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FABLE XIX.

LE BERGER ET SON TROUPEAU.

Quoi! toujours il me manquera
Quelqu'un de ce peuple imbécile !
Toujours le loup m'en gobera!

J'aurai beau les compter! Ils étoient plus de mille,
Et m'ont laissé ravir notre pauvre Robin! 1
Robin mouton, qui par la ville

Me suivoit pour un peu de pain,

Et qui m'auroit suivi jusques au bout du monde !
Hélas! de ma musette il entendoit le son;

Il me sentoit venir de cent pas à la ronde.
Ah! le pauvre Robin mouton!

Quand Guillot eut fini cette oraison funèbre,
Et rendu de Robin la mémoire célèbre,

Il harangua tout le troupeau,

Les chefs, la multitude, et jusqu'au moindre agneau,
Les conjurant de tenir ferme :

Cela seul suffiroit pour écarter les loups.
Foi de peuple d'honneur, ils lui promirent tous
De ne bouger non plus qu'un terme.

Nous voulons, dirent-ils, étouffer le glouton

1. Dans Rabelais, le marchand dit à Panurge: « Vous avez nom RobinMouton. Voyez ce mouton-là, il ha nom Robin comme vous. » Pantagruel, liv. IV, ch. vI.

2. Dans la fable ш, du livre III, le berger porte aussi le nom de Guillot.

Qui nous a pris Robin mouton.
Chacun en répond sur sa tête.
Guillot les crut, et leur fit fête.
Cependant, devant qu'il fût nuit,

Il arriva nouvel encombre :

Un loup parut; tout le troupeau s'enfuit. Ce n'étoit pas un loup, ce n'en étoit que l'ombre.

Haranguez de méchants soldats;

Ils promettront de faire rage:

Mais, au moindre danger, adieu tout leur courage; Votre exemple et vos cris ne les retiendront pas.

FIN DU NEUVIÈME LIVRE.

LIVRE IX.

SOURCES, RAPPROCHEMENTS, COMMENTAIRES.

FABLE I. Le Dépositaire infidèle. Fable indienne qui se trouve dans le Livre des lumières de David Sahid, ch. 1, f. 26.

Des traits comme ceux que rapporte La Fontaine se rencontrent dans toutes les littératures et chez tous les peuples. « A fanfaron, fanfaron et demi, » c'est un des dictons que la Sagesse des nations a enrichis d'assez jolis commentaires. Deux Arabes se promenaient le soir non loin de leurs tentes. L'un d'eux s'arrête, et, pour railler son compagnon : « Entends-tu, dit-il tout à coup en faisant semblant de prêter une oreille attentive, entends-tu les bruits des moulins du ciel qui sont en train de moudre la farine pour les élus? - Par ma foi! répond l'autre baissant la tête et secouant ses oreilles avec la paume de la main, je sens le son qui tombe sur moi. » Quand ce sont des princes qui rivalisent ainsi de vanteries hyperboliques, il faut prendre garde : les conséquences sont quelquefois redoutables. Deux rois gallois, Ninniaw et Pebiaw, faisaient comme ces Arabes dont nous venons de parler, ils se promenaient par une belle nuit : « Vois, dit l'un, comme je possède un champ immense et magnifique. — Quel est-il? - Le firmament tout entier, aussi loin que la vue peut s'étendre. Et toi, vois-tu quels troupeaux innombrables je pos

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sède, qui paissent dans ton champ? Et lesquels? Toute la troupe des étoiles, troupeau à la toison brillante, dont la lune est la surintendante et la bergère. Elles ne pâtureront point dans mon champ! dit Ninniaw. Elles le feront, répliqua

Pebiaw. Non. — Si. » Une grande querelle surgit, à cette occa

sion, entre les deux princes. Ils déciment réciproquement leurs peuples et ravagent leurs pays. Un troisième roi, plus puissant qu'eux, apprenant le motif de la guerre qu'ils se livrent, intervient en déclarant que le vaste champ et les troupeaux lui appartiennent également; il bat à la fois Ninniaw et Pebiaw et leur fait couper la barbe, ce qui était la plus grande humiliation qu'on pût infliger à des rois gallois. N'est-ce pas là souvent l'histoire des grandes guerres qui exterminent les peuples?

Dans les fabliaux du moyen âge, on trouve une réplique plus spirituelle encore à un de ces menteurs dont parle le poëte :

-

<< Gauvain, suivi d'Huguet, son fidèle écuyer, se rendait à Saint-Jacques de Compostelle, lorsque maître renard, cherchant aventure, vint à croiser leur chemin. « Voilà, dit Gauvain, un « renard de belle taille. Oh! seigneur, dit Huguet, j'en ai vu « de bien autrement gros, il y en a de la taille d'un bœuf. « Belle fourrure, répond sire Gauvain, pour le chasseur qui en « profite. » L'écuyer, déconcerté par la réponse équivoque de son maître, se tut. Quelques heures plus tard, ce chevalier se mit en prière « Beau sire Dieu, préserve-nous de la tentation « de mentir ou donne-nous la force de réparer notre faute, afin « que nous puissions traverser l'Ebre! » L'écuyer, surpris, demanda pourquoi cette prière. « Ne sais-tu pas que l'Èbre, qu'il « faut absolument passer pour arriver à Saint-Jacques, a la pro«priété de submerger celui qui a menti dans la journée, à moins « qu'il ne s'amende? » Ils continuent leur chemin. On arrive à la Zadorra. « Est-ce là l'Ebre ? demande tout de suite Huguet. « Non, nous en sommes encore assez loin. Mais, pour y pen« ser, reprend Huguet, ce renard n'était peut-être que de la « grosseur d'un veau. Que m'importe ton renard? » On arrive à une autre rivière. « Est-ce là l'Ebre? s'écrie Huguet. - Non, « pas encore. Vraiment, monseigneur, ce renard dont je vous « parlais n'était pas, je m'en souviens mieux, plus gros qu'une « brebis. » On découvre Miranda. « Voilà l'Ebre, dit Gauvain, et « le terme de notre première journée. Ah! mon bon maître,

Et moi,

« s'écrie l'écuyer tremblant, je vous proteste que ce renard « était tout au plus aussi gros que celui de ce matin. « mon cher Huguet, je te jure que les eaux de l'Ebre ne sont pas << plus redoutables que celles de la Garonne. »

FABLE II. Les deux Pigeons. Même source que la précédente : Livre des lumières, ch. 1, f. 1.

FABLE III. Le Singe et le Léopard, Esop., 162, 13. Avian., 40. Avianus termine ainsi son apologue Vulpes et pardus :

Miremurque magis quos munera mentis adornant,
Quam qui corporeis enituere bonis.

L'Ysopet-Avionnet publié par M. Robert traduit librement :

Car un laid saige est plus prisé

Que n'est un biau fol desguisé.

FABLE III. Le Gland et la Citrouille.

1

La Fontaine a pu trouver cette fable dans une facétie intitulée les Rencontres, Facéties et Coqs-à-l'asne gracieux du baron Gratelard, qui se trouve quelquefois réunie à Tabarin. 1 C'est la question vII, si la nature fait quelque chose en vain, qui la lui a fournie. J'ai cru devoir en rapporter ici le texte :

Gratelard. Mon maître, nous sommes entrez aujourd'huy en grande dispute, moi et un philosophe. Nous nous promenions dans un jardin de la péripatéticienne. Je voulois soutenir que la nature faisoit de grands manquements en ce qu'elle produisoit, et lui me disoit le contraire.

Le maître. Et outre ce que la nature produit, elle se montre mère commune et libérale.

Gratelard. . . . J'ay enfin été contraint d'avouer au philosophe ce qu'il disoit être vrai.

Le maître. On ne le peut nier, qu'on ne désassamble quant et quant le lien et l'union qui conjoignent et soutiennent les choses de la nature.

Gratelard. Oui, mais je vais vous enseigner comment il a fallu lui accorder son opinion.

Le maitre. Comment cela s'est-il pratiqué, Gratelard?

Gratelard. En me promenant, comme j'ai déjà dit, dans ce jardin, j'ai apperçu une grosse citrouille: par ma foi, c'étoit un

1. Rouen, 1622, in-12.

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