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Un des dupes un jour alla trouver un sage,

Qui, sans hésiter davantage,

Lui dit : Ce sont ici hiéroglyphes tout purs.

Les gens bien conseillés, et qui voudront bien faire, Entre eux et les gens fous mettront, pour l'ordinaire, La longueur de ce fil; sinon je les tiens sûrs

De quelque semblable caresse.

Vous n'êtes point trompé ce fou vend la sagesse.

1. Dupe est féminin dans Richelet et dans Molière, etc. La Fontaine seul a employé ce mot au masculin.

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Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent
Une huître, que le flot y venoit d'apporter :
Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent;
A l'égard de la dent, il fallut contester.

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L'un se baissoit déjà pour amasser la proie;

L'autre le pousse, et dit: Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.

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Celui qui le premier a pu l'apercevoir

En sera le gobeur; l'autre le verra faire.

Si par là l'on juge l'affaire,

Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci.
Je ne l'ai pas mauvais aussi,

Dit l'autre; et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
Hé bien! vous l'avez vue; et moi je l'ai sentie.
Pendant tout ce bel incident,

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Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.

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1. Cette fable est la huitième dans le recueil de 1671.

2. L'Académie française, dans la seconde édition de son dictionnaire, définit de la manière suivante le verbe amasser : « Relever de terre ce qui est tombé. Amasser ses gants, amasser un papier. » Aujourd'hui le mot propre dans ces phrases serait ramasser. La langue a varié.

3. VAR. A dú, dans l'édition de 1671.

4. La comédie de Racine, les Plaideurs, avait été jouée en 1668. C'est là que La Fontaine avait trouvé ce nom devenu synonyme de juge ridicule. Molière fit jouer George Dandin en 1668. Mais, antérieurement à Racine, à Molière, à La Fontaine, ce personnage existe dans Rabelais, avec un rôle

Perrin, fort gravement, ouvre l'huître, et la gruge,
Nos deux messieurs le regardant.

Ce repas fait, il dit, d'un ton de président :
Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille

Sans dépens; et qu'en paix chacun chez soi s'en aille.

Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles :
Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,

Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.

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tout opposé à celui que Racine et La Fontaine lui donnent, le rôle d'appointeur de procès, d'arbitre et de conciliateur: «Perrin Dendin!... juge ne fust, mais homme de bien..., dit Rabelais. Il eust pu mettre paix ou trêves pour le moins entre le grand roy et les Vénitiens, entre l'empereur et les Suisses, entre les Anglois et les Écossois..... » Voyez liv. III, ch. xui.

On lit dans le Trésor de la langue françoise de Nicot (1606): « Dandin est dit de celui qui baye çà et là par sottise et badaudise, sans avoir contenance arrestée : ineptus, insipidus; et dandiner, user de telle badaudise, ineptire. »

Il faut remarquer qu'avant d'en faire un nom propre, Rabelais emploie le mot dendin comme terme injurieux; il figure notamment dans la kyrielle d'injures que débitent les fouaciers de Lerné aux bergers de Gargantua (liv. I, ch. xxv) : « Malotrus, dendins, beaugears, etc. »

1. Expression proverbiale, pour dire ne leur laisse rien.

Faveur, c'est à toi que j'adresse

Mon procès, mon sac et mes quilles :

Car mes raisons sont inutiles,

Mon bien, ma peine et mon labeur,

Sans ton secours, gente faveur!

REMY BELLEAU,

FABLE X.

LE LOUP ET LE CHIEN MAIGRE.

Autrefois carpillon fretin

Eut beau prêcher, il eut beau dire,
On le mit dans la poêle à frire. 1

Je fis voir que lâcher ce qu'on a dans la main,
Sous espoir de grosse aventure,

Est imprudence toute pure.

Le pêcheur eut raison; carpillon n'eut pas tort:
Chacun dit ce qu'il peut pour défendre sa vie.
Maintenant il faut que j'appuie

Ce que j'avançai lors de quelque trait encor.

Certain loup, aussi sot que le pêcheur fut sage,
Trouvant un chien hors du village,

S'en alloit l'emporter. Le chien représenta
Sa maigreur Jà ne plaise2 à votre seigneurie
De me prendre en cet état-là;

Attendez mon maître marie

Sa fille unique, et vous jugez

Qu'étant de noce, il faut, malgré moi, que j'engraisse.

Le loup le croit, le loup le laisse.

Le loup, quelques jours écoulés,

1. Voyez la fable ш du livre V.

2. Jà, déjà. Mot et tournure de phrase déjà vieillis du temps de La Fontaine.

Revient voir si son chien n'est pas meilleur à prendre; Mais le drôle étoit au logis.

Il dit au loup par un treillis :

Ami, je vais sortir; et, si tu veux attendre,

Le portier du logis et moi

Nous serons tout à l'heure à toi.

Ce portier du logis étoit un chien énorme,
Expédiant les loups en forme.

Celui-ci s'en douta. Serviteur au portier,
Dit-il; et de courir. Il étoit fort agile;

Mais il n'étoit pas fort habile :

Ce loup ne savoit pas encor bien son métier.

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