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dédié sa traduction des Lois de Platon, se souvenant que Farcy était mort en combattant pour les lois. Et nous, nous publions ses vers, comme on expose de pieuses reliques'.

Mais s'il nous est permis de parler un moment en notre propre nom, disons-le avec sincérité, le sentiment que nous inspire la mémoire de Farcy n'est pas celui d'un regret vulgaire; en songeant à la mort de notre ami, nous serions tenté plutôt de l'envier. Que ferait-il aujourd'hui, s'il vivait? que

1 Deux poëtes généreux et délicats, dont l'un avait connu Farcy et dont l'autre l'avait vu seulement, MM. Antony Deschamps et Brizeux, ont consacré à sa mémoire des vers que nous n'avons garde d'omettre dans cette liste d'hommages funèbres. Voici ceux de M. Deschamps :

Que ne suis-je couché dans un tombeau profond,
Percé comme Farcy d'une balle de plomb,
Lui dont l'âme était pure, et si pure la vie,
Sans troubles ni remords également suivie !
Lui qui, lorsque j'étais dans l'ile Procida,
Sur le bord de la mer un matin m'aborda,
Me parla de Paris, de nos amis de France,

De Rome qu'il quittait, puis de quelque souffrance...
Et s'asseyant au seuil d'une blanche maison,
Lut dans André Chénier: O Sminthée Apollon!
Et quand il eut fini cette belle lecture,

Ému par le climat et la douce nature,

Se leva brusquement, et me tendant la main,
Grimpa, comme un chevreau, sur le coteau voisin.

M. Brizeux a dit :

A LA MÉMOIRE DE GEORGE FARCY.

Il adorait

La France, la Poésie et la Philosophie,
Que la patrie conserve son nom!
Victor COUSIN.

Oui toujours j'enviai, Farcy, de te connaître,
Toi
que si jeune encore on citait comme un maître.
Pauvre cœur qui d'un souffle, hélas! t'intimidais,
Attentif à cacher l'or pur que tu gardais !
Un soir, en nous parlant de Naple et de ses grèves,
Beaux pays enchantés où se plaisaient tes rêves,
Ta bouche eut un instant la douceur de Platon;
Tes amis souriaient,... lorsque, changeant de ton,
Tu devins brusque et sombre, et te mordis la lèvre,
Fantasque, impatient, rétif comme la chèvre!
Ainsi tu te plaisais à secouer la main

Qui venait sur ton front essuyer ton chagrin.
Que dire le linceul aujourd'hui te recouvre,

Et, j'en ai peur, c'est lui que tu cherchais au Louvre,
Paix à toi, noble cœur! ici tu fus pleuré
Par un ami bien vrai, de toi-même ignoré;
Là-haut, réjouis-toi! Platon parmi les Ombres
Te dit le Verbe pur, Pythagore les Nombres.

penserait-il? que sentirait-il? Ah! certes, il serait encore le même, loyal, solitaire, indépendant, ne jurant par aucun parti, s'engouant peu pour tel ou tel personnage; au lieu de professer la philosophie chez M. Morin, il la professerait dans un Collége royal; rien d'ailleurs ne serait changé à sa vie modeste, ni à ses pensées; il n'aurait que quelques illusions de moins, et ce désappointement pénible que le régime héritier de la Révolution de Juillet fait éprouver à toutes les âmes amoureuses d'idées et d'honneur. Il aurait. foi moins que jamais aux hommes; et, sans désespérer des progrès d'avenir, il serait triste et dégoûté dans le présent. Son stoïcisme se serait réfugié encore plus avant dans la contemplation silencieuse des choses; la réalité pratique, indigne de le passionner, ne lui apparaîtrait de jour en jour davantage que sous le côté médiocre des intérêts et du bien-être; il s'y accommoderait en sage, avec modération; mais cela seul est déjà trop la tiédeur s'ensuit à la longue; fatigué d'enthousiasme, une sorte d'ironie involontaire, comme chez beaucoup d'esprits supérieurs, l'aurait peut-être gagné avec l'âge il a mieux fait de bien mourir!. · Disons seulement, en usant d'un mot du chœur antique: « Ah! si les belles et « bonnes âmes comme la sienne pouvaient avoir deux jeu<< nesses 1! »

Juin 1831.

NOTE. Bien des années après avoir écrit cette Notice, j'ai reçu de M. Géruzez, héritier des papiers de Farcy, la communication d'une note qui me concernait moi-même, et qui m'a montré que Farcy avait bien voulu s'occuper de mes essais poétiques d'alors : il y juge Joseph Delorme et les Consolations, d'une manière psychologique et morale qui est à lui, Ce jugement est assez favorable pour que je m'en honore, et il est à la fois assez sévère pour que j'ose le reproduire ici :

« Dans le premier ouvrage (dans Joseph Delorme), dit-il, c'était

1 Euripide, Hercules furens (édit. de Boissonade, v. 648),

une âme flétrie par des études trop positives et par les habitudes des sens qui emportent un jeune homme timide, pauvre, et en même temps délicat et instruit; car ces hommes ne pouvant se plaire à une liaison continuée où on ne leur rapporte en échange qu'un esprit vulgaire et une âme façonnée à l'image de cet esprit, ennuyés et ennuyeux auprès de telles femmes, et d'ailleurs ne pouvant plaire plus haut ni par leur audace ni par des talents encore cachés, cherchent le plaisir d'une heure qui amène le dégoût de soi-même. Ils ressemblent à ces femmes bien élevées et sans richesses, qui ne peuvent souffrir un époux vulgaire, et à qui une union mieux assortie est interdite par la fortune.

« Il y a une audace et un abandon dans la confidence des mouvements d'un pareil cœur, bien rares en notre pays et qui annoncent le poëte.

« Aujourd'hui (dans les Consolations) il sort de sa débauche et de son ennui; son talent mieux connu, une vie littéraire qui ressemble à un combat, lui ont donné de l'importance et l'ont sauvé de l'affaissement. Son âme honnête et pure a ressenti cette renaissance avec tendresse, avec reconnaissance. Il s'est tourné vers Dieu d'où vient la paix et la joie.

« Il n'est pas sorti de son abattement par une violente secousse : c'est un esprit trop analytique, trop réfléchi, trop habitué à user ses impressions en les commentant, à se dédaigner lui-même en s'examinant beaucoup; il n'a rien en lui pour être épris éperdument et pousser sa passion avec emportement et audace; plus tard peut-être: aujourd'hui il cherche, il attend et se défie.

<< Mais son cœur lui échappe et s'attache à une fausse image de l'amour. L'étude, la méditation religieuse, l'amitié l'occupent si elles ne le remplissent pas, et détournent ses affections. La pensée de l'art noblement conçu le soutient et donne à ses travaux une dignité que n'avaient pas ses premiers essais, simples épanchements de son âme et de sa vie habituelle.-Il comprend tout, aspire à tout, et n'est maître de rien ni de lui-même. Sa poésie a une ingénuité de sentiments et d'émotions qui s'attachent à des objets pour lesquels le grand nombre n'a guère de sympathie, et où il y a plutôt travers d'esprit ou habitudes bizarres de jeune homme pauvre et souffreteux, qu'attachement naturel et poétique. La misère domestique vient gémir dans ses vers à côté des élans d'une noble âme et causer ce contraste pénible qu'on retrouve dans certaines scènes

de Shakspeare (Lear, etc.), qui excite notre pitié, mais non pas une émotion plus sublime.

« Ces goûts changeront; cette sincérité s'altérera; le poëte se révélera avec plus de pudeur, il nous montrera les blessures de son âme, les pleurs de ses yeux, mais non plus les flétrissures livides de ses membres, les égarements obscurs de ses sens, les haillons de son indigence morale. Le libertinage est poétique quand c'est un emportement du principe passionné en nous, quand c'est philosophie audacieuse, mais non quand il n'est qu'un égarement furtif, une confession honteuse. Cet état convient mieux au pécheur qui va se régénérer; il va plus mal au poëte qui doit toujours marcher simple et le front levé; à qui il faut l'enthousiasme ou les amertumes profondes de la passion.

<< L'auteur prend encore tous ses plaisirs dans la vie solitaire, mais il y est ramené par l'ennui de ce qui l'entoure, et aussi effrayé par l'immensité où il se plonge en sortant de lui-même. En rentrant dans sa maison, il se sent plus à l'aise, il sent plus vivement par le contraste; il chérit son étroit horizon où il est à l'abri de ce qui le gêne, où son esprit n'est pas vaguement égaré par une trop vaste perspective. Mais si la foule lui est insupportable, le vaste espace l'accable encore, ce qui est moins poétique. Il n'a pas pris assez de fierté et d'étendue pour dominer toute cette nature, pour l'écouter, la comprendre, la traduire dans ses grands spectacles. Sa poésie par là est étroite, chétive, étouffée on n'y voit pas un miroir large et pur de la nature dans sa grandeur, la force et la plénitude de sa vie: ses tableaux manquent d'air et de lointains fuyants.

Il s'efforce d'aimer et de croire, parce que c'est là-dedans qu'est le poëte mais sa marche vers ce sentiment est critique et logique, si je puis ainsi dire. Il va de l'amitié à l'amour comme il a été de l'incrédulité à l'élan vers Dieu.

« Cette amitié n'est ni morale ni poétique... >>

Ici s'arrête la note inachevée. Si jamais le troisième Recueil qui fait suite immédiatement aux Consolations et à Joseph Delorme, et qui n'est que le développement critique et poétique des mêmes sentiments dans une application plus précise, vient à paraître (ce qui ne saurait avoir lieu de longtemps), il me semble, autant qu'on peut prononcer sur soi-même, que le jugement de Farcy se trouvera en bien des points confirmé.

DIDEROT.

J'ai toujours aimé les correspondances, les conversations, les pensées, tous les détails du caractère, des mœurs, de la biographie, en un mot, des grands écrivains; surtout quand cette biographie comparée n'existe pas déjà rédigée par un autre, et qu'on a pour son propre compte à la construire, à la composer. On s'enferme pendant une quinzaine de jours avec les écrits d'un mort célèbre, poëte ou philosophe; on l'étudie, on le retourne, on l'interroge à loisir; on le fait poser devant soi; c'est presque comme si l'on passait quinze jours à la campagne à faire le portrait ou le buste de Byron, de Scott, de Goethe; seulement on est plus à l'aise avec son modèle, et le tête-à-tête, en même temps qu'il exige un peu plus d'attention, comporte beaucoup plus de familiarité. Chaque trait s'ajoute à son tour, et prend place de lui-même dans cette physionomie qu'on essaie de reproduire; c'est comme chaque étoile qui apparaît successivement sous le regard et vient luire à son point dans la trame d'une belle nuit. Au type vague, abstrait, général, qu'une première vue avait embrassé, se mêle et s'incorpore par degrés une réalité individuelle, précise, de plus en plus accentuée et vivement scintillante; on sent naître, on voit venir la ressemblance; et le jour, le moment où l'on a saisi le tic familier, le sourire révélateur, la

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