FABLE XIII. LE RENARD, LES MOUCHES ET LE HÉRISSON. Aux traces de son sang un vieux hôte des bois, Blessé par des chasseurs, et tombé dans la fange, Que nous avons mouche appelé. Il accusoit les dieux, et trouvoit fort étrange Quoi! se jeter sur moi, sur moi le plus habile Depuis quand les renards sont-ils un si bon mets? Que ne vis-tu sur le commun! Un hérisson du voisinage, Dans mes vers nouveau personnage, Voulut le délivrer de l'importunité Du peuple plein d'avidité : Je les vais de mes dards enfiler par centaines, dit: 1. Dans la fable v du livre V, le Renard auquel on a coupé la queue Que faisons-nous de ce poids inutile? Que nous sert cette queue? Garde-t'en bien, dit l'autre; ami, ne le fais pas : 1 Ces animaux sont soûls; une troupe nouvelle Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas : Surtout au pays où nous sommes. Plus telles gens sont pleins, moins ils sont importuns. 1. Rassasiés. Ces mots soul, soûler s'employaient alors dans le style noble. Après que ma fortune a soûlé votre envie. P. CORNEILLE, Don Sanche, acte V, scène v. FABLE XIV. 1 L'AMOUR ET LA FOLIE. Tout est mystère dans l'amour, Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance : Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour Que d'épuiser cette science. Je ne prétends donc point tout expliquer ici : Comment l'aveugle que voici (C'est un dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière, Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien : J'en fais juge un amant, et ne décide rien. La Folie et l'Amour jouoient un jour ensemble: Une dispute vint : l'Amour veut qu'on assemble L'autre n'eut pas la patience; Elle lui donne un coup si furieux, Qu'il en perd la clarté des cieux. Vénus en demande vengeance. Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris: 1. Publiée d'abord dans le recueil des Ouvrages de prose et de poésie des sieurs de Maucroix et de La Fontaine, 1685, in-12, t. I, p. 6. Et Jupiter, et Némésis, Et les juges d'enfer, enfin toute la bande. Son fils, sans un bâton, ne pouvoit faire un pas : Quand on eut bien considéré L'intérêt du public, celui de la partie, A servir de guide à l'Amour. FABLE X V. 1 LE CORBEAU, LA GAZELLE, LA TORTUE ET LE RAT. A MADAME DE LA SABLIÈRE. Je vous gardois un temple dans mes vers : Déjà ma main en fondoit la durée Sur ce bel art qu'ont les dieux inventé, Et sur le nom de la divinité Que dans ce temple on auroit adorée. Mais peu féconde en ces événements 1. Cette fable parut d'abord dans le recueil des Ouvrages de prose et de poésie des sieurs de Maucroix et de La Fontaine, 1685, in-12, t. I, p. 43; mais La Fontaine, en l'insérant dans la cinquième partie de ses fables, publiée en 1694, en retrancha les dix derniers vers. |