Son gosier le chatouille et veut lancer sa voix. Il faudrait bien les suivre, ò Boileau, pour leur dire Qu'ils égarent le souffle où leur doux chant s'inspire, Et qui diffère tant, même en plein carrefour, Du son rauque et menteur des trompettes du jour. Dans l'époque, à la fois magnifique et décente, Pour nous, c'est autrement : par un confus mélange Mais aujourd'hui laissons tout sujet de satire; A Bâville aussi bien on t'en eût vu sourire, De chercher, tu l'as dit, sous quelque frais ombrage, Ainsi donc, ce jour-là, venant de ta fontaine, Qui sait les souvenirs et non pas les douleurs, Et court sur le gazon, le vent dans ses cheveux. Au château du Marais, ce 22 août 1843. PIERRE CORNEILLE. En fait de critique et d'histoire littéraire, il n'est point, ce me semble, de lecture plus récréante, plus délectable, et à la fois plus féconde en enseignements de toute espèce, que les biographies bien faites des grands hommes : non pas ces biographies minces et sèches, ces notices exiguës et précieuses, où l'écrivain a la pensée de briller, et dont chaque paragraphe est effilé en épigramme; mais de larges, copieuses, et parfois même diffuses histoires de l'homme et de ses œuvres : entrer en son auteur, s'y installer, le produire sous ses aspects divers; le faire vivre, se mouvoir et parler, comme il a dû faire; le suivre en son intérieur et dans ses mœurs domestiques aussi avant que l'on peut; le rattacher par tous les côtés à cette terre, à cette existence réelle, à ces habitudes de chaque jour, dont les grands hommes ne dépendent pas moins que nous autres, fond véritable sur lequel ils ont pied, d'où ils partent pour s'élever quelque temps, et où ils retombent sans cesse. Les Allemands et les Anglais, avec leur caractère complexe d'analyse et de poésie, s'entendent et se plaisent fort à ces excellents livres. Walter Scott déclare, pour son compte, qu'il ne sait point de plus intéressant ouvrage en toute la littérature anglaise que l'histoire du docteur Johnson par Boswell. En France, nous commençons aussi à estimer et à réclamer ces sortes d'études. De nos jours, les grands hommes dans les lettres, quand bien même, par leurs mémoires ou leurs confessions poétiques, ils seraient moins empressés d'aller au-devant des révélations personnelles, pourraient encore mourir, fort certains de ne point manquer après eux de démonstrateurs, d'analystes et de biographes. Il n'en a pas été toujours ainsi; et lorsque nous venons à nous enquérir de la vie, surtout de l'enfance et des débuts de nos grands écrivains et poëtes du dixseptième siècle, c'est à grand'peine que nous découvrons quelques traditions peu authentiques, quelques anecdotes douteuses, dispersées dans les Ana. La littérature et la poésie d'alors étaient peu personnelles; les auteurs n'entretenaient guère le public de leurs propres sentiments ni de leurs propres affaires; les biographes s'étaient imaginé, je ne sais pourquoi, que l'histoire d'un écrivain était tout entière dans ses écrits, et leur critique superficielle ne poussait pas jusqu'à l'homme au fond du poëte. D'ailleurs, comme en ce temps les réputations étaient lentes à se faire, et qu'on n'arrivait que tard à la célébrité, ce n'était que bien plus tard encore, et dans la vieillesse du grand homme, que quelque admirateur empressé de son génie, un Brossette, un Monchesnay, s'avisait de penser à sa biographie; ou encore cet historien était quelque parent pieux et dévoué, mais trop jeune pour avoir bien connu la jeunesse de son auteur, comme Fontenelle pour Corneille, et Louis Racine pour son père. De là, dans l'histoire de Corneille par son neveu, dans celle de Racine par son fils, mille ignorances, mille inexactitudes qui sautent aux yeux, et en particulier une légèreté courante sur les premières années littéraires, qui sont pourtant les plus décisives. Lorsqu'on ne commence à connaître un grand homme que dans le fort de sa gloire, on ne s'imagine pas qu'il ait jamais pu s'en passer, et la chose nous paraît si simple que souvent on ne s'inquiète pas le moins du monde de s'expliquer com |