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FABLE VII.

LA SOURIS METAMORPHOSÉE EN FILLE.

Une souris tomba du bec d'un chat-huant:
Je ne l'eusse pas ramassée;

Mais un bramin le fit je le crois aisément;
Chaque pays a sa pensée.

La souris étoit fort froissée.
De cette sorte de prochain

Nous nous soucions peu; mais le peuple bramin
Le traite en frère. Ils ont en tête

Que notre âme, au sortir d'un roi,

Entre dans un ciron, ou dans telle autre bête
Qu'il plaît au Sort : c'est là l'un des points de leur loi.
Pythagore chez eux a puisé ce mystère.

Sur un tel fondement, le bramin crut bien faire

De prier un sorcier qu'il logeât la souris

Dans un corps qu'elle eût eu pour hôte au temps jadis.
Le sorcier en fit une fille

De l'âge de quinze ans, et telle et si gentille
Que le fils de Priam pour elle auroit tenté
Plus encor qu'il ne fit pour la grecque beauté. 1
Le bramin fut surpris de chose si nouvelle.
Il dit à cet objet si doux :

Vous n'avez qu'à choisir; car chacun est jaloux

1. C'est-à-dire plus encore que Pâris ne fit pour Hélène.

De l'honneur d'être votre époux.
En ce cas je donne, dit-elle,

Ma voix au plus puissant de tous.
Soleil, s'écria lors le bramin à genoux,

C'est toi qui seras notre gendre.

Non, dit-il, ce nuage épais

Est plus puissant que moi, puisqu'il cache mes traits; Je vous conseille de le prendre.

Hé bien dit le bramin au nuage volant,

Es-tu né pour ma fille? Hélas! non; car le vent
Me chasse à son plaisir de contrée en contrée;
Je n'entreprendrai point sur les droits de Borée.
Le bramin fâché s'écria :

O vent, donc, puisque vent y a,
Viens dans les bras de notre belle!

Il accouroit; un mont en chemin l'arrêta.
L'éteuf1 passant à celui-là,

Il le renvoie, et dit : J'aurois une querelle
Avec le rat; et l'offenser

Ce seroit être fou, lui qui peut me percer.
Au mot de rat, la damoiselle ?
Ouvrit l'oreille: il fut l'époux.
Un rat! un rat : c'est de ces coups
Qu'Amour fait; témoin telle et telle.
Mais ceci soit dit entre nous.

On tient toujours du lieu dont on vient. Cette fable
Prouve assez bien ce point; mais, à la voir de près,

1. La balle. On nomme éteuf la balle du jeu de longue paume. 2. Damoiselle, féminin de Damoiseau, comme à la page 184 du tome jer.

Damoiselle belette au corps long et fluet...

Quelque peu de sophisme entre parmi ses traits : Car quel époux n'est point au Soleil préférable En s'y prenant ainsi? Dirai-je qu'un géant

Est moins fort qu'une puce? Elle le mord pourtant. Le rat devoit aussi renvoyer, pour bien faire,

La belle au chat, le chat au chien,

Le chien au loup. Par le moyen
De cet argument circulaire,

Pilpay jusqu'au Soleil eût enfin remonté;
Le Soleil eût joui de la jeune beauté.
Revenons, s'il se peut, à la métempsycose :
Le sorcier du bramin fit sans doute une chose
Qui, loin de la prouver, fait voir sa fausseté.
Je prends droit là-dessus contre le bramin même ;
Car il faut, selon son système,

Que l'homme, la souris, le ver, enfin chacun
Aille puiser son âme en un trésor commun :

Toutes sont donc de même trempe;

Mais, agissant diversement.

Selon l'organe seulement,

L'une s'élève, et l'autre rampe.

D'où vient donc que ce corps si bien organisé
Ne put obliger son hôtesse

De s'unir au Soleil? Un rat eut sa tendresse.

Tout débattu, tout bien pesé,

Les âmes des souris et les âmes des belles
Sont très-différentes entre elles;

Il en faut revenir toujours à son destin,
C'est-à-dire à la loi par le ciel établie :

Parlez au diable, employez la magie,
Vous ne détournerez nul être de sa fin.

FABLE VIII.

LE FOU QUI VEND LA SAGESSE.

Jamais auprès des fous ne te mets à portée :
Je ne te puis donner un plus sage conseil.
Il n'est enseignement pareil

A celui-là de fuir une tête éventée.

On en voit souvent dans les cours :

Le prince y prend plaisir; car ils donnent toujours Quelque trait aux fripons, aux sots, aux ridicules.

Un fol alloit criant par tous les carrefours
Qu'il vendoit la sagesse, et les mortels crédules
De courir à l'achat : chacun fut diligent.
On essuyoit force grimaces;

Puis on avoit pour son argent,

Avec un bon soufflet, un fil long de deux brasses. La plupart s'en fâchoient; mais que leur servoit-il? C'étoient les plus moqués : le mieux étoit de rire, Ou de s'en aller sans rien dire

Avec son soufflet et son fil.

De chercher du sens à la chose,

On se fût fait siffler ainsi qu'un ignorant.
La raison est-elle garant

De ce que fait un fou? le hasard est la cause
De tout ce qui se passe en un cerveau blessé.
Du fil et du soufflet pourtant embarrassé,

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