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On établira ensuite que cette méthode a donné à la langue française les qualités qui sont comme les conditions nécessaires de son existence: unité, pureté, stabilité, clarté; que, pour les qualités littéraires qui en font l'ornement, comme l'abondance, la souplesse, la naïveté, d'une part; l'élégance, la noblesse, l'harmonie, de l'autre, elle ne l'a ni contrainte à sacrifier les unes, ni poussée à outrer les autres; en un mot, qu'elle n'a ni fait le mal, ni empêché le bien.

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Du génie de la langue française. - De l'usage, considéré comme la règle suprême des langues vivantes.-Comment se constate l'usage. Les bons auteurs. Les hommes savants en la langue.-La Cour.- L'Académie.-Le peuple. -Méthode d'interrogation pour découvrir l'usage.

S'il est vrai de dire qu'une langue « est la forme » visible et apparente de l'esprit d'un peuple » (1), toute langue digne d'être comptée, doit avoir, comme tout peuple digne de figurer dans l'histoire, un caractère qui lui appartienne et qui la distingue. L'une voudra une clarté parfaite, l'autre se contentera d'un demi-jour; celle-ci soumettra sa construction aux lois constantes de la logique, cette autre la pliera à tous les caprices de la sensation. Tantôt les divers accidents qui constituent la plénitude de la pensée, se fondront en un seul signe par un procédé synthétique; tantôt ils exigeront chacun un signe à part, en vertu de l'analyse. Les images seront plus ou moins nombreuses et hardies; elles seront tirées, selon l'es

(1) M. Villemain. Préface du Dictionnaire de l'Académie.

prit de la nation, de l'agriculture ou de la marine, de la religion ou de la guerre, de la jurisprudence ou des beaux-arts. Ici l'expression grossira les objets, et ira plus loin que la nature; là elle les rapetissera avec une coquetterie calculée : ainsi, le langage ira se gonflant d'hyperboles et se guindant sur des échafaudages de superlatifs, ou cherchant dans l'emploi des diminutifs une grâce mignarde; ailleurs, au contraire, il représentera les objets avec une précision sévère, et les fera voir dans leur véritable et naturelle grandeur. Que le génie des langues soit un effet du climat ou des mœurs, des institutions ou du tempérament des peuples qui les façonnent pour leur usage, c'est ce qu'il est inutile de rechercher : il suffit de constater que la langue française, comme toutes les autres, et peut-être plus qu'elles, a son génie, dont elle est jalouse, et qu'elle ne laisse jamais outrager. Pour quiconque entreprend d'établir les règles du langage, le premier devoir est d'étudier ce génie et de s'y conformer en tout point. Vaugelas nous semble l'avoir bien connu, et l'avoir exactement suivi. Il a même exprimé plus fortement qu'on n'avait fait encore, la nécessité de s'y soumettre.

Le xvre siècle n'avait pas eu de cette vérité une vue assez nette, ou n'en avait pas tenu assez de compte. Non qu'il ait manqué d'orgueil et d'ambition pour la langue française; au contraire, il n'était bruit que de l'orner, de l'illustrer, de la mettre au-dessus de toutes les langues, soit mortes, soit vivantes. Néanmoins, malgré ces prétentions pompeuses, on ne rê

vait pour elle qu'une beauté d'emprunt ou au moins d'imitation. Nul ne se doutait que la première qualité de la langue de la France fût d'être française. On demandait à l'antiquité des exemples et des règles; on allait en chercher au-delà des Alpes ou des Pyrénées; il y avait les grécomanes, les romipètes, les partisans de l'italien, ceux de l'espagnol.. La plupart des grammaires ne traitaient pas de l'article, parce que cette partie du discours ne se trouve pas en latin. Le premier vocabulaire français fut un vocabulaire français-latin. Ces faits peuvent donner une idée de la dépendance où notre idiome était maintenu. Quelques esprits, d'une trempe plus robuste, s'impatientèrent de ce joug, mais sans avoir l'audace de le secouer complétement. Rabelais, qui se moquait avec tant de verve de la manie de latiniser, donnait dans l'hellénisme à outrance. Ronsard recommandait dans son Art poétique de n'écorcher point le latin; mais il oubliait trop de mettre ses exemples d'accord avec ses préceptes. Pasquier, qui soutient contre Turnèbe la suffisance du français pour traiter les sujets scientifiques et littéraires; Pasquier, qui tonne contre l'éloquence « rapiécée, ou, pour mieux dire, rapetassée de divers passages (1) », fait pourtant de Ronsard son héros, et ne parle jamais de l'idiome de sa patrie sans y accoler l'épithète de vulgaire. Henri Etienne a été dans ce siècle le défenseur le plus énergique

(1) Pasquier, Lettres, vii, 12.

du français libre et pur; et, toutefois, c'est la langue grecque qui est pour lui la reine des langues; ce n'est que parmi les modernes que la nôtre peut prétendre le premier rang; et encore, à quel titre? Parce qu'elle a plus de conformité qu'aucune autre avec le grec. Il s'indigne qu'on affuble le français à l'italienne ou à l'espagnole; mais il ne lui déplairait pas de le voir habillé à la grecque. Ainsi, tous prétendaient à l'ennoblir, nul ne songeait à l'émanciper.

On ne s'aperçut que fort tard que cette langue forte et relevée dont l'éloquence avait besoin était contenue dans la langue de tous, et qu'il n'y avait qu'à l'en dégager. Malherbe, le premier, mit cette vérité en lumière; elle grandit et se fortifia promptement; et, dès la génération suivante, elle avait pris assez de consistance pour porter tout un système : le système de Vaugelas. Bien loin de croire qu'il faille asservir la langue française pour la rendre illustre, Vaugelas trouve qu'il y aurait, non-seulement ignorance, mais encore bassesse de cœur à la reconnaître vassale. Il veut qu'elle soit maîtresse chez elle, et ne reçoive la loi de personne. « Je veux bien qu'elle rende hommage à la grecque et à la latine d'une infinité de mots qui en relèvent; mais que, pour faire voir qu'on n'ignore pas la langue grecque ni l'origine des mots, et que, pour honorer l'antiquité, il faille aller contre les principes et les éléments de notre langue maternelle, certainement, il n'y a nulle apparence, et je n'y puis consentir. Après tout, on doit plus considé– rer en ce sujet les vivants que les morts, qui, aussi

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