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Que pouvaient mes amis? Oui, de leur voix chérie
Un mot à travers ces barreaux

Eût versé quelque baume en mon âme flétrie;
De l'or peut-être à mes bourreaux...
Mais tout est précipice. Ils ont eu droit de vivre.
Vivez, amis; vivez contents.

En dépit de Bavus soyez lents à me suivre.
Peut-être en de plus heureux temps

J'ai moi-même, à l'aspect des pleurs de l'infortune,
Détourné mes regards distraits;

A mon tour aujourd'hui mon malheur importune :
Vivez, amis, vivez en paix 1.

Quoi qu'il en soit, la gloire de Le Brun, dans l'avenir, ne sera pas séparée de celle d'André Chénier. On se souviendra qu'il l'aima longtemps, qu'il le prédit, qu'il le goûta en un siècle de peu de poésie, et qu'il sentit du premier coup que ce jeune homme faisait ce que lui-même aurait voulu faire. On lui tiendra compte de ses efforts, de ses veilles, de sa poursuite infatigable de la gloire, de la tradition lyrique qu'il soutint avec éclat, de cette flamme intérieure enfin, qui ne lui échappait que par accès, et qui minait sa vie. On verra en lui un de ces hommes d'essai que la nature lance un peu au hasard, un des précurseurs aventureux du siècle dont a déjà resplendi l'aurore.

Juillet 1829.

1 Il serait dur, mais pas trop invraisemblable, de conjecturer qu'en écrivant les vers suivants (voir l'édition d'Eugène Renduel), Chénier a pu songer au jour où il se sentit déçu et blessé dans son admiration première pour Le Brun :

Al! j'atteste les Cieux que j'ai voulu le croire,
J'ai voulu démentir et mes yeux et l'histoire;
Mais non il n'est pas vrai que les cœurs excellents
Soient les seuls en effet où germent les talents.
Un mortel peut toucher une lyre sublime,
Et n'avoir qu'un cœur faible, étroit, pusillanime,
Inhabile aux vertus qu'il sait si bien chanter,
Ne les imiter point et les faire imiter, etc., etc.

MATHURIN REGNIER

ET

ANDRÉ CHÉNIER.

Hâtons-nous de le dire, ce n'est pas ici un rapprochement à antithèses, un parallèle académique que nous prétendons faire. En accouplant deux hommes si éloignés par le temps où ils ont vécu, si différents par le genre et la nature de leurs œuvres, nous ne nous soucions pas de tirer quelques étincelles plus ou moins vives, de faire jouer à l'œil quelques reflets de surface plus ou moins capricieux. C'est une vue essentiellement logique qui nous mène à joindre ces noms, et parce que, des deux idées poétiques dont ils sont les types admirables, l'une, sitôt qu'on l'approfondit, appelle l'autre et en est le complément. Une voix pure, mélodieuse et savante, un front noble et triste, le génie rayonnant de jeunesse, et, parfois, l'œil voilé de pleurs; la volupté dans toute sa fraîcheur et sa décence; la nature dans ses fontaines et ses ombrages; une flûte de buis, un archet d'or, une lyre d'ivoire; le beau pur, en un mot, voilà André Chénier. Une conversation brusque, franche et à saillies; nulle préoccupation d'art, nul quant-à-soi; une bouche de satyre aimant encore

mieux rire que mordre; de la rondeur, du bon sens; une malice exquise, par instants une amère éloquence; des récits enfumés de cuisine, de taverne et de mauvais lieux; aux mains, en guise de lyre, quelque instrument bouffon, mais non criard; en un mot, du laid et du grotesque à foison, c'est ainsi qu'on peut se figurer en gros Mathurin Regnier. Placé à l'entrée de nos deux principaux siècles littéraires, il leur tourne le dos et regarde le seizième; il y tend la main aux aïeux gaulois, à Montaigne, à Ronsard, à Rabelais, de même qu'André Chénier, jeté à l'issue de ces deux mêmes siècles classiques, tend déjà les bras au nôtre, et semble le frère aîné des poëtes nouveaux. Depuis 1613, année où Regnier mourut, jusqu'en 1782, année où commencèrent les premiers chants d'André Chénier, je ne vois, en exceptant les dramatiques, de poëte parent de ces deux grands hommes que La Fontaine, qui en est comme un mélange agréablement tempéré. Rien donc de plus piquant et de plus instructif que d'étudier dans leurs rapports ces deux figures originales, à physionomie presque contraire, qui se tiennent debout en sens inverse, chacune à un isthme de notre littérature centrale, et, comblant l'espace et la durée qui les séparent, de les adosser l'une à l'autre, de les joindre ensemble par la pensée, comme le Janus de notre poésie. Ce n'est pas d'ailleurs en différences et en contrastes que se passera toute cette comparaison : Regnier et Chénier ont cela de commun qu'ils sont un peu en dehors de leurs époques chronologiques, le premier plus en arrière, le second plus en avant, et qu'ils échappent par indépendance aux règles artificielles qu'on subit autour d'eux. Le caractère de leur style et l'allure de leurs vers sont les mêmes, et abondent en qualités pareilles; Chénier a retrouvé par instinct et étude ce que Regnier faisait de tradition et sans dessein; ils sont uniques en ce mérite, et notre jeune école chercherait vainement deux maîtres plus consommés dans l'art d'écrire

en vers.

Mathurin était né à Chartres, en Beauce, André, à Byzance,

en Grèce; tous deux se montrèrent poëtes dès l'enfance. Tonsuré de bonne heure, élevé dans le jeu de paume et le tripot de son père qui aimait la table et le plaisir, Regnier dut au célèbre abbé de Tiron, son oncle, les premiers préceptes de versification, et, dès qu'il fut en âge, quelques bénéfices qui ne l'enrichirent pas. Puis il fut attaché en qualité de chapelain à l'ambassade de Rome, ne s'y amusa que médiocrement; mais, comme Rabelais avait fait, il y attaqua de préférence les choses par le côté de la raillerie. A son retour, il reprit, plus que jamais, son train de vie qu'il n'avait guère interrompu en terre papale, et mourut de débauche avant quarante ans. Né d'un savant ingénieux et d'une Grecque brillante, André quitta très-jeune Byzance, sa patrie; mais il y rêva souvent dans les délicieuses vallées du Languedoc, où il fut élevé ; et lorsque plus tard, entré au collège de Navarre, il apprit la plus belle des langues, il semblait, comme a dit M. Villemain, se souvenir des jeux de son enfance et des chants de sa mère. Sous-lieutenant dans Angoumois, puis attaché à l'ambassade de Londres, il regretta amèrement sa chère indépendance, et n'eut pas de repos qu'il ne l'eût reconquise. Après plusieurs voyages, retiré aux environs de Paris, il commençait une vie heureuse dans laquelle l'étude et l'amitié empiétaient de plus en plus sur les plaisirs, quand la Révolution éclata. Il s'y lança avec candeur, s'y arrêta à propos, y fit la part équitable au peuple et au prince, et mourut sur l'échafaud en citoyen, se frappant le front en poëte. L'excellent Regnier, né et grandi pendant les guerres civiles, s'était endormi en bon bourgeois et en joyeux compagnon au sein de l'ordre rétabli par Henri IV.

Prenant successivement les quatre ou cinq grandes idées auxquelles d'ordinaire puisent les poëtes, Dieu, la nature, le génie, l'art, l'amour, la vie proprement dite, nous verrons comme elles se sont révélées aux deux hommes que nous étudions en ce moment, et sous quelle face ils ont tenté de les reproduire. Et d'abord, à commencer par Dieu, ab Jove prin

cipium, nous trouvons, et avec regret, que cette magnifique et féconde idée est trop absente de leur poésie, et qu'elle la laisse déserte du côté du ciel. Chez eux, elle n'apparaît même pas pour être contestée; ils n'y pensent jamais, et s'en passent, voilà tout. Ils n'ont assez longtemps vécu, ni l'un ni l'autre, pour arriver, au sortir des plaisirs, à cette philosophie supérieure qui relève et console. La corde de Lamartine ne vibrait pas en eux. Épicuriens et sensuels, ils me font l'effet, Regnier, d'un abbé romain, Chénier, d'un Grec d'autrefois. Chénier était un païen aimable, croyant à Palès, à Vénus, aux Muses; un Alcibiade candide et modeste, nourri de poésie, d'amitié et d'amour. Sa sensibilité est vive et tendre; mais, tout en s'attristant à l'aspect de la mort, il ne s'élève pas au-dessus des croyances de Tibulle et d'Horace:

Aujourd'hui qu'au tombeau je suis prêt à descendre,
Mes amis, dans vos mains je dépose ma cendre.
Je ne veux point, couvert d'un funèbre linceuil,
Que les pontifes saints autour de mon cercueil,
Appelés aux accents de l'airain lent et sombre,
De leur chant lamentable accompagnent mon ombre,
Et sous des murs sacrés aillent ensevelir

Ma vie et ma dépouille, et tout mon souvenir.

Il aime la nature, il l'adore, et non-seulement dans ses variétés riantes, dans ses sentiers et ses buissons, mais dans sa majesté éternelle et sublime, aux Alpes, au Rhône, aux grèves de l'Océan. Pourtant l'émotion religieuse que ces

1 Je lis dans les notes d'un voyage d'Italie : « Vers le même temps où se < retrouvaient à Pompéi toute une ville antique et tout l'art grec et romain << qui en sortait graduellement, piquante coïncidence! André Chénier, un poëte < grec vivant, se retrouvait aussi. En parcourant cet admirable musée de sta< tuaire antique à Naples, je songeais à lui; la place de sa poésie est entre < toutes ces Vénus, ces Ganymèdes et ces Bacchus; c'est là son monde. Sa jeune Tarentine y appartient exactement, et je ne cessais de l'y voir en < figure. La poésie d'André Chénier est l'accompagnement sur la flûte et sur <la lyre de tout eet art de marbre retrouvé. »

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