FABLE XVI. LE TRESOR ET LES DEUX HOM MES. Un homme n'ayant plus ni crédit ni ressource, S'imagina qu'il feroit bien De se pendre, et finir lui-même sa misère, A gens peu curieux de goûter le trépas. S'ébranle aux premiers coups, tombe avec un trésor. 1. L'origine de cette expression proverbiale est racontée fort agréablement dans une petite pièce de vers de Mellin de Saint-Gelais : Un charlatan disoit en plein marché Qu'il montreroit le diable à tout le monde; Si n'y en eut, tant füt-il empêché Qui ne courût pour voir l'esprit immonde; 2. Qui ne convient pas. Notre désespéré le ramasse, et l'emporte, Sans compter ronde ou non, la somme plut au sire. Absent. Quoi! dit-il, sans mourir je perdrai cette somme! Ou de corde je manquerai. Le lacs étoit tout prêt; il n'y manquoit qu'un homme : Celui-ci se l'attache, et se pend bien et beau. Ce qui le consola, peut-être, Fut qu'un autre eût, pour lui, fait les frais du cordeau. Pour ses parents, ou pour la terre. Plus le tour est bizarre, et plus elle est contente. Se mit alors en l'esprit De voir un homme se pendre; Et celui qui se pendit S'y devoit le moins attendre. FABLE XVII. 1 LE SINGE ET LE CHAT. Bertrand avec Raton, l'un singe et l'autre chat, Ils n'y craignoient tous deux aucun, quel qu'il pùt être. Un jour, au coin du feu, nos deux maîtres fripons Les escroquer étoit une très-bonne affaire : : Que tu fasses un coup de maître; Tire-moi ces marrons. Si Dieu m'avoit fait naître Certes, marrons verroient beau jeu. Aussitôt fait que dit: Raton, avec sa patte, 1. Cette fable est la cinquième du recueil de 1671: madame de Sévigné en fut ravie lorsque ce recueil parut. Elle mandait à sa fille qu'on avait lu ette fable chez M. de La Rochefoucauld, et que les personnes qui s'y trouvaient l'avaient apprise par cœur. (W.) D'une manière délicate, Écarte un peu la cendre, et retire les doigts: Puis les reporte à plusieurs fois; Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque; Et cependant Bertrand les croque. Une servante vient : adieu mes gens. Raton N'étoit pas content, ce dit-on. Aussi ne le sont pas la plupart de ces princes FABLE XVIII. 1 LE MILAN ET LE ROSSIGNOL. Après que le milan, manifeste voleur, Je vous raconterai Térée et son envie. Qui, Térée? est-ce un mets propre pour les milans? Non pas; c'étoit un roi dont les feux violents Me firent ressentir leur ardeur criminelle. 2 Je m'en vais vous en dire une chanson si belle Vraiment, nous voici bien ! lorsque je suis à jeun, J'en parle bien aux rois. Quand un roi te prendra, Tu peux lui conter ces merveilles : Ventre affamé n'a point d'oreilles. 1. Cette fable est la septième du recueil de 1671. 2. Voyez Ovide, Métamorph., VI, 13, et page 196 du premier volume. |