FABLE II. LES DEUX PIGEONS. Deux pigeons s'aimoient d'amour tendre: L'autre lui dit : Qu'allez-vous faire? L'absence est le plus grand des maux : Changent un peu votre courage. 1 Encor, si la saison s'avançoit davantage! Attendez les zéphyrs: qui vous presse? un corbeau 1. La Fontaine donne ici au mot courage le sens de volonté, de cœur, animus, qu'il avait dans notre vieille langue et que Corneille lui donne très-fréquemment : Mais dès qu'un père parle, il porte en mon courage Toute l'impression qu'il faut pour obéir. Le Lai de la dame du Fayel, célèbre chanson du XIe siècle, commence par ces vers: Chanterai por mon corage Que je veuil reconforter... C'est-à-dire « Je chanterai pour soulager et raffermir mon cœur. » Sæpe sinistra cava prædixit ab ilice cornix. 2. VIRG., ecl. I, 18. La Fontaine a fait dire à Junon, fable 17, liv. II : La corneille avertit des malheurs à venir. Que faucons, que réseaux. Hélas! dirai-je, il pleut : De notre imprudent voyageur : Je le désennuierai. Quiconque ne voit guère Je dirai J'étois là; telle chose m'avint : Vous y croirez être vous-même. Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie; 1. La Fontaine a écrit las, suivant l'ancien usage et la prononciation. 2. La Fontaine a écrit appas pour rendre la rime avec las moins imparfaite aux yeux; et aussi parce que la distinction des deux mots appas et appâts n'était pas bien établie encore. Corneille a dit : J'ai cru la comédie au point où je l'ai vue; J'en ignorois l'eclat, l'utilité, l'appas, Et la blàmois ainsi, ne la connoissant pas. Illusion comique. Le lacs étoit usé; si bien que, de son aile, De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin : Le vautour s'en alloit le lier, quand des nues Crut pour ce coup que ses malheurs Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié) Qui, maudissant sa curiosité, Traînant l'aile et tirant le pied, 2 Boileau a dit de même: Quelquefois aux appas d'un hameçon perfide 1. Terme de fauconnerie, qui a ici une exactitude rigoureuse. « Lier se dit lorsque le faucon enlève en l'air sa proie dans ses serres, ou lorsque, l'ayant assommée, il la lie de ses serres, et la tient à terre. » Langlois, Dictionnaire des Chasses, 1739, in-12, p. 117. 2. Pour tant bien que mal. Locution qu'on rencontre fréquemment dans nos vieux auteurs : Que bien que mal, selon nos fantaisies, Nous écrivons souvent des poésies. CHARLES FONTAINE, epitre à Sagon. Sans autre aventure fâcheuse. Voilà nos gens rejoints; et je laisse à juger Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau, Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste. : Contre le Louvre et ses trésors, Contre le firmament et sa voûte céleste, Changé les bois, changé les lieux Honorés par les pas, éclairés par les yeux 1 De l'aimable et jeune bergère Pour qui, sous le fils de Cythère, 1 Je servis, engagé par mes premiers serments. 1. La Fontaine a dit dans une lettre en prose et en vers adressée à la duchesse de Bouillon (juin 1671): Peut-on s'ennuyer en des lieux Honorés par les pas, éclairés par les yeux D'une aimable et vive princesse? FABLE III. LE SINGE ET LE LEOPARD. Le singe avec le léopard Gagnoient de l'argent à la foire. 1 Ils affichoient chacun à part. L'un d'eux disoit : Messieurs, mon mérite et ma gloire Un manchon de ma peau : tant elle est bigarrée, Et vergetée, et mouchetée! La bigarrure plaît: partant chacun le vit. Mon voisin léopard l'a sur soi seulement : Singe du pape en son vivant, Tout fraîchement en cette ville 2 Arrive en trois bateaux, exprès pour vous parler; 1. Le singe et le léopard, mis en scène dans cette fable, sont derrière le rideau, et sont censés parler par l'intermédiaire de leurs affiches respectives, ou des bateleurs qui les montrent. (S.) 2. En grand équipage et avec beaucoup de suite. Cette expression pro |