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FABLE XXII. Un Fou et un Sage. Phèdre, 3, 5. « Cette leçon, dit Nodier, peut être bonne, surtout à la cour; mais elle suppose une petite combinaison que l'on voudrait croire étrangère à l'âme simple de La Fontaine. Aussi a-t-il fait ce qu'il a pu pour modifier son sujet. Dans Phèdre, l'insolent est pendu. »>

Dans le cinquième livre du Pantcha-Tantra, intitulé le Danger des actions irréfléchies, un marchand, averti par un songe, ayant, par un coup de bâton, changé en un monceau d'or un génie déguisé sous la forme d'un moine, un barbier, témoin de ce fait, frappe aussi d'autres moines; il est saisi et empalé pour cette action.

FABLE XXIII. Le Renard anglais. Le trait attribué à ce renard n'a rien de particulier à l'Angleterre. Il est déjà, dans nos vieux romans de Renard, le sujet d'une branche très-intéressante, intitulée « Comment Renart se muça ès piaux, » comment Renard se cacha aux pieux.

FABLE XXIV. Le Soleil et les Grenouilles. Le P. Commire, Sl et Rance. La fable latine fut d'abord imprimée sur une feuille volante avec ce titre : Appendix ad fabulas Phædri, ex bibl. Leidensi, etc. Parisiis, 1672, in-8°.

« La fable du P. Commire est une satire contre la Hollande, qui s'alarmait pour son indépendance des conquêtes que Louis XIV avait faites en Flandre. Changeant de parti, elle devint l'alliée de l'Espagne, qu'elle ne craignait plus, et l'ennemie de la France, dont elle redoutait la domination. La vanité nationale de la France se blesse aisément, et, comme l'orgueil de Louis XIV, qui s'irritait de se voir contrarié par ce petit État, s'accordait avec la vanité nationale, ce fut partout un concert de reproches contre les Hollandais. Tous les poëtes du temps attaquèrent à l'envi ces républicains qui ne voulaient pas sacrifier à la France l'indépendance qu'ils avaient conquise sur l'Espagne. Le P. Commire fit sa fable qui eut un grand succès; en voici la traduction :

« Les grenouilles, habitantes des marais, race ambiguë, moitié « terrestre et moitié aquatique, née dans la fange, avaient vu pro« spérer leur État, grâce à la protection du soleil. C'était par son « secours qu'elles avaient chassé les taureaux qui paissaient au « bord de leurs marais. Elles avaient même osé aborder la vaste

« mer, et souvent elles avaient provoqué et vaincu les poissons « les plus formidables. Elles devinrent orgueilleuses, et, ce qui «< est pis, ingrates. Elles commencèrent à être jalouses de la « gloire du soleil, et à regarder d'un mauvais œil l'astre qu'a«dore l'univers. Elles l'insultent par leurs coassements et leurs «< clameurs; elles osent même le menacer; elles lui signifient « qu'il ait à s'arrêter dans sa course céleste, et, comme le soleil «< continuait à éclairer le monde de ses feux, elles s'efforcent « d'entraver sa marche. Elles agitent la vase de leurs marais et << la font bouillonner une noire vapeur s'élève du fond des ma« récages et cache la lumière du jour sous un nuage épais. Le « roi des astres sourit de cette insolence : « Vos traits retomberont « sur votre tête, » dit-il; et, rassemblant ses rayons dispersés sur « le monde, il change ces noires vapeurs en foudre et en grêle << retentissante. Les grenouilles sont accablées par une épouvan« table tempête. En vain, elles cherchent à se cacher sous leurs «< joncs; en vain, elles s'enfoncent dans la vase pour échapper « au désastre: le soleil brûle tout par ses feux et dessèche les << marais qui leur servaient de refuge. Les grenouilles périssent << sous ces traits enflammés, et deviennent la proie des milans et « des corbeaux. Alors une d'entre elles, plus sage que les autres, << dit en mourant: « Nous sommes justement punies d'avoir payé «<les bienfaits par l'insulte. Puissent nos malheurs avertir nos « descendants de respecter les dieux ! »

« Cette allégorie est froide, outre qu'elle est injurieuse. A force de songer aux Hollandais, Commire a oublié qu'il s'agissait des grenouilles dans sa fable, et que leurs guerres avec les taureaux et avec les poissons choquaient la vraisemblance. La Fontaine, qui, en mettant des animaux en scène au lieu d'hommes, a toujours eu soin de ne pas forcer leur nature, n'a pas fait des grenouilles du P. Commire les adversaires des taureaux et des poissons: il se contente de dire qu'avec les cris qu'elles poussaient contre le soleil, on ne pouvait dormir en paix. Il a ôté à l'allégorie du père jésuite ce qu'elle avait de pompeux et de faux; il est plus simple, mais il n'est ni piquant ni gracieux1. »

1. Saint-Marc Girardin, La Fontaine et les Fabulistes, tome II, p. 219-224.

Cette fable, ce factum, pour mieux dire, fut traduit en vers par d'autres poëtes que La Fontaine, notamment par Furetière. La Fontaine avait déjà composé, d'après Phèdre, une autre fable sous ce titre le Soleil et les Grenouilles, la fable xi du livre VI.

FABLE XXV. La Ligue des Rats. Nodier croit que cette fable est encore une allusion à la guerre de Hollande, caractérisée par ce trait un peu plus ingénieux que le reste :

Chacun met dans son sac un morceau de fromage.

FABLE XXVI. Daphnis et Alcimadure. Théocrite, idylle 23.

FABLE XXVII. Le Juge arbitre, l'Hospitalier et le Solitaire. Vies des Pères du désert, traduction d'Arnaud d'Andilly, 1653, deux vol. in-4o, t. II, p. 496.

Cette fable est la dernière du recueil de 1694. Il faut laisser à la fin du poëme du Quinquina, au moins dans une édition des œuvres complètes de La Fontaine où ce poëme est reproduit, l'apologue de Jupiter et les deux Tonneaux, que quelques éditeurs ont transporté dans le douzième livre. Il faut laisser, de même, dans la petite comédie: Je vous prends sans vert, un couplet de la scène x1, où il s'agit d'une tourterelle veuve d'un hibou. Il suffit de les signaler ici aux lecteurs.

La Fontaine a-t-il composé d'autres fables?

On sait positivement qu'il avait imité la onzième fable du P. Commire, intitulée Asinus judex, ou l'Ane juge1. La preuve de ce fait se trouve dans les vers latins que le P. Commire luimême écrivit, dans cette occasion, à la louange de La Fontaine2; ils sont ainsi conçus:

1. Joannis Commiri, e Societate Jesu, carmina, 1689, p. 315.

2. J. Commiri opera posthuma, 1704, p. 121.

CLARISSIMO VIRO D. DE LA FONTAINE,

Quod Asinum judicem, fabulam latinam, versibus gallicis
elegantissimis reddiderit,

EUCHARISTICON.

Quid hocce monstri? venit e Latio hispidus

Et agrestis asinus. At simul Lutetiæ

Spiravit auram, Gallici et Fontis fuit

Aspersus unda, factus est subito aureus;

Et qui rudebat, cœpit ornate loqui.

« Quel prodige! un âne était venu du Latium, avec son air agreste et son poil en désordre; mais à peine a-t-il respiré l'air de Paris, à peine a-t-il été ondoyé des eaux de la fontaine française, qu'il devient d'une beauté parfaite, et celui qui ne savait que braire a aussitôt commencé à parler avec élégance. »> Transcrivons d'abord l'Asinus judex du P. Commire:

Cernens Athenis imperitum judicem
Dirimere lites, jure nullo et ordine,
Odioque vel favore miscere omnia,
Esopus hanc narrasse fertur fabulam.

Inter animantes cum gravis contentio
Olim esset orta, sedit asinus arbiter :
Quippe aurium mensura liberalior,
Et ore toto fusa simplicitas, probi
Atque patientis fecerant multis fidem.

Primæ ad tribunal se novum sistunt apes,
Direpta questa mella fucorum dolo
Cellasque inanes. Ille, plagarum memor
Sibi quas cruentis intulissent spiculis,
Agmen odiosum lumine infenso aspicit,
Voce et minaci, ceu nocentes, increpat;
Fucosque labis integros pronuntians
Dat habere ceras et favis apum frui.

Clangore post hæc anser instrepens gravi,

Dato libello supplice, orat ut sibi
Suisque liceat flumina et fontes sacros,
Cycnis repulsis, colere. Præses annuit.

Ecce philomelam gracculus lacessere,
Et vocis audax poscere sibi gloriam :
« Litem, inquit, asini finiat sententia. »>
Jubentur ambo canere. Luscinia incipit,

Animosque teneris omnium et sensus modis
Demulcet. Ipsæ carmine inflexæ caput

Et lenta motant brachia ad numerum ilices.
Nequicquam. Ineptis plus probatur auribus
Rude murmur atque stridor absurdæ alitis.
Quid plura? fortem vicit, illo judice,
Columbus aquilam: pulchrior picto fuit
Pavone corvus, ovis lupo rapacior:
Adeo stupori par erat malignitas.
Vulpes, iniqua scita sibilantibus :
« Aliud ab illo nil, ait, speraveram,
Cujus palato carduus gratum sapit. »>

Voici la traduction littérale de cette fable latine :

« On rapporte qu'Esope, voyant un juge trancher les procès à tort et à travers, et mêler à toutes choses sa haine et son amitié, raconta cette fable.

« Une contestation générale s'était élevée parmi les animaux, et l'âne en fut établi l'arbitre. Comme il avait une belle paire d'oreilles et un air de simplicité dans toute sa physionomie, la plupart d'entre eux en avaient auguré qu'il était juste et patient.

« Les abeilles se présentèrent les premières à ce nouveau tribunal elles se plaignaient que leur miel avait été volé par les bourdons, et que leurs cellules étaient vides; mais l'âne, se souvenant de certaines blessures que lui avaient faites les dards pénétrants des abeilles, regarde leur essaim avec rancune et d'un œil courroucé; les apostrophe comme des criminelles, d'une voix menaçante; et, déclarant les bourdons purgés de toute flétrissure, il leur donne le droit de s'emparer et de jouir de la cire et des rayons de miel des abeilles.

« Ensuite l'oie, exclamant à grand bruit, présente sa requête, et supplie le juge de lui permettre, à elle et à sa parenté, au détriment des cygnes, de fréquenter les fleuves et les fontaines sacrées le magistrat y consent.

« Le geai vient à son tour provoquer Philomèle et réclamer impudemment pour lui le prix glorieux du chant: «Que le juge« ment de l'âne, dit-il, termine la querelle! » On leur ordonne à tous deux de chanter. Le rossignol commence, et charme de ses tendres modulations les sens et les esprits de tous les auditeurs. Les chênes même inclinent leur tête et balancent leurs bras

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