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FABLE XIII.

LE RENARD, LES MOUCHES ET LE HÉRISSON.

Aux traces de son sang un vieux hôte des bois,
Renard fin, subtil et matois,

Blessé par des chasseurs, et tombé dans la fange,
Autrefois attira ce parasite ailé

Que nous avons mouche appelé.

Il accusoit les dieux, et trouvoit fort étrange
Que le sort à tel point le voulût affliger,
Et le fit aux mouches manger.

Quoi! se jeter sur moi, sur moi le plus habile
De tous les hôtes des forêts!

Depuis quand les renards sont-ils un si bon mets?
Et que me sert ma queue? est-ce un poids inutile? 1
Va, le ciel te confonde, animal importun!

Que ne vis-tu sur le commun!

Un hérisson du voisinage,

Dans mes vers nouveau personnage,

Voulut le délivrer de l'importunité

Du peuple plein d'avidité :

Je les vais de mes dards enfiler par centaines,
Voisin renard, dit-il, et terminer tes peines.

dit:

1. Dans la fable v du livre V, le Renard auquel on a coupé la queue

Que faisons-nous de ce poids inutile?

Que nous sert cette queue?

Garde-t'en bien, dit l'autre; ami, ne le fais pas :
Laisse-les, je te prie, achever leur repas.

1

Ces animaux sont soûls; une troupe nouvelle
Viendroit fondre sur moi, plus âpre et plus cruelle.

Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas :
Ceux-ci sont courtisans, ceux-là sont magistrats.
Aristote appliquoit cet apologue aux hommes.
Les exemples en sont communs,

Surtout au pays où nous sommes.

Plus telles gens sont pleins, moins ils sont importuns.

1. Rassasiés. Ces mots soul, soûler s'employaient alors dans le style noble.

Après que ma fortune a soûlé votre envie.

P. CORNEILLE, Don Sanche, acte V, scène v.

FABLE XIV. 1

L'AMOUR ET LA FOLIE.

Tout est mystère dans l'amour,

Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance : Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour

Que d'épuiser cette science.

Je ne prétends donc point tout expliquer ici :
Mon but est seulement de dire, à ma manière,

Comment l'aveugle que voici

(C'est un dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière, Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien : J'en fais juge un amant, et ne décide rien.

La Folie et l'Amour jouoient un jour ensemble:
Celui-ci n'étoit pas encor privé des yeux.

Une dispute vint : l'Amour veut qu'on assemble
Là-dessus le conseil des dieux:

L'autre n'eut pas la patience;

Elle lui donne un coup si furieux,

Qu'il en perd la clarté des cieux.

Vénus en demande vengeance.

Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris:
Les dieux en furent étourdis,

1. Publiée d'abord dans le recueil des Ouvrages de prose et de poésie des sieurs de Maucroix et de La Fontaine, 1685, in-12, t. I, p. 6.

Et Jupiter, et Némésis,

Et les juges d'enfer, enfin toute la bande.
Elle représenta l'énormité du cas;

Son fils, sans un bâton, ne pouvoit faire un pas :
Nulle peine n'étoit pour ce crime assez grande :
Le dommage devoit être aussi réparé.

Quand on eut bien considéré

L'intérêt du public, celui de la partie,
Le résultat enfin de la suprême cour
Fut de condamner la Folie

A servir de guide à l'Amour.

FABLE X V. 1

LE CORBEAU, LA GAZELLE, LA TORTUE ET LE RAT.

A MADAME DE LA SABLIÈRE.

Je vous gardois un temple dans mes vers :
Il n'eût fini qu'avecque l'univers.

Déjà ma main en fondoit la durée

Sur ce bel art qu'ont les dieux inventé,

Et sur le nom de la divinité

Que dans ce temple on auroit adorée.
Sur le portail j'aurois ces mots écrits :
PALAIS SACRÉ DE LA DÉESSe Iris :
Non celle-là qu'a Junon à ses gages;
Car Junon même et le maître des dieux
Serviroient l'autre, et seroient glorieux
Du seul honneur de porter ses messages.
L'apothéose à la voûte eût paru :
Là, tout l'Olympe en pompe eût été vu
Plaçant Iris sous un dais de lumière.
Les murs auroient amplement contenu
Toute sa vie; agréable matière,

Mais peu féconde en ces événements

1. Cette fable parut d'abord dans le recueil des Ouvrages de prose et de poésie des sieurs de Maucroix et de La Fontaine, 1685, in-12, t. I, p. 43; mais La Fontaine, en l'insérant dans la cinquième partie de ses fables, publiée en 1694, en retrancha les dix derniers vers.

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