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Pater noster une fois seulement,

Ce qu'il promit très-libéralement.

Le renard se confesse à son tour, et ce n'est pas non plus sans chercher à atténuer ses méfaits qu'il avoue avoir pris et mangé un coq et ses poules :

L'aultre hier, en un repaire,

Un fier coq, despit et orgueilleux,
Fort importun et si très-merveilleux
Qu'il meurtrissoit de ses griz et ses croqs
Et debelloit pour vrai tous aultres coqs,
Et oultre plus, tant le jour que la nuit,
Estourdissoit par impétueux bruit
Petits et grands, et en espécial,
Les ceulx à qui la teste faisoit mal.
Par quoi, voyant de cestuy coq l'orgueil,
En mon courage en conçus un tel deuil,
Que je l'ai pris comme il se pourmenoit
Emmy les champs où ses poules menoit;
Puis l'ai mangé en lui tordant le col,
Pour et enfin qu'il ne fist plus du fol.

La sollicitude du renard pour ceux qui ont mal à la tête et que le coq importunait par ses cris est un trait plaisant. A ce premier aveu, le renard en ajoute un autre : il convient qu'il a croqué les poules après le coq, mais il l'a fait parce qu'après la mort de celui-ci, les poules ne cessaient de l'accuser et de l'injurier. Bref, conclut-il,

S'en ce cas j'ai faict dissolution,

J'en quiers pardon et absolution,

M'adjoindre aussi pénitence de faict.

Il retrouve, comme bien on le pense, dans son compère le loup l'indulgence avec laquelle lui-même l'a traité :

Le loup, pour toute pénitence,
Lui enchargea qu'il s'abstînt volontiers
De manger chair par trois jours tout entiers

De vendredi; mais c'estoit à sçavoir
S'il n'en trouvoit ou n'en pouvoit avoir :
Ce que promit faire de point en point.

Les deux premiers pèlerins étaient ainsi absous l'un par l'autre;

le troisième commence sa confession :

Tout cela faict, le pauvre asne est venu
A confesser son cas par le menu

A tous les deux, leur disant : « Mes amis,
Vous cognoissez que nature m'a mis
Sur terre fin de porter peine et faix
Et endurer travail, ce que je fais
Patiemment. Ce nonobstant encoire,
Le plus souvent, ainsi qu'il est notoire,
Je suis bastu ou me fait-on jeusner.
Donc, quelquefois comme, sans déjeusner,
Un serviteur au moulin me menoit

Et que lié après lui me tenoit,

Pus adviser, lors en marchant mon train,

C'est à sçavoir deux ou trois brins d'estrain (de paille)
Outre le bord de ses souliers passans.

Quand je les vis estre ainsi surpassans,
Je vins iceux à tirer et haller

Pour les manger. Depuis, à vrai parler,
Je ne sais pas qu'il en est advenu :
Mais s'aucun mal lui en estoit venu,
Je prie à Dieu de me le pardonner.
Et que veuillez m'en absoudre et donner
Et encharger pénitence condigne,
Juste et selon que le cas en est digne,
Lequel vous ai à présent défini. »
Pas n'eust si tost ce pauvre asne fini
Son dit propos, que le renard et loup
Ne soient venus à crier bien à coup :

« O meurtrier et larron tout ensemble!

Tu as commis un cas, comme il nous semble,
Irrémissible et bien digne de mort,

Vu et connu le grand excès et tort
Que tu as faict au pauvre serviteur,
Lequel par toi, ò meschant proditeur!
A souffert mort, possible est, grave et dure
En endurant en ses pieds la froidure,
Pour lui avoir cestui feurre arraché
Lequel estoit en ses souliers caché
Pour lui tenir ses dits pieds en chaleur.
Or, affin donc qu'avec ton grand malheur
Nous punissions ton offense et pesché,
Par nous seras à présent despesché
Incontinent! » Cela conclu entre eux,

Ils vous ont pris ce pauvre asne tous deux,
Et puis vous l'ont tellement devouré

Qu'un seul morceau de chair n'est demouré.

Presque à la même époque où Guillaume Haudent racontait, après Guillaume Guéroult, la confession de l'âne, l'Allemand Bebelius lui donnait place dans ses Facéties latines, livre II, conte xxv. 1

Vers la fin du siècle (1585), Pierre de Larivey nous offre une bonne version en prose. Traduisant les Nuits de Straparole, il substitue à la première fable de la treizième nuit de son auteur cet apologue qu'il raconte d'après Guillaume Haudent. 2 Pierre de Larivey conclut comme il suit : « Par le loup et le regnard s'entendent les grands qui, se pardonnant l'un l'aultre, tourmentent l'asne qui est le pauvre peuple, lequel porte le faix de leurs meschancetés, ce que Juvénal a fort bien noté, disant :

Le magistrat pardonne aux corbeaux offençans,
Et mulcte par tourmens les pigeons innocens. 3 »

3

Nous venons de tracer un court aperçu des destinées de cet apologue avant La Fontaine. On aura remarqué que l'idée du dévouement, qui est le point de départ de la fable asiatique, disparaît dans la fable telle que le moyen âge l'a transformée. C'est La Fontaine qui reprend cette idée et qui lui donne une portée bien plus haute. Il ne s'agit plus, en effet, d'un acte de dévouement monarchique et personnel, mais d'une cérémonie expiatoire, d'un sacrifice solennel destiné à conjurer le fléau destructeur. Il s'agit de trouver le coupable qui a peut-être attiré sur la gent animale ce fléau, la victime qui apaise le courroux des dieux et sauve « les hôtes de l'univers. » Les détails du drame prennent dès lors une tout autre signification.

D'autre part, la confession du lion, la complaisante indulgence du renard, la timidité et la sincérité scrupuleuse de l'âne, le vio

1. Facetiarum libri tres, Tubinga, 1550, in-8.

2. Les Facétieuses nuits de Straparole, traduites par Jean Louveau et Pierre de Larivey. Édit. P. Jannet, 1857, t. II, p. 341.

3.

Dat veniam corvis, vexat censura columbas.

lent réquisitoire du loup, tout ce tableau tragi-comique a été inspiré par notre vieille littérature. C'est ainsi que, tout en rendant justice à la supériorité de La Fontaine, la série des œuvres remarquables qui l'ont précédé, depuis le Pantcha-Tantra jusqu'à Larivey, sert à expliquer la conception de son admirable apologue et nous en fait distinguer les éléments originaux.

FABLE II. Le Mal marié. Fabulæ variorum auctorum, Neveleti, Francof. 1660 Esopi, fab. 93; Fabula Esopicæ, edit. Furia, Lipsiæ, 1810, fab. 246.

Bandello (Novella 41) modifie l'anecdote comme il suit : « Pendant que le roi Frédéric d'Aragon régnait à Naples, il y avait dans cette ville un gentilhomme marié à une femme nommée Paola, assez jolie, mais si bizarre, désagréable et contrariante, que tout le long du jour elle ne faisait que quereller ceux qui lui tombaient sous la main : quand elle n'avait personne à quereller, elle grondait contre elle-même et était constamment en colère. Si quelqu'un avait le malheur de lui répliquer, elle entrait dans une telle fureur que, pendant deux ou trois jours, elle ne faisait que crier. Son mari, homme instruit et aimable, eut d'abord beaucoup de mal à s'accorder avec elle; mais, voyant que tout ce qu'il pouvait faire ou dire était inutile, il fut obligé de la laisser tempêter, sans jamais lui répondre. Grâce à cette patience, il vécut avec elle trente années. Il invita un jour un ami à dîner. Étant à table, la femme, qui était vis-à-vis de l'ami, voyant un certain plat qui n'avait pas été préparé à sa guise, se mit en colère et commença à s'emporter contre tel domestique et contre telle servante; et plus elle criait, plus sa voix s'élevait et sa véhémence augmentait, si bien que l'ami invité, ne pouvant supporter cet ennui, voulut se lever de table et se retirer. Le mari, s'apercevant de son intention, lui dit : « Eh quoi! cher camarade, tu as donc bien peu de patience! Voilà trente ans que j'ai à souffrir l'humeur acariâtre, les clameurs, les fâcheries de cette personne, et que j'ai à les souffrir jour et nuit; et toi, tu ne peux pas les endurer une demi-heure! » L'ami se rassit à ces paroles. La dame, reprise d'une manière si piquante, entendit la leçon, se corrigea et devint ensuite raisonnable, paisible et gracieuse. >>

Il me semble que cette version du conteur italien vaut bien celle adoptée par La Fontaine.

On s'est demandé si La Fontaine, écrivant les vers par lesquels débute son apologue, oubliait qu'il était marié et que, par conséquent, il n'avait plus à chercher femme. Cet oubli n'aurait pas été impossible de sa part, sans doute; mais il faut dire aussi que l'auteur peut, s'il le veut, s'abstraire et s'isoler de l'homme privé: il s'adresse à des lecteurs qui sont censés ignorer s'il est époux, s'il est père, etc., et ne connaître que le poëte. Il lui est donc permis de se supposer vis-à-vis d'eux dans une autre condition que sa condition véritable, sans qu'on doive en conclure absolument qu'il ne se souvenait plus de celle-ci.

FABLE III. Le Rat qui s'est retiré du monde.

Il y a dans le Dialogus creaturarum, de Nicolas de Pergame, une fable analogue à celle-ci, dont le héros est un chardonneret; elle est intitulée : le Chardonneret en cage, de Carduello in cavea.

FABLE IV. Le Héron. Abstemius, 37, 44.

FABLE V. La Fille. M. Val. Martialis, 1. V, épigr. 17:

Dum proavos atavosque refers et nomina magna,
Dum tibi noster eques sordida conditio est,
Dum te posse negas nisi lato, Gellia, clavo,

Nubere, nupsisti, Gellia, cistifero.

Parmi les vers peu nombreux de Valentin Conrart que nous possédons, on a le huitain suivant qui résume, dans un autre style, la fable de La Fontaine :

Au-dessous de vingt ans, la fille, en priant Dieu,
Dit : « Donne-moi, Seigneur, un mari de bon lieu,
Qui soit doux, opulent, libéral, agréable. »

A vingt-cinq ans : « Seigneur, un qui soit supportable,
Ou qui, parmi le monde, au moins puisse passer. »
Enfin, quand par les ans elle se voit presser,
Qu'elle se voit vieillir, qu'elle approche de trente :
« Un tel qu'il te plaira, Seigneur, je m'en contente. >>

Conf. Marie de France, fable 24.

FABLE VI. Les Souhaits.
Rabelais, nouveau prologue du livre IV, in fine.

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