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LES

NUITS ITALIENNES

CONTES NOCTURNES

PAR

Joseph MÉRY

NOUVELLE ÉDITION

(00)

PARIS

MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS

RUE VIVIENNE, 2 bis.

1857

Reproduction et traduction réservées.

TENOX LIBRARY

NEW YORK

LES

NUITS ITALIENNES

ITALIE

I

Gènes.

Le Sully court de Marseille à Naples en faisant échelle dans trois ports italiens; le Sully est comme un pont volant, un pont de trois arches, jeté entre Marseille et le Vésuve. On peut faire la traversée dans son lit, si l'on est tourmenté du mal de mer, ce mal dont personne ne meurt, ce mal qui fait tant de bien, et que la bonne Méditerranée vous envoie comme un purgatif naturel.

On part comme pour une fête, la tente déployée sur le pont, le cabestan chargé de fleurs, la voile étincelante de soleil; c'est comme le vaisseau des théories grecques, allant du Pirée à Délos; on glisse sur une mer calme, entre deux cascades d'écume; tous les visages sont sercins, tous les yeux tournés au midi; le nom de l'Italie est dans

toutes les bouches: elle est si voisine que personne ne songe à l'ennui de la traversée. De Marseille à Gênes on n'a qu'un ruisseau à franchir, c'est la plus belle des promenades.

Jamais pèlerin partant pour l'Italie n'a senti plus que moi dans son cœur cette fervente dévotion d'artiste qui s'attache à tous les puissants souvenirs. Ce n'était pas l'Italie des autres que j'allais voir : c'était la mienne, l'Italie de mon enfance, de mes études, de mes rêves au dortoir du collége; l'Italie de Ménalque et Palémon, de Nisus et Euryale; le Latium de Janus, la terre de Lavinia: l'Italie de mon âge d'homme, celle des Antonins, de Sixte-Quint, de Léon X; celle du Dante, de Giotto, de Michel-Ange, de Raphaël. A tous ces noms, à toutes ces impressions, à tous ces souvenirs, j'avais lié, dès mes premiers ans, des images, des affections, des physionomies, des teintes locales qui m'étaient propres, qui s'étaient gravées dans mon cerveau, qu'aucune lecture de voyages n'avait modifiées. J'en avais tant lu, de voyages! J'avais lu ceux qui s'extasient avec des phrases gelées, qu'on réchauffe avec des points d'admiration; et ceux qui prennent à rebours la tactique enthousiaste de leurs devanciers, et qui critiquent les monuments neufs, parce qu'ils ne sont pas vieux, et les vieux, parce qu'ils ne sont pas neufs ; et ceux qui s'intitulent : l'Italie vue du mauvais côté, et qui entassent ligne sur ligne pour découvrir une tache microscopique sur une magnifique statue de marbre. J'allais aborder l'Italie avec mes seules impressions personnelles. C'était l'histoire de l'art qui me les avait données, et non le récit des voyages. Je brûlais de savoir s'il fallait renoncer à d'anciennes adorations et me reconnaître

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