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Charles en sait jouir : il sauroit dans la guerre
Signaler sa valeur, et mener l'Angleterre
A ces jeux qu'en repos elle voit aujourd'hui.
Cependant s'il pouvoit apaiser la querelle,
Que d'encens! Est-il rien de plus digne de lui?
La carrière d'Auguste a-t-elle été moins belle
Que les fameux exploits du premier des Césars?
O peuple trop heureux! quand la paix viendra-t-elle
Nous rendre, comme vous, tout entiers aux beaux-arts?

FIN DU SEPTIEME LIVRE.

LIVRE VII.

SOURCES, RAPPROCHEMENTS, COMMENTAIRES.

FABLE I. Les Animaux malades de la peste.

L'origine de cet apologue remonte aux sources indiennes. On en trouve les principaux éléments dans la fable de l'Hitopadesa: le Lion, le Corbeau, le Tigre, le Chacal et le Chameau. « Dans une forêt, il y avait un lion nommé Madotkata, lequel avait pour ses serviteurs un corbeau, un tigre et un chacal. Un jour, en se promenant, ces trois animaux rencontrèrent un chameau qui s'était égaré d'une caravane, et lui demandèrent d'où il venait. Le chameau leur raconta son aventure, et ils le menèrent près du lion. Celui-ci lui promit de le prendre sous sa protection; puis il lui donna le nom de Tchitrakarna et le fit demeurer auprès de lui. Quelque temps après, le lion étant devenu infirme et la pluie étant tombée en abondance, le corbeau, le tigre et le chacal ne purent pas trouver de nourriture. Ils furent très-embarrassés, et ils se dirent entre eux : « Il faut faire en « sorte que notre maître tue Tchitrakarna; avons-nous besoin « de ce mangeur de broussailles ? Mais, dit le tigre, notre

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« maître lui a promis sa protection et l'a accueilli avec bienveillance: comment pourrions-nous mettre ce plan à exécution? Aujourd'hui, répondit le corbeau, notre maître dépérit, et

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« il n'hésitera pas à commettre un crime. »>

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.... Après avoir fait ces réflexions, ils allèrent tous les trois auprès du lion. « Avez-vous trouvé de quoi manger? leur

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« nos efforts, nous n'avons rien trouvé. Comment vivre main« tenant? dit le lion.

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Seigneur, dit le corbeau, en nous pri

« vant d'un aliment que nous possédons, nous allons tous périr.

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Et quel aliment avons-nous donc ici? demanda le lion. << Tchitrakarna, lui dit le corbeau à l'oreille. » Le lion toucha la terre, puis ses deux oreilles, et il s'écria : « Je lui ai promis ma « protection, et je l'ai retenu auprès de moi : comment cela se«rait-il possible ?... Votre seigneurie ne le tuera pas, répon<< dit le corbeau, mais nous ferons en sorte qu'il consente lui« même à se sacrifier. »>

« A ces mots, le lion se tut. Le corbeau profita d'une occasion et eut recours à la ruse. Il vint, avec tous ses compagnons, auprès du lion, et lui dit : « Seigneur, malgré nos efforts, nous « n'avons pas trouvé de quoi manger. Votre seigneurie a souffert « d'un si long jeûne. Qu'elle se nourrisse donc aujourd'hui de ma «< chair!... — Mon ami, dit le lion, il vaut mieux mourir que de «< commettre une telle action. » Le chacal lui fit ensuite la même offre. « Non, non, répondit le lion. - Seigneur, dit le tigre à son « tour, prenez mon corps et nourrissez-vous. Cela ne serait

<< point convenable, » reprit le lion. Alors Tchitrakarna, qui ne se défiait de rien, offrit comme les autres de se sacrifier; mais il n'eut pas plus tôt parlé que le tigre l'éventra, et tous le dévorèrent. 1»

Dans le Calila et Dimna ou les Fables de Bidpay, les personnages sont le corbeau, le loup, le renard, le lion et le chameau. Le récit est beaucoup plus développé. La scène, notamment, où les trois compagnons du chameau offrent au lion de se sacrifier, renferme de piquants détails. Quand le corbeau a parlé, le loup, le renard et le chameau lui-même se récrient sur la mauvaise qualité de la chair du corbeau. Après la harangue du renard, c'est le loup qui reproche à celui-ci de vouloir faire manger au souverain une nourriture puante et malsaine, et quand le loup a parlé, le renard lui rend le même service et affirme que la chair du loup est telle, qu'on ne peut l'avaler sans s'étrangler.

1. Hitopadesa, traduit du sanscrit par M. E. Lancereau. Paris, P. Jannet, 1855.

Reste le débonnaire chameau, qui s'immole avec conviction à l'appétit du monarque. Les autres s'écrient en le mettant en pièces : « Ah! qu'il est heureux de laisser à la postérité un si bel exemple de générosité et de zèle ! »

La Fontaine a pu voir l'apologue indien dans le Livre des lumières, de David Sahid, chap. 1, fable xx.

Bien antérieurement à la traduction de David Sahid, le recueil des contes et apologues indiens était arrivé en Europe par les voies que nous avons décrites dans notre étude générale. L'histoire du malheureux chameau, victime de sa candeur, changea de caractère pour s'appliquer aux mœurs et aux croyances occidentales. Il fut remplacé par l'âne indigène, et, au lieu d'un sacrifice volontaire, il ne s'agit plus que d'une confession publique de ses péchés et d'une exorbitante punition qui lui est infligée pour ses peccadilles. Cet exemple de la confession de l'àne se répandit principalement dans les sermons ou les traités relatifs au sacrement de la pénitence: il servait à exhorter les confesseurs à n'avoir pas trop d'indulgence pour les riches et les puissants, ni trop de sévérité pour les pauvres.

François Philelphe la recueillit dans ses fables latines imprimées à Venise en 1480. Morlini, fable x, offre une leçon un peu distincte, dans laquelle l'agneau remplit le rôle de l'âne. L'agneau porte plainte contre le loup devant le lion. Ils plaident tous deux. Le loup accuse l'agneau d'avoir suscité les chiens pour le dévorer lui et les siens. Le lion, qui penche du côté des loups, « qui sont des puissances,» tanquam præpotentes in regno, condamne l'agneau à donner caution à son adversaire, qu'il ne causera plus de dommage, et, en outre, à lui livrer, à lui lion, sa peau, en punition du tort qu'il a eu de recourir aux chiens et des excès et outrages que ceux-ci ont commis dans le royaume.

Deux fabulistes français, Guillaume Guéroult et Guillaume Haudent, traitèrent ce sujet en vers à peu d'années de distance (1540-1547) et réussirent presque également. Nous avons reproduit, dans notre étude générale, la fable de Guéroult. Citons les principaux passages de celle de Guillaume Haudent, qui est à peine inférieure à la première. Elle est la 266 du recueil et a pour titre La Confession de l'Ane, du Renard et du Loup.

Le loup, le renard et l'âne, allant à Rome pour obtenir la ré

mission de leurs péchés, font route ensemble. Réfléchissant au grand nombre de pénitents qui obséderont le pape et les cardinaux, craignant d'être empêché d'obtenir l'absolution, le renard dit:

Bon seroit, ce me semble,

Nous confesser l'un à l'aultre des maulx,

Iniquités et crimes anormaulx

Qu'avons commis. . . . .

Cet avis est approuvé, et le loup, donnant l'exemple et se mettant à genoux, s'accuse d'avoir dévoré une truie et ses petits :

Un jour passé dessus une terrasse

Je rencontrai une coche fort grasse

Que je mangeai, pour autant qu'en l'estable,
Comme cruelle et mère détestable,

Ses cochonnets laissoit mourir de faim.
Considérant encore l'endemain
Siens cochons orphelins demourés
De leurs parents, je les ai devourés
Par la pitié que j'ai dû avoir d'eulx,
En les voyant estre ainsi souffreteulx.
Si j'ai péché en ces deux cas ici,
J'en quiers pardon en vous criant merci,
Et suppliant par grand dévotion

De m'en donner vostre absolution,

Ayant esgard à ma grand repentance.

Le renard s'empresse d'enchérir sur les hypocrites excuses allé

guées par le loup :

Certes, vous n'avez pas

Fort offensé n'oussi commis grand cas,
Vu que la coche, ainsi comme l'entends,
Étoit aux champs où prenoit passe-temps,
Sans tenir compte ni avoir soin et cure
De ses cochons estant sans nourriture,
Seuls en l'estable, où de faim ils mouroient.
Considérant, après, qu'ils demouroient
De père et mère orphelins, par pitié
Qui vous tenoit, non par inimitié,
Vous les avez tous mangés en la fin...
Je vous absous entièrement de tout,
Vous enjoignant de dire bout à bout

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