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« initiés dans son art.» La remarque est juste, mais l'expression est bien forte. Où en serions-nous, bon Dieu ! si en ces sortes de choses gisait la poésie avec tous ses mystères? Chez Boileau, cette timidité du bon sens, déjà signalée, fait que la métaphore est bien souvent douteuse, incohérente, trop tôt arrêtée et tarie, non pas hardiment logique, tout d'une venue et comme à pleins bords.

Le François, né malin, forma le vaudeville,
Agréable indiscret, qui, conduit par le chant,

Passe de bouche en bouche et s'accroît en marchant.

Qu'est-ce, je le demande, qu'un indiscret qui passe de bouche en bouche et s'accroît en marchant? Ailleurs Boileau dira:

Inventez des ressorts qui puissent m'attacher,

comme si l'on attachait avec des ressorts; des ressorts poussent, mettent en jeu, mais n'attachent pas. Il appellera Alexandre ce fougueux l'Angeli, comme si l'Angeli, fou de roi, était réellement un fou privé de raison; il fera monter la trop courte beauté sur des patins, comme si une beauté pouvait être longue ou courte. Encore un coup, chez Boileau la métaphore évidemment ne surgit presque jamais une, entière, indivisible et tout armée: il la compose, il l'achève à plusieurs reprises; il la fabrique avec labeur, et l'on aperçoit la trace des soudures'. A cela près, et nos réserves une fois posées, personne

1 Plus d'une fois, dans la suite de ces volumes, on trouvera des modifications apportées à cette théorie trop absolue que je donnais ici de la métaphore. La métaphore, je suis venu à le reconnaître, n'a pas besoin, pour être légitime et belle, d'être si complétement armée de pied en cap; elle n'a pas besoin d'une rigueur matérielle si soutenue jusque dans le moindre détail. S'adressant à l'esprit et faite avant tout pour lui figurer l'idée, elle peut sur quelques points laisser l'idée elle-même apparaître dans les intervalles de l'image. Ce défaut de cuirasse, en fait de métaphore, n'est pas d'un grand inconvénient; il suffit qu'il n'y ait pas contradiction ni disparate. Quelle que soit la beauté de l'image employée, l'esprit sait bien que ce n'est qu'une image, et que c'est à l'idée surtout qu'il a affaire. Il en est de la perfection métaphorique un peu comme de l'illusion scénique à laquelle il ne faut pas trop sacrifier dans le sens matériel, puis

plus que nous ne rend hommage à cette multitude de traits fins et solides, de descriptions artistement faites, à cette moquerie tempérée, à ce mordant sans fiel, à cette causerie mėlée d'agrément et de sérieux, qu'on trouve dans les bonnes pages de Boileau1. Il nous est impossible pourtant de ne pas préférer le style de Regnier ou de Molière.

Que si maintenant on nous oppose qu'il n'était pas besoin de tant de détours pour énoncer sur Boileau une opinion si peu neuve et que bien des gens partagent au fond, nous rappellerons qu'en tout ceci nous n'avons prétendu rien inventer; que nous avons seulement voulu rafraîchir en notre esprit les *idées que le nom de Boileau réveille, remettre ce célèbre personnage en place, dans son siècle, avec ses mérites et ses imperfections, et revoir sans préjugés, de près à la fois et à distance, le correct, l'élégant, l'ingénieux rédacteur d'un code poétique abrogé.

Avril 1829.

que l'esprit n'en est jamais dupe, Il y a même de l'élégance vraie et du gallicisme dans l'incomplet de certaines métaphores.

1 Dans son éloge de Despréaux (Hist. de l'Acad. des Inscript.), M. de Boze a dit très-judicieusement : « Nous croyons qu'il est inutile de vouloir donner << au public une idée plus particulière des Satires de M. Despréaux. Qu'ajou<< terions-nous à l'idée qu'il en a déjà? Devenues l'appui ou la ressource de la << plupart des conversations, combien de maximes, de proverbes ou de bons <<< mots ont-elles fait naître dans notre langue! et de la nôtre, combien en ont<< elles fait passer dans celle des étrangers ! Il y a peu de livres qui aient plus << agréablement exercé la mémoire des hommes, et il n'y en a certainement << point qu'il fût aujourd'hui plus aisé de restituer, si toutes les copies et toutes << les éditions en étoient perdues. >

Comme correctif à cet article critique, on demande la permission d'insérer ici la pièce de vers suivante, qui est postérieure de près de quinze ans. A ceux qui l'accuseraient encore d'avoir jeté la pierre aux statues de Racine et de Boileau, l'auteur, pour toute réponse, a droit maintenant de faire remarquer qu'en écrivant les Larmes de Racine et la Fontaine de Boileau, il a témoigné, très-incomplétement sans doute, de son admiration sincère pour ces deux poëtes, mais qu'en cela même il a donné bien autant de gages peut-être que ne l'ont fait certains de ses accusateurs.

LA FONTAINE DE BOILEAU1

ÉPITRE

A MADAME LA COMTESSE MOLÉ.

Dans les jours d'autrefois qui n'a chanté Bâville?
Quand septembre apparu délivrait de la ville
Le grave Parlement assis depuis dix mois,
Bâville se peuplait des hôtes de son choix,
Et, pour mieux animer son illustre retraite,
Lamoignon conviait et savant et poëte.
Guy Patin accourait, et d'un éclat soudain
Faisait rire l'écho jusqu'au bout du jardin,
Soit que, du vieux Sénat l'àme tout occupée,
Il poignardât César en proclamant Pompée,
Soit que de l'antimoine il contât quelque tour.
Huet, d'un ton discret et plus fait à la cour,
Sans zèle et passion causait de toute chose,
Des enfants de Japhet, ou même d'une rose.
Déjà plein du sujet qu'il allait méditant,
Rapin vantait le parc et célébrait l'étang.
Mais voici Despréaux, amenant sur ses traces
L'agrément sérieux, l'à-propos et les grâces.

2

O toi dont, un seul jour, j'osai nier la loi,

1 Il est indispensable, en lisant la pièce qui suit, d'avoir présente à la mémoire l'Epître VI de Boileau à Lamoignon, dans laquelle il parle de Bâville et de la vie qu'on y mène.

2 Auteur du poëme latin des Jardins : voir au livre III un morceau sur Bâville, et deux odes latines du même. Voir aussi Huet, Poésies latines et Mémoires.

Veux-tu bien, Despréaux, que je parle de toi,
Que j'en parle avec goût, avec respect suprême,
Et comme t'ayant vu dans ce cadre qui t'aime?

Fier de suivre à mon tour des hôtes dont le nom
N'a rien qui cède en gloire au nom de Lamoignon,
J'ai visité les lieux, et la tour, et l'allée

Où des fâcheux ta muse épiait la volée;

Le berceau plus couvert qui recueillait tes pas;
La fontaine surtout, chère au vallon d'en bas,
La fontaine en tes vers Polycrène épanchée,
Que le vieux villageois nomme aussi la Rachée1,
Mais que plus volontiers, pour ennoblir son eau,
Chacun salue encor Fontaine de Boileau.

Par un des beaux matins des premiers jours d'automne,
Le long de ces coteaux qu'un bois léger couronne,
Nous allions, repassant par ton même chemin
Et le reconnaissant, ton Épître à la main.
Moi, comme un converti, plus dévot à ta gloire,
Épris du flot sacré, je me disais d'y boire :
Mais, hélas! ce jour-là, les simples gens du lieu
Avaient fait un lavoir de la source du dieu,
Et de femmes, d'enfants, tout un cercle à la ronde
Occupaient la naïade et m'en altéraient l'onde.
Mes guides cependant, d'une commune voix,
Regrettaient le bouquet des ormes d'autrefois,
Hautes cimes longtemps à l'entour respectées,
Qu'un dernier possesseur à terre avait jetées.
Malheur à qui, docile au cupide intérêt,
Déshonore le front d'une antique forêt,

Ou dépouille à plaisir la colline prochaine !

1 Une rachée : on appelle ainsi les rejetons nés de la racine après qu'on a coupé le tronc. Les ormes qui ombrageaient autrefois la fontaine avaient probablement été coupés pour repousser en rachée de là le nom

Trois fois malheur, si c'est au bord d'une fontaine !

Était-ce donc présage, ô noble Despréaux,
Que la hache tombant sur ces arbres si beaux
Et ravageant l'ombrage où s'égaya ta muse?
Est-ce que
des talents aussi la gloire s'use,
Et que, reverdissant en plus d'une saison,
On finit, à son tour, par joncher le gazon,
Par tomber de vieillesse, ou de chute plus rude,
Sous les coups des neveux dans leur ingratitude?
Ceux surtout dont le lot, moins fait pour l'avenir,
Fut d'enseigner leur siècle et de le maintenir,
De lui marquer du doigt la limite tracée,
De lui dire où le goût modérait la pensée,
Où s'arrêtait à point l'art dans le naturel,
Et la dose de sens, d'agrément et de sel,

Ces talents-là, si vrais, pourtant plus que les autres
Sont sujets aux rebuts des temps comme les nôtres,
Bruyants, émancipés, prompts aux neuves douceurs,
Grands écoliers riant de leurs vieux professeurs.
Si le même conseil préside aux beaux ouvrages,
La forme du talent varie avec les âges,

Et c'est un nouvel art que dans le goût présent
D'offrir l'éternel fond antique et renaissant.
Tu l'aurais su, Boileau! Toi dont la ferme idée
Fut toujours de justesse et d'à-propos guidée,
Qui d'abord épuras le beau règne où tu vins,
Comment aurais-tu fait dans nos jours incertains?
J'aime ces questions, cette vue inquiète,
Audace du critique et presque du poëte.

Prudent roi des rimeurs, il t'aurait bien fallu
Sortir, chez nous, du cercle où ta raison s'est plu.
Tout poëte aujourd'hui vise au parlementaire;
Après qu'il a chanté, nul ne saura se taire :
Il parlera sur tout, sur vingt sujets au choix;

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