était flatté que la Genèse-le Christianisme même pour quelques-uns succomberait sous les investigations

modernes et sous les découvertes de la science. Eh bien ! l'épreuve a eu lieu. La science, la vraie science a parlé, et la Genèse triomphe. Moïse est justifié par les aveux des plus illustres savants, soit au point de vue de la géologie hypothétique, soit au point de vue de la narration révélée. Ecoutez Cuvier : « Moïse nous a laissé une cosmogonie dont l'exactitude se vérifie chaque jour d'une manière admirable. Les observations géologiques récentes s'accordent parfaitement avec la Genèse sur l'ordre dans lequel ont été successivement créés tous les êtres organisés. » Ecoutez Ampère : » L'ordre d'apparition des êtres organisés est précisément l'ordre de l'œuvre des six jours, tel que nous l'a donné la Genèse. Ou Moïse avait dans les sciences une instruction aussi profonde que celle de notre siècle, ou il était inspiré. » Les De Luc, les Dolomieu, les Biot, les Beudant, les Férussac, les Cauchy et tant d'autres ne parlent pas autrement. Buffon et Linnée n'avaient pas tenuun autre langage. « Il est matériellement démontré, disait celui-ci, que Moïse n'a écrit et n'a pu écrire que sous l'influence, non de son génie, mais d'une puissance plus élevée, neutiquàm suo ingenio, sed altiori ductu. »

Ajoutons cette réflexion de Pascal : « La création du monde commençant à s'éloigner, Dieu a pourvu d'un historien unique contemporain et a commis tout un peuple pour la garde de ce Livre, afin que cette histoire fût la plus authentique du monde, et que tous les hommes pussent apprendre une

(1) Vacherot, La métaphysique et la science, préface.

chose si nécessaire à savoir, et qu'on ne pût la savoir que par là. »

C'est donc vers Moïse que nous devons aller, comme vers le phare lumineux et véridique qui brille — depuis plus de trente-cinq siècles — dans la profonde obscurité de ces åges lointains. En démontrant, une fois de plus, que ses récits sont moins le résultat de son génie et de ses connaissances avancées que celui de l'inspiration divine qui pouvait seule lui révéler la Vérité, nous n'aurons pas ouvert une éclaircie nouvelle sur la grande question de la Création. D'ailleurs, en a-t-elle réellement besoin? Mais nous aurons atteint notre but, si nous avons corroboré les croyants, raffermi les faibles et ébranlé ne serait-ce qu'un seul incrédule.

Par ces préliminaires, nous voulons déblayer le terrain devant nous et faire voir le degré de confiance qu'on peut avoir dans le récit mosaïque dont l'authenticité matérielle est incontestable, et la répulsion que doivent nécessairement inspirer toutes ces théories cosmogoniques, filles folles de la fantaisie orientale ou de l'irréligion moderne. Abordons l'œuvre des six jours et ouvrons avec respect ce Livre qui a précédé de mille ans Hérodote, le premier historien profane; Livre le plus ancien dont le monde soit en possession, écrit, il y a trente-cinq siècles et « qui serait le plus grand monument de l'esprit humain, a dit Lacordaire, s'il n'était pas l'ouvrage de Dieu, et auquel ses ennemis même ont été forcés de rendre cet hommage.

Saint Irénée avait dit: Mosis litteræ, verba sunt Dei. C'est pour cela, sans doute, que les Mahométans appellent Moïse la parole de Dieu.

(A suivre.)

JULES COURTET.

AMROUN L'ESCLAVE.

(Fin.)

Amroun cessa un instant de parler. Sa respiration devenait haletante; sa poitrine s'abaissait et se soulevait d'un mouvement précipité. Il passa une main sur son front, et il continual ainsi :

— Parmi la foule d'oisifs et de curieux qui venaient journellement voir les progrès des travaux, je reconnus, un jour, un Egyptien nommé Ansphoah. J'avais été son hôte et son ami au temps de ma prospérité et de ma liberté. Ansphoah me reconnut aussi. Il vint à moi, le soir, les bras ouverts, les larmes dans les yeux et dans la voix. Il me dit :

O Amroun, tes malheurs et ta misère me remplissent de pitié; je voudrais te retirer de la condition abjecte où les destins t'ont précipité. Je suis citoyen romain; j'ai, par conséquent, le droit de posséder des esclaves. Je voudrais t'acheter toi et les tiens, afin de vous rendre la liberté ; mais, hélas ! je ne suis plus riche; la tempête a brisé mes galères chargées de blé venant d'Egypte...

-Tiens, ô Ansphoah, prends ces pierres précieuses, vends-les, puis achète-nous, rends-nous la liberté et je te promets, par le Dieu d'Israël, de te récompenser magnifiquement, car les barbares qui nous oppriment n'ont point découvert, en pillant ma maison, le lieu secret où j'ai enfoui mon or et mes gemmes.

Il prit les trois pierres que je lui tendais.

- Dans trois jours, ô Amroun, tu seras à moi, et dans huit. tu seras libre, ainsi que les tiens. Gloire à Isis et à Sérapis ! Et, plein de joie, Ansphoah s'éloigna après m'avoir dit ces paroles.

O père, murmura Rhammith, retournerons-nous à Jérusalem ?

Attends trois jours...

Dans trois jours Ansphoah sera mort, dit une voix railleuse à mon oreille.

Je me retournai vivement. Un homme fuyait c'était Nemroth! Væ!

Amroun se tut tout à coup. Son œil et son bras menaçants se tournèrent vers la galerie où gisait le cadavre aux dents blanches. Il articula un mot que je ne compris pas; une malédiction peut-être. Puis, ramenant lentement son regard vers moi, il reprit :

- Pour soutenir dignement sa charge; pour augmenter le nombre de ses flatteurs et de ses clients; pour attirer sur lui les regards de la plèbe et monter aux honneurs de la Prêture, du Consulat, de l'Empire peut-être; car tout est possible dans une cité aussi corrompue que Rome, Cornélius Pullion dépensait des sommes immenses en festins et en générosités. Sa fortune se dissipait comme l'eau d'une citerne au mois d'Abib.

Mais voici Nemroth lui dit un jour :

Seigneur clément et généreux, je voudrais être

affranchi.

Et Pullion Quels services m'as-tu rendus, ô vil esclave hébreu, pour que je daigne abaisser mes regards jusqu'à toi ?

Aucun, maître auguste, c'est vrai, ton humble esclave le reconnaît; mais cette liberté que je sollicite de ta bonté et que tu me refuses, tu consentiras peut-être à la vendre à ton serviteur.

Me Hercle! comment la paieras-tu, ô toi qui ne possèdes pas un terencius?

Tu te trompes, ô magnifique Cornélius Pullion regarde. - D'où te viennent ces ravissantes gemmes? Je vais te faire mourir sous le fouet, car tu les as dérobées !

Grâce! grâce! ô clément Pullion! Ton esclave ne les a point dérobées. Envoie au Forum, envoie à Subura, envoie

aux Thermes; informe-toi si un vol a été commis, et tu verras que ton humble esclave Nemroth te dit la vérité. Ces pierres, elles sont à moi elles me viennent du trésor de ceux de ma race.

-Tu me trompes, Hébreu !

-Non, magnanime maître, je ne te trompe point. Promets-moi l'affranchissement; et, par l'immortel père des dieux auquel tu as sacrifié hier au Capitole, ton humble esclave te promet, en retour, une rançon immense.

Où la prendras-tu cette rançon immense?

Je te l'ai dit, ô clément Cornélius: dans le trésor de mes pères; trésor qui n'a point été pillé, je le sais, par les toujours glorieuses et triomphantes légions du divin Flavius Vespasien, notre maître à tous. La ville où je suis né n'a pas été tellement détruite que l'on n'en reconnaisse plus la trace, permets à ton fidèle esclave d'aller fouiller ses ruines, et tu verras. Consens-tu, ô maître miséricordieux ? Ne m'abuses-tu point, ô Juif?

Non, puissant Pullion, non ! puisque ces gemmes qu'il aurait pu te cacher, ton esclave fidèle ose te les offrir. O maître daigne les accepter. Et si tu veux, fais-moi accompagner là-bas par quelqu'un d'entre tes serviteurs les plus fidèles; et si je t'ai menti, si j'ai trompé ta confiance, que le Dieu de mes pères ouvre sur moi les cataractes de sa colère; que les divinités des Romains me frappent; que mon seigneur et maître Cornélius Pullion le grand, le fort, le magnifique, le clément, me fasse périr sous les verges ou me livre, vivant et sans armes, aux ongles des bêtes du cirque.

Et Cornélius Pullion consentit. Et il fit river au cou de l'esclave un collier d'airain sur lequel était gravé le nom du maître. Trois affranchis furent désignés pour 'accompagner Nemroth à Jérusalem.

Amroun s'arrêta de nouveau, se recueillit un instant et recommença d'une voix perceptible à peine :

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