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PREMIÈRE PARTIE.

ÉTUDE ET ENSEIGNEMENT PRIMAIRES.

I.

Premiers exercices.

Dans le bon vieux temps, il n'y avait qu'une seule et unique méthode pour enseigner les langues, mortes ou vivantes, l'histoire, les mathématiques, etc. On prenait un élève et un livre, et, en montrant le dernier au premier, on disait : « Vous apprendrez d'ici jusque-là.» Ce grand acte de civisme accompli, on laissait le marmot et le grimoire, et, à son retour, on s'étonnait, pestait, jurait, en voyant les cornes de celui-ci et l'ignorance de celui-là.

Dans le bon jeune temps où nous vivons, on commence à procéder d'une manière toute différente. Une maman vous prend sa fillette sur ses genoux. Arrière les livres! Qu'ont-ils de commun avec cette délicieuse petite créature de cinq ans, toute rose, toute bouclée, toute heureuse d'être? L'institutrice-mère ap

Premiers

prend à son élève bien-aimée, peut-être bien gâtée, exercices, quelques vers à la portée de son intelligence naissante, puis la renvoie à ses poupées, à ses papillons, à ses larmes d'une minute, qui s'effacent dans un sourire, à ses joies sans fin. Le lendemain, nos deux amies répètent la leçon apprise en commun. Au bout de trois ou quatre séances, la petite élève, une orange à la main, vous dit de sa charmante et douce voix, tendre comme la rosée :

De maman je tiens cette orange,
Pour ma leçon je la reçus;
Et quand joyeuse je la mange,
Son goût me plaît encore plus.

Franchement, dites-le-moi, cette gentille enfant n'a-t-elle point appris là, tout en souriant à sa bonne mère, plus que maint grand garçon avec un livre soporifique et un maître sans méthode? Mais ce n'est pas tout encore; ces quatre petits vers innocents vont nous fournir toute une série de leçons. Voyez un peu l'intelligente tendresse de la mère poursuivant son cours pratique de langue, et venez encore nous parler de vos dix parties du discours, avec des enfants qui ne savent pas encore qu'ils ont dix doigts. Inutile d'ajouter que la maman, en faisant apprendre cette première leçon à sa jeune fille, lui a appris aussi le sens de chaque mot et celui de toute la phrase, en s'assurant, par de fréquentes répétitions, que sa petite élève a bien logé phrase et mots dans sa fraîche mémoire.

DIALOGUE.

LA MAMAN. LA FILLETTE.

La maman (traduisant aussitôt et ses questions et les réponses qu'elle souffle à l'enfant). Qui est ta maman?

La fillette. C'est vous.

La maman. Et qui est la fille de ta maman?
La fillette. C'est moi.

On peut être certain que notre jeune élève ne commettra jamais la faute de français que fit, à l'entrevue de Tilsitt, un officier supérieur russe. L'empereur Napoléon ayant demandé qui commandait la cavalerie russe à la dernière affaire, un officier s'avança, et dit: « Je, sire. » Un sourire imperceptible se dessina sur les lèvres de plus d'un personnage de sa suite, mais Napoléon le réprima bien vite par ces mots : « Général, si vous ne maniez pas parfaitement la langue française, en revanche vous faites admira«blement bien manœuvrer vos troupes. » Mais continuons.

La maman. De qui tiens-tu cette orange?

La fillette. De ma bonne maman.

La maman. Pourquoi l'as-tu reçue?

La fillette. Pour ma leçon.

La maman. As-tu donc bien su ta leçon ?

La fillette. Oui, maman, puisque vous m'avez embrassée.

La maman. Il me semble que tu étais bien triste en la mangeant,

La fillette. J'avais votre baiser, et une belle orange dorée; je ne pouvais pas être triste.

La maman. Les oranges sont-elles bonnes ?

La fillette. Bien, bien bonnes, maman.

Premiers

exercices.

Premiers exercices.

La maman. Et qu'est-ce qui est encore meilleur que les oranges?
La fillette. Une bonne maman.

Comptons un peu les mots et les constructions de phrases que vient d'apprendre notre petite élève, en jouant pour ainsi dire avec sa mère. C'est l'équivalent de bien des leçons au cachet dans un âge plus avancé, obtenu sans fatigue, sans pleurs, sans dégoût.

Il y a, dans ce premier dialogue, la matière de séances plus ou moins nombreuses, selon le plus ou moins de dispositions de l'enfant. L'instinct maternel sentira bien où il faudra s'arrêter chaque fois. On pourrait le prolonger, pour ainsi dire, à l'infini; mais il faut se garder de lasser l'attention de l'enfance, qui, dans l'étude comme dans ses amusements, aime la diversité. « Diversité, c'est ma devise, >> disait celui que madame de la Sablière nommait son fablier, un grand enfant, la Fontaine.

A ces petits vers tout enfantins on pourra faire succéder un morceau plus étendu, demandant déjà une intelligence plus développée, comme, par exemple, ces trois belles strophes de madame Amable Tastu, où se révèle tout l'amour de la femme poëte pour l'enfance :

PETITE PRIÈRE POUR LES PETITS ENFANTS.

Notre Père des cieux, Père de tout le monde,
De vos petits enfants c'est vous qui prenez soin;
Mais à tant de bonté vous voulez qu'on réponde,
Et qu'on demande aussi dans une foi profonde,
Les choses dont on a besoin.

Vous m'avez tout donné, la vie et la lumière,

Le blé qui fait le pain, les fleurs qu'on aime à voir,
Et mon père et ma mère, et ma famille entière;
Moi, je n'ai rien pour vous, mon Dieu, que la prière
Que je vous dis matin et soir.

Notre Dieu des cieux, bénissez ma jeunesse ;
Pour mes parents, pour moi, je vous prie à genoux;
Afin qu'ils soient heureux, donnez-moi la sagesse,
Et puissent leurs enfants les contenter sans cesse,
Pour être aimés d'eux et de vous!

DIALOGUE.

LA MAMAN. LE PETIT GARÇON.

La maman. Pour qui cette belle petite prière a-t-elle été faite ?
Le petit garçon. Pour les petits enfants.

La maman. Où est le bon Dieu ?

Le petit garçon. Il est dans les cieux.

La maman. De qui est-il le père ?
Le petit garçon. De tout le monde.
La maman. De qui prend-il soin?

Le petit garçon. De ses petits enfants.

La maman. Que demande-t-il en retour?

Le petit garçon. Il demande qu'on réponde à ses bontés.

La maman. Et quoi encore, mon fils?

Le petit garçon. Qu'on lui demande les choses dont on a besoin.

La maman. Qu'est-ce que Dieu t'a donné ?

Le petit garçon. Tout, la vie et la lumière du jour.

La maman. Est-ce bien là tout?

Le petit garçon. Non, maman. Il m'a encore donné le blé, qui sert à faire le pain, et les fleurs, qui réjouissent la vue.

La maman. Et toi, que donneras-tu au bon Dieu ?

Le petit garçon. Rien, maman. Il ne me demande que ma petite prière du matin et du soir.

La maman. A quoi la bénédiction du bon Dieu est-elle nécessaire ?

Premiers

exercices.

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