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FABLE VII. La Cour du Lion. Phædr., IV, 13.

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Marie de France, 37. — Regnerii apologi Phædrii, Divione, 1643, p. 1, f. 33.

M. Saint-Marc Girardin a comparé à la fable de La Fontaine la fable latine du Romulus, qu'il traduit ainsi :

LE LOUP VICE-ROI.

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« Le lion, se disposant à un voyage lointain, convoqua les animaux et leur dit d'élire un roi pour le remplacer. A l'unanimité, ils choisirent le loup, parce que, disaient-ils, le loup sera fort contre nos ennemis, parce qu'il sera redoutable et audacieux. « Oui, dit le lion, vous avez choisi pour maître un animal « fort et vaillant; mais il faut qu'il se conforme à la justice et « à la miséricorde, comme il convient à un roi. Or, pour que <«< vous puissiez vivre en sûreté sous son autorité, il faut qu'il s'oblige par serment à ne nuire à aucun de vous et à ne jamais « manger de chair d'animal. » Sur la demande de tout le monde. le loup prêta ce serment et bien d'autres. Mais, après le départ du lion, se voyant tranquille et bien affermi dans son autorité, il chercha dans sa tête comment il obtiendrait des animaux euxmêmes la faculté de manger de la chair d'animal. Il s'adressa donc à un chevreau et le pria de lui dire s'il avait l'haleine mauvaise. « Ah! oui, répondit le chevreau, si mauvaise qu'elle est in« supportable. » Sans perdre de temps, le loup convoque les animaux et leur demande ce qu'il faut faire de celui qui, au mépris de la majesté royale, a tenu au souverain des propos grossiers et injurieux. « Sire, c'est un crime de lèse-majesté; qu'il << meure! » En vertu de ce jugement, le loup tua le chevreau en lui rappelant son crime, et, pour faire excuser sa méchanceté, il partagea le corps entre les barons, gardant toutefois pour luimême la meilleure part. Une autre fois, la faim étant revenue, le loup demanda à la biche ce qu'elle pensait de son haleine. Celleci, aimant mieux mentir que de mourir, répondit que de sa vie elle n'avait senti une si douce odeur. Le loup, ayant convoqué

ses barons, leur demanda quelle peine méritait celui qui, prié par le roi de dire la vérité, avait osé mentir et user de fourberie. « Il mérite la mort! » répondit l'assemblée. La pauvre biche fut tuée et mangée sans que personne dît mot. A quelques jours de là, le loup, voyant un singe qui était jeune et gras, l'interrogea sur son haleine. Le singe répondit qu'elle n'avait rien d'extraordinaire. Le loup, sentant qu'il ne pouvait lui intenter une accusation raisonnable, se mit au lit et se dit malade. On vint lui faire visite et on lui amena des médecins qui déclarèrent que Sa Majesté ne courait aucun danger, pourvu toutefois qu'elle mangeât ce qui pouvait flatter son appétit. « Je n'ai du goût à rien, répondit le malade, excepté pour la chair de singe. Mais j'ai<«< merais mieux mourir que de violer mon serment aux dépens « du singe. Mes barons seuls, dans leur sagesse, pourraient décider le cas. » Tous répondirent que le roi, en pareille circonstance, avait pleine liberté d'agir, et qu'il n'y avait pas de serment qui pût tenir contre le soin de sa santé. Le jugement prononcé, le singe fut tué et mangé. Mais la sentence retomba bientôt sur la tête des juges, parce que, à partir de ce jour, le loup ne garda plus son serment envers personne.

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« Le sage, par cette fable, nous avertit qu'il ne faut jamais confier le pouvoir aux méchants, parce que les méchants promettent sans scrupule tout ce qu'on leur demande, bien résolus à ne faire que leur volonté. 1 »

M. Saint-Marc Girardin donne la préférence à cet apologue sur celui de La Fontaine, à cause surtout de la moralité qui est bien plus haute et bien plus grave dans le Romulus que dans notre poëte.

Marie de France rima au XIIe siècle la fable du Romulus. Elle prête au singe, refusant de répondre à la question du loup, l'excuse que La Fontaine attribue au renard:

Or dist au leu que molt estoit
Anrimés, si qu'il ne povoit

De li sentir la seie flaireur.

1. La Fontaine et les Fabulistes, t. I, p. 215. V. le texte latin, ibid.,

p. 217, ou dans Robert, Fables inédites, etc., t. II, p. 561.

Le fabuliste latin Régnier, précédant La Fontaine de quelques années, dit de même :

Cerebri rhuma odoratus poros

Tam stipat, ut non transmeat nares odor.

Marie de France traduit ainsi la conclusion du Romulus :

Pur ce, li saiges monstre bien
Que l'on ne doit, pour nulle rien,
Félon homme faire seigneur,

Ni le traire à haute honneur.

Jà ne gardera loyauté

Plus à l'estrange qu'au privé.

Si se demaine vers sa gent

Com fist li leus de son serment.

« Il n'agira pas de meilleure foi envers l'étranger qu'envers le citoyen, et les promesses qu'il fit à son peuple seront gardées comme le serment du loup. »

La fable de La Fontaine était composée en 1674. Mme de Sévigné en parle à Mme de Grignan dans une lettre du 22 mars de cette année. « Voilà une fable des plus jolies, ajoute-t-elle. Ne connoissez-vous personne qui soit aussi bon courtisan que ce renard? >>

FABLE VIII. Les Vautours et les Pigeons. Abstemius, 96.
Conf. la fable iv du livre II.

FABLE IX. Le Coche et la Mouche. Esop., 217, 294. Phædr., III, 6. Ugobardi Sulmonensis, 36.

-

FABLE X. La Laitière et le Pot au lait.

Mme de Sévigné parle de cette fable dans une lettre en date du 9 mars 1672 : « Je ne sais, dit-elle, ce que c'est que ce pot au lait. »

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Un des plus célèbres apologues du monde; il naquit chez les Hindous. On le trouve, avec des circonstances un peu différentes, dans le Pantcha-Tantra (le Brahmane Soma-Sarma et la Jarre de farine); dans l'Hitopadesa (le Brahmane Dévasarman qui brisa les pots); dans les fables et contes de Bidpay (le Santon aux vains projets), dans les Mille et une Nuits (Histoire d'Alnaschar, nuit 176).

Il parut de bonne heure en Europe, et nous l'avons vu, au XIe siècle, dans un sermon de Jacques de Vitry. 1 Il forme l'exemple VIIe du Comte Lucanor, dont la conclusion est : « Tenez-vous aux choses certaines et laissez de côté les vaines illusions. »

Le Lorrain Philippe de Vigneulles inséra l'histoire de la Laitière et du Pot au lait dans ses contes, et, à en juger par la forme presque scénique de sa narration, on croirait qu'il eut un livret de farce sous les yeux. Ce serait donc vers cette époque, dans la seconde moitié du xve siècle, que le vieil apologue aurait été mis en dialogue et joué par quelque confrérie d'acteurs comiques. Le jeu se renouvela, ainsi que le constate Rabelais : « J'ai grand peur, dit Rabelais, 2 que toute cette entreprise sera semblable à la farce du Pot au lait, duquel un cordouannier se faisoit riche par resverie; puis, le pot cassé, n'eut de quoi disner. » La Fontaine n'a pas oublié cette circonstance, et il dit en terminant son conte :

Le récit en farce en fut fait :
On l'appela le Pot au lait.

Bonaventure Despériers 3 reprend presque tous les détails de Jacques de Vitry : « Une bonne femme portait une potée de lait au marché, faisant son compte ainsi qu'elle la vendroit deux liards; de ces deux liards, elle acheteroit une douzaine d'œufs, lesquels on mettroit couver et on auroit une douzaine de poussins. Ces poussins deviendroient grands, et les feroit chaponner. Ces chapons vaudroient cinq sous la pièce. Ce seroit un écu et plus, dont elle acheteroit deux cochons, mâle et femelle, qui deviendroient grands et en feroient une douzaine d'autres, qu'elle vendroit vingt sols la pièce après les avoir nourris quelque temps. Ce seroient douze francs, dont elle acheteroit une jument, qui porteroit un beau poulain, lequel croîtroit et deviendroit tant gentil! Il sauteroit et feroit hin. Et en disant hin, la bonne femme, de l'aise qu'elle avoit en son compte, se print à faire la ruade que

1. Voyez notre Étude générale.

2. Livre Ier, ch. xxxi.

3. Nouvelle 14.

feroit son poulain; et, en ce faisant, sa potée de lait va tomber et se répandit toute. Et voilà ses œufs, ses poussins, ses chapons, ses cochons, sa jument et son poulain tous par terre. »

Si nous ne possédons plus la farce française qui paraît avoir eu du succès sur les tréteaux des Enfants-Sans-Souci, nous avons un intermède joué en Espagne, vers 1560, par Lope de Rueda, l'un des fondateurs du théâtre espagnol. Cet intermède a pour titre : las Aceitunas (les Olives). La scène est entre Toruvio, vieux laboureur de Zamora, qui rentre chez lui trempé jusqu'aux os, sa femme Agueda et sa fille Menciguela. Agueda a son rêve de fortune qui repose sur certain champ d'oliviers dont elle voudrait vendre les olives au marché le plus cher possible. Mais Toruvio a-t-il planté les oliviers?

Agueda. Je gagerais, mon mari, qu'il ne vous est pas encore venu en tête de travailler à ce plant d'oliviers que je vous avais tant recommandé?

Toruvio.

Et pourquoi donc serais-je rentré si tard, si ce n'était pour faire ce que vous m'avez dit ?

Agueda. A la bonne heure! Et où avez-vous planté ?

Toruvio.

-

Là-bas, près du figuier où je vous ai embrassée

un jour. Vous en souvenez-vous?

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Agueda.

(Manciguela reparaît.)

Mon père, quand vous voudrez souper, tout

Vous ne savez pas ce que j'ai pensé, mon mari? ce replant que vous venez de mettre en terre rendra, d'ici à six ou sept ans, quatre à cinq fanègues d'olives; et en ajoutant un rejeton par-ci, un autre rejeton par-là, dans vingt-cinq ou trente ans vous aurez un champ d'oliviers en plein et bon rapport. Toruvio. - Rien de plus vrai, ma femme; cela ne peut manquer de faire merveille.

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Agueda. Savez-vous ce que j'ai pensé, mon mari? Non? eh bien, écoutez-moi. Je ferai la cueillette des olives, vous les transporterez sur notre petit âne et Menciguela les vendra au marché ; mais souvenez-vous de ce que je vous dis, ma fille, vous ne devez pas donner le celemin1 pour moins de deux réaux de Castille. Toruvio. Deux réaux de Castille! Oh! par exemple, ce se

1. Douzième de la fanègue, environ un boisscau.

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