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Son gosier le chatouille et veut lancer sa voix.

Il faudrait bien les suivre, ò Boileau, pour leur dire Qu'ils égarent le souffle où leur doux chant s'inspire, Et qui diffère tant, même en plein carrefour,

Du son rauque et menteur des trompettes du jour.

Dans l'époque, à la fois magnifique et décente,
Qui comprit et qu'aida ta parole puissante,
Le vrai goût dominant, sur quelques points borné,
Chassait du moins le faux autre part confiné;
Celui-ci hors du centre usait ses représailles;
Il n'aurait affronté Chantilly ni Versailles,
Et, s'il l'avait osé, son impudent essor
Se fût brisé du coup sur le balustre d'or.

Pour nous, c'est autrement : par un confus mélange
Le bien s'allie au faux, et le tribun à l'ange.
Les Pradons seuls d'alors visaient au Scudery:
Lequel de nos meilleurs peut s'en croire à l'abri ?
Tous cadres sont rompus; plus d'obstacle qui compte;
L'esprit descend, dit-on; la sottise remonte;
Tel même qu'on admire en a sa goutte au front,
Tel autre en a sa douche, et l'autre nage au fond.
Comment tout démêler, tout dénoncer, tout suivre,
Aller droit à l'auteur sous le masque du livre,
Dire la clef secrète, et, sans rien diffamer,
Piquer pourtant le vice et bien haut le nommer?
Voilà, cher Despréaux, voilà sur toute chose
Ce qu'en songeant à toi souvent je me propose,
Et j'en espère un peu mes doutes éclaircis
En m'asseyant moi-même aux bords où tu t'assis.
Sous ces noms de Cotins que ta malice fronde,
J'aime à te voir d'ici parlant de notre monde
A quelque Lamoignon qui garde encor ta loi :
Qu'auriez-vous dit de nous, Royer-Collard et toi?

Mais aujourd'hui laissons tout sujet de satire;

A Bâville aussi bien on t'en eût vu sourire,
Et tu tachais plutôt d'en détourner le cours,
Avide d'ennoblir tes tranquilles discours,

De chercher, tu l'as dit, sous quelque frais ombrage,
Comme en un Tusculum, les entretiens du sage,
Un concert de vertu, d'éloquence et d'honneur,
Et quel vrai but conduit l'honnête homme au bonheur.

Ainsi donc, ce jour-là, venant de ta fontaine,
Nous suivions au retour les coteaux et la plaine,
Nous foulions lentement ces doux prés arrosés,
Nous perdions le sentier dans les endroits boisés,
Puis sa trace fuyait sous l'herbe épaisse et vive:
Est-ce bien ce côté? n'est-ce pas l'autre rive?
A trop presser son doute, on se trompe souvent;
Le plus simple est d'aller. Ce moulin par devant
Nous barre le chemin; un vieux pont nous invite,
Et sa planche en ployant nous dit de passer vite:
On s'effraie et l'on passe, on rit de ses terreurs;
Ce ruisseau sinueux a d'aimables erreurs.
Et riant, conversant de rien, de toute chose,
Retenant la pensée au calme qui repose,
On voyait le soleil vers le couchant rougir,
Des saules non plantés les ombres s'élargir,
Et sous les longs rayons de cette heure plus sûre
S'éclairer les vergers en salles de verdure,
Jusqu'à ce que, tournant par un dernier coteau,
Nous eûmes retrouvé la route du château,
Où d'abord, en entrant, la pelouse apparue
Nous offrit du plus loin une enfant accourue,
Jeune fille demain en sa tendre saison,
Orgueil et cher appui de l'antique maison,
Fleur de tout un passé majestueux et grave,
Rejeton précieux où plus d'un nom se grave,
Qui refait l'espérance et les fraîches couleurs,

Qui sait les souvenirs et non pas les douleurs,
Et dont, chaque matin, l'heureuse et blonde tête,
Après les jours chargés de gloire et de tempête,
Porte légèrement tout ce poids des aïeux,

Et court sur le gazon, le vent dans ses cheveux.

Au château du Marais, ce 22 août 1843.

PIERRE CORNEILLE.

En fait de critique et d'histoire littéraire, il n'est point, ce me semble, de lecture plus récréante, plus délectable, et à la fois plus féconde en enseignements de toute espèce, que les biographies bien faites des grands hommes : non pas ces biographies minces et sèches, ces notices exiguës et précieuses, où l'écrivain a la pensée de briller, et dont chaque paragraphe est effilé en épigramme; mais de larges, copieuses, et parfois même diffuses histoires de l'homme et de ses œuvres : entrer en son auteur, s'y installer, le produire sous ses aspects divers; le faire vivre, se mouvoir et parler, comme il a dû faire; le suivre en son intérieur et dans ses mœurs domestiques aussi avant que l'on peut; le rattacher par tous les côtés à cette terre, à cette existence réelle, à ces habitudes de chaque jour, dont les grands hommes ne dépendent pas moins que nous autres, fond véritable sur lequel ils ont pied, d'où ils partent pour s'élever quelque temps, et où ils retombent sans cesse. Les Allemands et les Anglais, avec leur caractère complexe d'analyse et de poésie, s'entendent et se plaisent fort à ces excellents livres. Walter Scott déclare, pour son compte, qu'il ne sait point de plus intéressant ouvrage en toute la littérature anglaise que l'histoire du docteur Johnson par Boswell. En France, nous commençons

aussi à estimer et à réclamer ces sortes d'études. De nos jours, les grands hommes dans les lettres, quand bien même, par leurs mémoires ou leurs confessions poétiques, ils seraient moins empressés d'aller au-devant des révélations personnelles, pourraient encore mourir, fort certains de ne point manquer après eux de démonstrateurs, d'analystes et de biographes. Il n'en a pas été toujours ainsi; et lorsque nous venons à nous enquérir de la vie, surtout de l'enfance et des débuts de nos grands écrivains et poëtes du dixseptième siècle, c'est à grand'peine que nous découvrons quelques traditions peu authentiques, quelques anecdotes douteuses, dispersées dans les Ana. La littérature et la poésie d'alors étaient peu personnelles; les auteurs n'entretenaient guère le public de leurs propres sentiments ni de leurs propres affaires; les biographes s'étaient imaginé, je ne sais pourquoi, que l'histoire d'un écrivain était tout entière dans ses écrits, et leur critique superficielle ne poussait pas jusqu'à l'homme au fond du poëte. D'ailleurs, comme en ce temps les réputations étaient lentes à se faire, et qu'on n'arrivait que tard à la célébrité, ce n'était que bien plus tard encore, et dans la vieillesse du grand homme, que quelque admirateur empressé de son génie, un Brossette, un Monchesnay, s'avisait de penser à sa biographie; ou encore cet historien était quelque parent pieux et dévoué, mais trop jeune pour avoir bien connu la jeunesse de son auteur, comme Fontenelle pour Corneille, et Louis Racine pour son père. De là, dans l'histoire de Corneille par son neveu, dans celle de Racine par son fils, mille ignorances, mille inexactitudes qui sautent aux yeux, et en particulier une légèreté courante sur les premières années littéraires, qui sont pourtant les plus décisives.

Lorsqu'on ne commence à connaître un grand homme que dans le fort de sa gloire, on ne s'imagine pas qu'il ait jamais pu s'en passer, et la chose nous paraît si simple que souvent on ne s'inquiète pas le moins du monde de s'expliquer com

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