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pour le prophète Baruch, quand Baruch il y avait 1. De tant de richesses amassées au jour le jour, sans efforts et sans dessein, déposées et fondues ensemble dans le naturel le plus heureux du monde, s'était formé avec l'âge cet inimitable style, à la fois trop complexe et trop simple pour être défini, et qu'on caractérise en l'appelant celui de La Fontaine. Que Boileau n'ait pas rougi d'avancer (comme Monchesnay et Louis Racine l'assurent) que ce style n'appartient pas en propre à La Fontaine, et n'est qu'un emprunt de Marot et de Rabelais, nous répugnons à le croire; ou, s'il l'a dit en un instant d'humeur, il ne le pensait pas. Sa dissertation sur Joconde, et vingt passages formels où il rend à son confrère un éclatant hommage, l'attesteraient au besoin. Il est pourtant vraisemblable que le censeur austère qui se repentait d'avoir loué Voiture, qui sentait peu Quinault, et appelait Saint-Évremond un charlatan de ruelles, ne coulait pas toujours avec assez d'indulgence sur la fadeur galante de la morale lubrique, les restes de faux goût et les négligences nombreuses du charmant poëte 2. Mais ce ne serait pas assez pour motiver l'omission du nom de La Fontaine dans l'Art poétique, si l'on ne songeait que, par son attachement pour Fouquet, et principalement par la publication de ses contes, le bonhomme avait provoqué le mécontentement du monarque, si sévère en fait de convenance, et qu'il eut sa part de cette rancune glaciale et durable dont les Saint-Évremond et les Bussy, beaux-esprits espiègles et libertins, furent également victimes. Boileau sans doute eut tort de sacrifier, je ne dis pas l'amitié, mais l'équité, à la peur de déplaire; du moins aucune pensée de jalousie n'entra dans sa faiblesse. S'il parut se glisser ensuite

1 La Fontaine ayant appris que le savant Huet désirait voir la traduction italienne des Institutions de Quintilien par Toscanella,. qu'il possédait, s'empressa de la lui offrir en y joignant cette épître naïve en l'honneur des anciens et de Quintilien: ce qui prouvait, dit Huet, la candeur du poëte, lequel, en se déclarant pour les anciens contre les modernes dont il était l'un des plus agréables auteurs, plaidait contre sa propose cause. On lit cela dans le Commentaire latin de Huet sur lui-même, qui renferme de curieux jugements peu connus sur Boileau, Corneille et autres: on s'en tient d'ordinaire au Huetiana, qui n'est pas la même chose.

2 Dans une lettre à Charles Perrault (1701), Boileau, voulant montrer qu'on n'a point envié la gloire aux poëtes modernes dans ce siècle, dit : « Avec quels << battements de mains n'y a-t-on point reçu les ouvrages de Voiture, de Sa<< razin et de La Fontaine! etc. » On le voit, pour lui La Fontaine était de cette famille un peu antérieure au pur et grand goût de Louis XIV.

entre les deux grands écrivains un refroidissement qui augmenta avec les années, la faute n'en fut pas à lui tout entière. Lui-même il déplorait sincèrement, dans l'homme illustre et bon, les penchants, désormais sans excuse, qui l'arrachaient de plus en plus au commerce des honnêtes gens de son âge. Ainsi s'étaient tristement évanouies ces brillantes et douces réunions de la rue du Vieux-Colombier et de la maison d'Auteuil. Molière et Racine avaient de bonne heure cessé de se voir; Chapelle, adonné à des goûts crapuleux, était perdu pour ses amis, et La Fontaine aussi les affligeait par de longs désordres qui souillèrent à la fois son génie et sa vieillesse.

Comme poëte, il fut, avons-nous dit, le dernier de son école, et n'eut, à proprement parler, ni disciples, ni imitateurs. N'oublions point, toutefois, que bien des rapports d'inclinations et même de talent le liaient à Chapelle et à Chaulieu; que, jusqu'au temps de sa conversion, il venait fréquemment deviser et boire sous les marronniers du Temple, à la même table où s'assirent plus tard JeanBaptiste Rousseau et le jeune Voltaire; et que ce dernier surtout, vif, brillant, frivole, puisa au sein de cette société joyeuse, où circulait l'esprit des deux Régences, certaines habitudes gauloises de licence, de malice et de gaieté, qui firent de lui, selon le mot de Chaulieu, un successeur de Villon, quoiqu'à dire vrai Voltaire n'eût peut-être jamais lu Villon, et que, pour un convive du Temple, il parlat trop lestement de La Fontaine.....

FIN DU TOME PREMIER.

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