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Peu de nos chants, peu de nos vers,
Par un encens flatteur amusent l'univers,
Et se font écouter des nations étranges.

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1

Qu'il aimoit mieux un trait d'amour Que quatre pages de louanges. Agréez seulement le don que je vous fais Des derniers efforts de ma muse. C'est peu de chose; elle est confuse De ces ouvrages imparfaits. Cependant ne pourriez-vous faire

Que le même hommage pût plaire A celle qui remplit vos climats d'habitants Tirés de l'île de Cythère?

Vous voyez par là que j'entends

3

Mazarin, des Amours déesse tutélaire.

1685, lorsqu'il publia la première fois cette fable. La leçon de l'édition de 1694 a été conservée dans l'édition d'Anvers de 1694, dans celle de La Haye de 1700, et même dans celle de Paris de 1709. Cependant la leçon d'abord donnée par l'auteur en 1685 avait été rétablie dans l'édition des fables publiée à Londres en 1708, aux dépens de Paul et d'Isaac Vaillant. Dans l'édition de 1726, on a changé un mot, et on a mis

Trop long éloge est un projet

Peu favorable pour ma lyre.

1. Etranger, étrange étaient autrefois synonymes. 2. Charles II.

3. Hortense Mancini, duchesse de Mazarin, née à Rome en 1646, et morte à Chelsey, près de Londres, le 2 juillet 1699, était la nièce du cardinal de Mazarin : elle fut mariée en 1661 à Armand-Charles de La Porte, duc de La Meilleraie, à condition qu'il prendrait le nom et les armes de Mazarin. (W.)

FABLE XXIV. 1

LE SOLEIL ET LES GRENOUILLES.

Les filles du limon tiroient du roi des astres
Assistance et protection:

Guerre ni pauvreté, ni semblables désastres,
Ne pouvoient approcher de cette nation;
Elle faisoit valoir en cent lieux son empire.
Les reines des étangs, grenouilles, veux-je dire,
(Car que coûte-t-il d'appeler

Les choses par noms honorables?)

Contre leur bienfaiteur2 osèrent cabaler,
Et devinrent insupportables.

L'imprudence, l'orgueil, et l'oubli des bienfaits,
Enfants de la bonne fortune,

Firent bientôt crier cette troupe importune :

1. La Fontaine n'a point inséré cette fable dans le volume qu'il a publié en 1694. Elle avait paru une première fois en 1672, chez F. Muguet, imprimeur du roi et de Mer l'archevêque; 3 pages in-8°, signées des initiales D. L. F. (Édition signalée par M. P. Lacroix, Nouvelles OEuvres inėdites de La Fontaine, page 24, en note). Le P. Bouhours l'avait réimprimée sous le nom de l'auteur, dans le Recueil de vers choisis, en 1693 (page 13, ou 17 de l'édition de Hollande). Madame Ulrich la publia de nouveau comme inédite dans les OEuvres posthumes de notre poëte, en 1696. Elle n'est point dans l'édition de ses fables faite à Amsterdam en 1700, ni dans celle imprimée à Paris en 1709 : cependant elle avait déjà été insérée dans l'édition de Londres de 1708, et on la retrouve ensuite dans l'édition in-4o de 1726 et dans toutes les éditions qui suivirent.

2. Dans le recueil du P. Bouhours, on lit bienfacteur: dans les OEuvres posthumes: bienfaicteur. L'orthographe de ce mot n'était pas encore fixée.

On ne pouvoit dormir en paix.
Si l'on eût cru leur murmure,
Elles auroient, par leurs cris,
Soulevé grands et petits

Contre l'œil de la nature. 1

Le soleil, à leur dire, alloit tout consumer;
Il falloit promptement s'armer,
Et lever des troupes puissantes.
Aussitôt qu'il faisoit un pas,
Ambassades coassantes 2
Alloient dans tous les états:
A les ouïr, tout le monde
Toute la machine ronde
Rouloit sur les intérêts
De quatre méchants marais. "
Cette plainte téméraire
Dure toujours et pourtant
Grenouilles doivent se taire,
Et ne murmurer pas tant :
Car si le soleil se pique,
Il le leur fera sentir;

La république aquatique

Pourroit bien s'en repentir.

3

1. La Fontaine s'est servi ailleurs de cette expression :

Que seroit-ce à mes yeux que l'œil de la nature?

Liv. VII, fable xvi.

2. Recueil du P. Bouhours et OEuvres posthumes: Croassantes. Coassantes est une correction des éditeurs. Voyez tome Ier, note de la page 109. 3. Dans les éditions du recueil du P. Bouhours, ce mot est écrit marets. Le Dictionnaire universel de Furetière, publié en 1690, écrit marest et marais. Les deux orthographes sont également indiquées dans la première édition du Dictionnaire de l'Académie. 1694.

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Une souris craignoit un chat

Qui dès longtemps la guettoit au passage.
Que faire en cet état? Elle, prudente et sage,
Consulte son voisin : c'étoit un maître rat,
Dont la rateuse seigneurie

S'étoit logée en bonne hôtellerie,

Et qui cent fois s'étoit vanté, dit-on,
De ne craindre ni chat, ni chatte,
Ni coup de dent, ni coup de patte.
Dame souris, lui dit ce fanfaron,

Ma foi! quoi que je fasse,

Seul, je ne puis chasser le chat qui vous menace :
Mais assemblons tous les rats d'alentour,
Je lui pourrai jouer d'un mauvais tour.
La souris fait une humble révérence;
Et le rat court en diligence

A l'office, qu'on nomme autrement la dépense,
Où maints rats assemblés

1. Cette fable ne se trouve pas dans le volume publié en 169 par La Fontaine, ni même dans l'édition de Paris de 1709; elle avait été publiée de son vivant, mais sans nom d'auteur, dans le Mercure galant de décembre 1692. Elle reparut, un an après sa mort, dans ses OEuvres posthumes (Paris, 1696, in-12, p. 266), et fut insérée dans l'édition de ses fables faite à Londres en 1708 (p. 300), puis dans l'édition de Paris de 1726, in-4o, et ensuite dans toutes les autres éditions. (W.)

Faisoient, aux frais de l'hôte, une entière bombance.
Il arrive, les sens troublés,

Et tous les poumons essoufflés.

Qu'avez-vous donc? lui dit un de ces rats; parlez.
En deux mots, répond-il, ce qui fait mon voyage,
C'est qu'il faut promptement secourir la souris ;
Car Raminagrobis

Fait en tous lieux un étrange carnage.

Ce chat, le plus diable des chats,

S'il manque de souris, voudra manger des rats.
Chacun dit: Il est vrai. Sus! sus! courons aux armes!
Quelques rates,1 dit-on, répandirent des larmes.

N'importe, rien n'arrête un si noble projet :

Chacun se met en équipage;

Chacun met dans son sac un morceau de fromage;
Chacun promet enfin de risquer le paquet.

Ils alloient tous comme à la fête,
L'esprit content, le cœur joyeux.
Cependant, le chat, plus fin qu'eux,

Tenoit déjà la souris par la tête.
Ils s'avancèrent à grands pas

Pour secourir leur bonne amie :
Mais le chat, qui n'en démord pas,

Gronde, et marche au-devant de la troupe ennemie.
A ce bruit, nos très-prudents rats,

Craignant mauvaise destinée,

Font, sans pousser plus loin leur prétendu fracas,
Une retraite fortunée.

Chaque rat rentre dans son trou :

Et si quelqu'un en sort, gare encor le matou.

1. Ce féminin du mot rat est inusité; il a été forgé pour la circonstance.

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