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entre les mains des chevaliers, signifiait « la force du courage, «< car, comme la massue est contre toutes sortes d'armes, « ainsi la force du courage défend le chevalier de tous vices, « et lui augmente sa vertu pour les chasser et pour les vain« cre (1) ».

On admettra, sans peine, cette assertion de Wulson de la Colombière, que « la massue est contre toutes sortes d'armes, » en lisant la description qu'en donne le P. Daniel :

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« On voit encore aujourd'hui - écrivait-il à la fin du « XVIIe siècle dans l'abbaye de Roncevaux, les massues « de Roland et d'Olivier son contemporain. Cette arme est << un bâton gros comme le bras d'un homme ordinaire, il « est long de deux pieds et demi. Il a un gros anneau à un about pour y attacher un chaînon ou un cordon fort, afin « que cette arme n'échappe pas de la main. A l'autre bout du « bâton sont trois chaînons à chacun des quels est attachée << une boule de fer du poids d'un boulet de huit livres, avec « lequel on pouvait certainement assommer un homme armé, « quelques bonnes que fussent ses armes, quand le bras qui << portait le coup était puissant (2).

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Revenons au bâton employé ordinairement dans les joutes et les tournois. On vient de l'y voir remplir deux rôles non moins importants qu'honorables. - Arme entre les mains des combattants. - Prix décerné au vainqueur. Quelquefois, par contre, il y devenait un instrument d'outrage et d'ignominie.

Philippe de Valois avait rendu plusieurs ordonnances sur les tournois, dans lesquelles il avait particulièrement spécifié les méfaits qui devaient amener l'exclusion des chevaliers et la manière dont cette exclusion devait avoir lieu.

L'article 40 de l'une de ces ordonnances porte:

<< Celui qui ne mène la vie digne d'un vrai gentilhomme, « qui se mêle de faire trafic de marchandises, comme les

p. 302.

(1) Wulson de la Colombière, loc. cit., t. I,
(2) Histoire de la Milice française, t. I, p. 433.

<«<roturiers, qui s'adonne à mal faire à ses voisins, et par « ainsi, rend le titre de noblesse comptemtible et méprisable, << qu'en plein tournoy, il soit battu de verges et chassé hon<< teusement (1) ».

Ne restons pas sur cette regrettable exception et citons encore un rôle honorable donné au bâton, par le roi Réné d'Anjou, en matière de symbolisme héraldique. Ce prince avait fondé, en 1848, à Angers, l'ordre du Croissant. Il en avait composé les statuts, et réglé notamment que tous ceux qui en feraient partie, outre la marque du croissant d'or qu'ils porteraient sur le côté, avec cette devise: Los en croissant, y ajouteraient autant de petits bâtons d'or, façonnés en ferrures d'aiguillettes, qu'ils s'étaient trouvés « en de batailles, assauts «ou siéges de villes, ce qui faisait connaistre leur vaillance. « et leur prouesse (2) ».

De ces petits bâtons d'or du roi Réné, souvenirs glorieux, revenons aux bâtons de la plus grosse dimension, à ces << massues de bois de prunier ou de pommier, tout plein de « rudes nœuds », qui, dans l'art héraldique, symbolisaient «la force du courage ».

A ce titre, on devait les voir fréquemment dans les figures du blason; et il en était en effet ainsi. Au pas d'armes, dit de la gueule du Dragon, maintenu par le roi Réné, près de Saumur, en l'année 1443, et dont le manuscrit se trouve à la bibliothèque nationale, on vit paraître, parmi les combattants, un chevalier, Honnorat des Barres, qui portait pour cimier << un sauvage tout debout, tenant et levant une grande << massue de synople (couleur verte). Un autre chevalier, Philippe de Culant, avait pour cimier « deux sauvages tenant « leurs massues de synople ».

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Dans d'autres circonstances, et notamment dans l'une des entrées allégoriques qui eurent licu lors de la fête donnée à Toulouse, en l'année 1616, par le duc de Montmorency, gou

(1) Wulson de la Colombière, loc. cit., p. 33, (2) Ibid., p. 127.

-

des

verneur du Languedoc, le baron de Gajan parut en Hercule, tenant, et ceci me paraît plus rationnel les que sauvages chevaliers des Barres et de Culant, tenant, disons-nous, une massue avec cette devise: Monstrorum terror.

C'était aussi un hercule, armé d'une massue, que Wulson de la Colombière, dont nous avons si souvent cité l'ouvrage, avait choisi pour l'un des supports de son écu, l'autre étant un lion. Le cimier était une main tenant une autre massue, prête à frapper, avec cette devise Pour bien faire. - Pour frapper fort, nous eût paru plus juste, car fort et bien ne vont pas toujours ensemble. Dans tous les cas, on ne peut pas dire qu'en procédant de cette façon on y aille de main morte.

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A propos de bâton et de force, mentionnons que le chanoine Claude Paradin, dans son Recueil de Devises héroïques, en a compris une très juste, mais qu'on peut appeler plutôt philosophique. Elle est tirée du jeu de la Panoye, consistant à voir quelle est celle de deux personnes qui parviendra à s'emparer d'un bâton que chacune tient des deux mains. Au dessous du dessin qui représente le bâton ainsi saisi, l'auteur a écrit cette sage maxime :

«En quelque diférent qui auienne, il n'est possible que «<l'une des parties puisse contendre contre l'autre (quel« que bon droit, ou force qui y soit) qu'elle n'ayt toujours << sa part de l'ennui et fascherie, si du dommage ne peut « auoir. Et en est comme deu jeu de la Panoye, au quel n'y << ha celui des deux tireurs, (posé que le plus fort il vienne a à emporter le bâton) qui n'y aie mis toute sa puis« sance »> (1).

Comme résumé de cette pensée, la devise qui surmonte le dessin dont nous venons de parler cst celle-ci : Et l'un et l'autre.

Comme application bien caractérisée, rappelons le résul

(1) Devises héroïques, par Claude Paradin, chanoine de Beaujeu. — Lyon, 1557.

tat pour Et l'un et l'autre, des dues d'Orléans et de Bourgogne de leurs démêlés sous le règne de Charles VI. Ils contendaient en employant l'expression du chanoine Claude Paradin à qui aurait l'administration du royaume. Louis, duc d'Orléans, fit peindre, sur sa bannière, un bâton épineux et noueux, voulant dire ainsi que, où il frapperait, il écorcherait ou assommerait.

Pour répondre à cette provocation, le duc Jean de Bourgogne (Jean-sans-peur) fit peindre sur sa bannière un rabot, ce qui signifiait qu'il rabotterait le bâton noueux de son ennemi.

On sait ce qu'il advint. Le duc Louis d'Orléans fut assassiné le 23 novembre 1407, dans la rue Barbette, à Paris. On rapporte que le duc de Bourgogne ne se borna pas à armer le bras des assassins, mais que lui-même, sortant d'une maison voisine, la tête enveloppée de son capuchon et armé d'une massue, porta le dernier coup à son ennemi.

Ce meurtre fut vengé douze ans après; le 10 septembre 4449, le duc de Bourgogne -Jean-sans-peur -- fut, à son tour, assassiné sur le pont de Montereau. Son corps fut porté aux Chartreux de Dijon. On y a vu, jusqu'à 1792, son mausolée sur lequel était gravé un rabot avec ses éclats.

CHAPITRE DEUXIÈME
Le Bâton légendaire.

Les légendes dans lesquelles le bâton joue le principal ròle, sous diverses formes baguette, massue, manche à balai, houlette ces légendes, disons-nous, sont très nombreuses : chaque pays a les siennes. Cette circonstance nous aidera à sortir de l'embarras du choix.

Toute légende ayant son caractère propre, son cachet particulier indiquant le lieu où elle a pris naissance et où elle

a eu cours, nous emprunterons nos citations, les unes aux contrées du Midi, les autres aux contrées du Nord. Ce sera ainsi, jusqu'à un certain point, une étude comparée des croyances et des traditions populaires.

« Il n'y a pas jusqu'aux légendes, a dit Voltaire, qui ne << puissent nous apprendre à connaître les mœurs des na« tions. »> (1)

Nous commençons par la Provence; et c'est l'almanach qui s'y publie, chaque année, sous le titre Armana prouvençaou, qui nous fournit notre première légende. Elle a, du reste, un droit incontestable à passer, avant toute autre, à l'ancienneté, car les acteurs sont nos premiers parents: Adam et Eve.

Tout d'abord, avertissons le lecteur étranger aux mœurs des populations méridionales, que si elles se permettent, sans aucun scrupule, d'introduire Dieu et les saints dans leurs naïves légendes, cette familiarité ne tire pas à conséquence et n'enlève rien à la vivacité de leur foi, à leur respect des choses saintes.

LA BAGUETTE (2)

TRADUIT DU PROVENÇAL (Armana de 1875).

I.

-Mes enfants! - nous disait un jour ma pauvre mèregrand... (Ah! si j'avais couché par écrit tout ce que ma pauvre mère-grand nous disait, quel charmant livre j'en aurais fait !) mes enfants, vous ne savez pas pourquoi l'homme bat la femme, pourquoi le loup saute sur la brebis, et pourquoi le chien court sus au loup? · Vous ne le savez pas ? Eh bien, écoutez, car je vais, moi, tout doucettement vous le dire.

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Quand le bon Dieu, bon, mais juste, eut chassé du Paradis notre père Adam et Eve notre mère, parce qu'ils lui

(1) Essai sur les mœurs. Chap. X, p. 360.
(2) La Vedigano (Armana de 1875, page 33).

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