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Le renard étant proche: Or çà! lui dit le sire,
Que sens-tu? dis-le-moi : parle sans déguiser.
L'autre aussitôt de s'excuser,

Alléguant un grand rhume: il ne pouvoit que dire
Sans odorat. Bref, il s'en tire.

Ceci vous sert d'enseignement :

Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère,

Et tâchez quelquefois de répondre en Normand. 1

lement contre ceux qui pleuraient sa mort et contre ceux qui ne la pleuraient point; les premiers parce qu'ils insultaient, suivant lui, à son apothéose; les seconds parce qu'ils étaient insensibles à sa perte. (Dion. Cass., Hist., lib. LIX; Sueton., Caligula, 24.)

1. Ce qui signifie, de ne dire ni oui ni non. De cette réputation qu'ont les Normands est venu un autre proverbe : « Un Normand a son dit et son dédit. »

FABLE VIII.

LES VAUTOURS ET LES PIGEONS.

Mars autrefois mit tout l'air en émute. 1
Certain sujet fit naître la dispute

Chez les oiseaux; non ceux que le Printemps
Mène à sa cour, et qui, sous la feuillée,
Par leur exemple et leurs sons éclatants,
Font que Vénus est en nous réveillée;
Ni ceux encor que la mère d'Amour
Met à son char; mais le peuple vautour,
Au bec retors, 2 à la tranchante serre,
Pour un chien mort se fit, dit-on, la guerre.
Il plut du sang je n'exagère point.
Si je voulois conter de point en point
Tout le détail, je manquerois d'haleine.
Maint chef périt, maint héros expira;
Et sur son roc Prométhée espéra
De voir bientôt une fin à sa peine. "
C'étoit plaisir d'observer leurs efforts;
C'étoit pitié de voir tomber les morts.

3

1. Emute pour émeute, par licence poétique et pour la rime.

2.

rostroque immanis vultur obunco.

VIRG., Eneid., lib. VI, v. 597.

3. Tout le monde sait que, selon la fable, Prométhée, pour avoir osé créer l'homme et dérober le feu sacré du ciel, fut enchaîné sur un rocher du Caucase, où un vautour lui déchirait les entrailles sans cesse renaissantes.

Valeur, adresse, et ruses, et surprises,
Tout s'employa. Les deux troupes, éprises
D'ardent courroux, n'épargnoient nuls moyens
De peupler l'air que respirent les ombres :
Tout élément remplit de citoyens

Le vaste enclos qu'ont les royaumes sombres.
Cette fureur mit la compassion

Dans les esprits d'une autre nation.

Au cou changeant, au cœur tendre et fidèle.
Elle employa sa médiation

Pour accorder une telle querelle :
Ambassadeurs par le peuple pigeon
Furent choisis, et si bien travaillèrent
Que les vautours plus ne se chamaillèrent. 1
Ils firent trêve; et la paix s'ensuivit.
Hélas! ce fut aux dépens de la race
A qui la leur auroit dû rendre grâce.
La gent maudite aussitôt poursuivit
Tous les pigeons, en fit ample carnage,
En dépeupla les bourgades, les champs.
Peu de prudence eurent les pauvres gens
D'accommoder un peuple si sauvage.

Tenez toujours divisés les méchants :
La sûreté du reste de la terre

1

1. Ce mot paraît bien faible après la peinture de la guerre des vautours; c'est qu'il a changé de signification. Aujourd'hui chamailler se dit d'une dispute bruyante; il est familier. Mais autrefois il était noble; il se disait du combat des chevaliers. (A. M.)

C'est ainsi que nous voyons dans Montaigne : « Bétis, seul, abandonné des siens, ses armes dépecées, tout couvert de sang et de plaies, combattant encore au milieu de plusieurs Macédoniens qui le chamailloient de toutes parts. »

Dépend de là. Semez entre eux la guerre,
Ou vous n'aurez avec eux nulle paix.
Ceci soit dit en passant je me tais.

FABLE IX.1

LE COCHE ET LA MOUCHE.

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiroient un coche.

Femmes, moine, vieillards, tout étoit descendu :
L'attelage suoit, souffloit, étoit rendu.

Une mouche survient, et des chevaux s'approche,
Prétend les animer par son bourdonnement,
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine;

S'assied sur le timon, sur le nez du cocher.

2

Aussitôt que le char chemine,

Et qu'elle voit les gens marcher,

Elle s'en attribue uniquement la gloire,
Va, vient, fait l'empressée il semble que ce soit.
Un sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens et hâter la victoire.

La mouche, en ce commun besoin,

1. Cette fable a paru pour la première fois dans le recueil intitulé Fables nouvelles et autres poésies, 1671, in-12, p. 4, fable 1.

Elle a donné lieu à cette expression proverbiale: la Mouche du coche, qui est entendue de tout le monde.

2. VAR. Dans le recueil de 1671, p. 5:

Fait à fait que le char chemine.

Cette expression picarde fait à fait signifie à mesure que, pendant que.

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