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Je conclus de cette aventure

Qu'il ne faut pas tant d'art pour conserver ses jours, Et, grâce aux dons de la nature,

La main est le plus sûr et le plus prompt secours.

FIN DU DIXIÈME LIVRE.

SOURCES.

LIVRE X.

RAPPROCHEMENTS. - COMMENTAIRES.

FABLE I. Les deux Rats, le Renard et l'Œuf.

« A cette époque, dit Walkenaer, Descartes et ses disciples avaient, par leurs arguments, donné une réputation de nouveauté à une question de méthaphysique bien ancienne: celle qui concerne l'âme des bêtes. On avait publié de part et d'autre des traités que La Fontaine n'avait pas lus. Mais il avait, chez Mine de la Sablière, entendu débattre ces matières par Bernier et par d'autres savants; et, comme une telle question l'intéressait vivement, il y rêva de son côté, et voulut aussi en parler, mais à sa manière et dans son langage naturel, c'est-à-dire en vers. C'est dans ce but qu'il a écrit le discours qui forme la fable première du dixième livre. On l'a souvent, avec raison, apporté en exemple pour prouver la flexibilité du talent de La Fontaine, et comme le premier essai heureux des muses françaises sur un sujet abstrait; mais ce que nous devons le plus remarquer dans ce discours, c'est l'extrême bonne foi du poëte. Mme de la Sablière était cartésienne, et La Fontaine, qui en savait sur ces matières beaucoup moins qu'elle, voulait être cartésien; aussi commence-t-il par un pompeux éloge du maître.

Descartes, ce mortel dont on eût fait un dieu

Chez les paiens, et qui tient le milieu

Entre l'homme et l'esprit, comme entre l'huître et l'homme
Le tient tel de nos gens, franche bête de somme.

Il reproduit ensuite très-bien les arguments de Descartes; mais, comme ils tendent à prouver que les bêtes sont de pures machines, et que cette conclusion révolte le bon sens naturel de notre poëte, il expose ses doutes, et cite plusieurs traits d'intelligence de divers animaux, qui démontrent, par induction, le contraire de ce qu'il a déduit par raisonnement. >>

La Fontaine aurait pu ajouter aux traits qu'il rapporte pour prouver l'intelligence des animaux celui que renferme la fable xxvII d'Avianus: Cornix et Urna. Une corneille qui a soif trouve un vase au fond duquel il y a un peu d'eau, mais elle n'y peut atteindre. Elle porte dans l'urne des cailloux qui font monter le niveau de l'eau et elle apaise sa soif.

Conf. aussi tome 1er, p. 147, et plus loin fable iv du livre XI. L'anecdote suivante que raconte Joseph Pardewe prouverait chez les rats plus que de l'intelligence:

« J'étois ce matin dans mon lit à lire : j'ai été interrompu tout à coup par un bruit semblable à celui que font les rats qui grimpent entre une double cloison et qui tâchent de la percer. Le bruit cessoit quelques moments et recommençoit ensuite. Je n'étois qu'à deux pieds de la cloison; j'observois attentivement. Je vis paroître un rat sur le bord d'un trou; il regarde sans faire aucun bruit et, ayant aperçu ce qui lui convenoit, il se retire. Un instant après, je le vis reparoître; il conduisoit par l'oreille un autre rat plus gros que lui, et qui paroissoit vieux. L'ayant laissé sur le bord du trou, un autre jeune rat se joint à lui; ils parcourent la chambre, ramassent des miettes de biscuit qui, au souper de la veille, étoient tombées de la table, et les portent à celui qu'ils avoient laissé au bord du trou. Cette attention dans ces animaux m'étonna. J'observois toujours avec plus de soin; j'aperçus que l'animal auquel les deux autres portoient à manger étoit aveugle et ne trouvoit qu'en tâtonnant le biscuit qu'on lui présentoit. Je ne doutai pas que les deux jeunes ne fussent ses petits, qui étoient les pourvoyeurs fidèles et assidus d'un père aveugle. J'étois dans une rêverie agréable, admirant toujours ces petits animaux, que je craignois qu'on n'interrompit. Une personne entra dans ce moment; les deux jeunes rats firent un cri pour avertir l'aveugle; et, malgré leur frayeur, ne voulurent pas se sauver que le vieux rat ne fût en sûreté. Ils ren

trèrent à sa suite et ils lui servirent, pour ainsi dire, d'arrièregarde. >>

FABLE II. L'Homme et la Couleuvre. L'origine de cet apologue est indienne. Voyez le Livre des lumières, ch. III, fable 3, et le Pantcha Tantra, traduit par l'abbé Dubois, Paris, 1826, p. 39 à 54.

Remarquez dans l'apologue indien l'intervention d'un autre personnage qui accentue bien plus vivement la conclusion. L'homme a sauvé le serpent des flammes en lui tendant un sac au bout d'une perche. Il l'a laissé sortir du sac, et c'est alors que le serpent veut mordre son bienfaiteur. Au reproche que l'homme lui adresse, il répond qu'il ne fait que suivre les exemples que lui-même lui donne, et propose d'en appeler au témoignage de la vache et de l'arbre. Ceux-ci répondent comme l'on sait. Mais le renard est consulté à son tour. Il se fait raconter l'aventure; il feint de mettre en doute que le serpent ait pu entrer dans un si petit sac et demande à voir cela de ses propres yeux. Le serpent, pour le convaincre, rentre dans le sac. Le renard dit alors à l'homme : « Tu es maître de la vie de ton ennemi; sers-toi de cette occasion. » L'homme ne se le fait pas dire deux fois et écrase le serpent contre une pierre. La leçon, comme on le voit, est digne des temps barbares. La moralité de La Fontaine : « Parler de loin ou bien se taire, » n'est guère meilleure; elle décèle une époque trop civilisée et exprime la prudence et la sagesse vile des courtisans.

FABLE III. La Tortue et les deux Canards.

Puisée aux sources indiennes. La Fontaine l'avait trouvée dans le Livre des lumières, ch. 1, f. 22. Voyez aussi le Pantcha Tantra, liv. 1, f. 14, et l'Hitopadesa: la Tortue et les deux Cygnes, p. 172, trad. Lancereau.

Dans les versions indiennes, l'émigration des deux canards et de la tortue n'est pas le fait d'un caprice de celle-ci. Elle est nécessitée par le desséchement de l'étang où ils vivent: « Il vint une année de sécheresse, dit David Sahid; les canards furent contraints de déloger. Ils allèrent trouver la tortue pour lui dire adieu. Elle leur reprocha qu'ils la quittaient à l'heure de la nécessité et les pria de l'emmener. >>

Dans d'autres leçons du Calila et Dimna, ces circonstances

sont longuement développées. La leçon turque, l'HomayounNameh, telle que Galland et Cardonne l'ont traduite, 1 est tout à fait pathétique. La tortue supplie ainsi ses amis qui vont l'abandonner :

« Ah! dit-elle en soupirant, quelle nouvelle affligeante m'annoncez-vous! comment pensez-vous que je puisse vivre sans vous, que je regarde comme l'âme qui m'anime? Non, je préfère de mourir plutôt que de vous quitter. Je sens que je n'ai pas la force de vous dire adieu; jugez comment je supporterai l'affliction de ne plus vous voir? Cette pensée m'accable.

Vous devez croire, repartit un des canards, que nous ne souffrons pas moins que vous. Mais voilà la disette d'eau qui nous réduit à la dernière extrémité; et, pour peu que nous restions ici, notre vie est en danger. C'est cela qui nous contraint de la sauver par la fuite et par l'éloignement. Si ce n'étoit cet obstacle, jamais nous ne nous résoudrions de nous séparer d'une amie comme vous, ni de l'abandonner de propos délibéré; cela ne nous seroit pas plus possible, qu'il ne l'est à un amant de s'éloigner de son amante, lorsqu'il lui a donné son cœur.

Mes chers amis, répliqua la tortue, je ne suis pas moins intéressée que vous dans la disette d'eau, et je suis perdue sitôt que l'étang sera entièrement desséché. Faites-moi une grâce, je vous en conjure par notre ancienne amitié; ne me laissez pas en ce lieu de misère; prenez-moi avec vous, et me menez où vous allez. Vous êtes mon âme, et vous partez: lorsque vous serez partis, que deviendra ce corps? »

Tout ce bavardage, tous ces détails prolixes, ne préparent point le dénoûment. Le récit de La Fontaine a plus d'unité et plus de sens. Il n'y a donc pas à regretter qu'il n'ait point connu l'Homayoun-Nameh. Cet apologue se retrouve dans les recueils chinois, et M. Julien en a reproduit une version dans les Avadánas, t. I, p. 71.

FABLE IV. Les Poissons et le Cormoran. Mêmes sources que la fable précédente. Voyez le Livre des lumières, ch. 1, fable 12; Hitopadesa, p. 180.

1. Contes et Fables indiennes. Paris, 1778, in-12, t. II, p. 114.

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