FABLE XI. RIEN DE TROP. Je ne vois point de créature. Que le maître de la nature Veut que l'on garde en tout. Le fait-on? nullement : Et poussant trop abondamment, Il ôte à son fruit l'aliment. L'arbre n'en fait pas moins: tant le luxe sait plaire! Gâtèrent tout, et tout broutèrent; D'en croquer quelques-uns : ils les croquèrent tous De punir ces derniers : les humains abusèrent 1. Ne gravidis procumbat culmus aristis, VIRG., Georg., lib. I, v. 111. A leur tour des ordres divins. De tous les animaux, l'homme a le plus de pente A se porter dedans l'excès. Il faudroit faire le procès Aux petits comme aux grands. Il n'est âme vivante Qui ne pèche en ceci. Rien de trop est un point Dont on parle sans cesse, et qu'on n'observe point. Apprime in vita esse utile, ut ne quid nimis. TERENT., Andr., act. I, sc. 1. 1 FABLE XII. LE CIERGE. C'est du séjour des dieux que les abeilles viennent. 1 Au mont Hymette, et se gorger Des trésors qu'en ce lieu les zéphyrs entretiennent. N'eurent plus que la cire, on fit mainte bougie; Un d'eux voyant la terre en brique au feu durcie 2 Et, nouvel Empédocle aux flammes condamné 1. Hymette étoit une montagne célébrée par les poëtes, située dans l'Attique, et où les Grecs recueilloient d'excellent miel. (Note de La Fontaine.) His quidam signis, atque hæc exempla secuti, VIRG., Georg., lib. IV, v. 220. 2. Empedocle étoit un philosophe ancien, qui, ne pouvant comprendre les merveilles du mont Etna, se jeta dedans par une vanité ridicule, et, trouvant l'action belle, de peur d'en perdre le fruit, et que la postérité ne l'ignorât, laissa ses pantoufles au pied du mont. (Note de La Fontaine.) Il est très-probable qu'Empédocle, comme Pline, fut victime de son zèle pour la science, et que l'ignorance populaire faussa son histoire et celle de ses pantoufles d'airain. (A.-M.) Par sa propre et pure folie, Il se lança dedans. Ce fut mal raisonné : Tout en tout est divers : ôtez-vous de l'esprit Qu'aucun être ait été composé sur le vôtre. L'Empedocle de cire au brasier se fondit : Il n'étoit pas plus fou que l'autre. FABLE XIII. JUPITER ET LE PASSAGER. Oh! combien le péril enrichiroit les dieux, Si nous nous souvenions des vœux qu'il nous fait faire! On compte seulement ce qu'on doit à la terre. Eh! qu'est-ce donc que le tonnerre? Un passager pendant l'orage Avoit voué cent bœufs au vainqueur des Titans. Il brûla quelques os quand il fut au rivage : Mais, après quelques jours, le dieu l'attrapa bien, 1. « Les songes viennent de Jupiter.» (Iliade, chant I.) |