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Toujours il en tomboit quelqu'un autant de pris, Autant de mis à part: près de moitié succombe. Le compagnon les porte en son garde-manger.

Le trop d'attention qu'on a pour le danger
Fait le plus souvent qu'on y tombe.

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En a tant soupiré, qu'enfin elle n'est plus.
Leur fils se plaint d'étrange sorte,
Il éclate en cris superflus:

Le père en rit, sa femme est morte;
Il a déjà d'autres amours,

Que l'on croit qu'il battra toujours;
Il hante la taverne, et souvent il s'enivre.

N'attendez rien de bon du peuple imitateur,
Qu'il soit singe ou qu'il fasse un livre :
La pire espèce, c'est l'auteur.

1. Publiée en 1685 dans le recueil des Ouvrages de prose et de poésie des sieurs de Maucroix et de La Fontaine, t. I, p. 32.

2. C'est-à-dire de certains ou de plusieurs maris. De même aucunement, ci-dessus, p. 154.

FABLE XX. 1

LE PHILOSOPHE SCYTHE.

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Un philosophe austère, et né dans la Scythie,
Se proposant de suivre une plus douce vie,
Voyagea chez les Grecs, et vit en certains lieux
Un sage assez semblable au vieillard de Virgile,
Homme égalant les rois, homme approchant des dieu
Et, comme ces derniers, satisfait et tranquille.
Son bonheur consistoit aux beautés d'un jardin.
Le Scythe l'y trouva qui, la serpe à la main,
De ses arbres à fruit retranchoit l'inutile,
Ébranchoit, émondoit, ôtoit ceci, cela,

Corrigeant partout la nature

Excessive à payer ses soins avec usure.
Le Scythe alors lui demanda

3

Pourquoi cette ruine étoit-il d'homme sage '

:

De mutiler ainsi ces pauvres habitants?

Quittez-moi votre serpe, instrument de dommage;

1. Publiée d'abord en 1685 dans le recueil des OEuvres de prose et de poesie des sieurs de Maucroix et de La Fontaine. t. I,

2. C'est le vieillard des bords du Galèze,

p. 34.

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Rerum æquabat opes animis; seraque revertens
Nocte domum, dapibus mensas onerabat inemptis.
VIRG., Georg., lib. IV, v. 127-133.

3. Était-ce l'action d'un homme sage. Ellipse.

Laissez agir la faux du temps:

Ils iront assez tôt border le noir rivage.

J'ôte le superflu, dit l'autre; et l'abattant,
Le reste en profite d'autant.

Le Scythe, retourné dans sa triste demeure,

Prend la serpe à son tour, coupe et taille à toute heure ; Conseille à ses voisins, prescrit à ses amis.

Un universel abatis.

Il ôte de chez lui les branches les plus belles,
Il tronque son verger contre toute raison,
Sans observer temps ni saison,

Lunes ni vieilles ni nouvelles.

Tout languit et tout meurt.

Un indiscret stoïcien :

Ce Scythe exprime bien

Celui-ci retranche de l'âme

Désirs et passions, le bon et le mauvais,

Jusqu'aux plus innocents souhaits.

Contre de telles gens, quant à moi, je réclame.
Ils ôtent à nos cœurs le principal ressort;

Ils font cesser de vivre avant que l'on soit mort.

FABLE XXI. 1

L'ÉLÉPHANT ET LE SINGE DE JUPITER.

Autrefois l'éléphant et le rhinocéros,

En dispute du pas et des droits de l'empire,
Voulurent terminer la querelle en champ clos.
Le jour en étoit pris, quand quelqu'un vint leur dire
Que le singe de Jupiter,

Portant un caducée, avoit paru dans l'air.
Ce singe avoit nom Gille, à ce que dit l'histoire.
Aussitôt l'éléphant de croire

Qu'en qualité d'ambassadeur
Il venoit trouver sa grandeur.
Tout fier de ce sujet de gloire,

I attend maître Gille, et le trouve un peu lent
A lui présenter sa créance.

Maître Gille enfin, en passant,

Va saluer son excellence.

L'autre étoit préparé sur la légation:

Mais pas un mot. L'attention

Qu'il croyoit que les dieux eussent à sa querelle
N'agitoit pas encor chez eux cette nouvelle.
Qu'importe à ceux du firmament

Qu'on soit mouche ou bien éléphant?

1. Publiée d'abord en 168 dans le recueil des Ouvrages de prose et de poésie des sieurs de Maucroix et de La Fontaine, t. I, p. 38.

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