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antiques de monnoie, les unes d'argent, les autres d'aloi, 1 desquelles il ne savoit la valeur. Lors il commença de devenir pensif. Il ne chantoit plus : il ne songeoit plus qu'en ce pot de quincaille. I fantasioit en soi-même : « La monnoie n'est pas de «mise. Je n'en saurois avoir ni pain ni vin. Si je la montre aux «< orfévres, ils me décèleront, ou ils en voudront avoir leur part, << et ne m'en bailleront pas la moitié de ce qu'elle vaut. » Tantôt il craignoit de n'avoir pas bien caché ce pot et qu'on le lui dérobât. A toutes heures il partoit de sa tente pour l'aller remuer. Il étoit en la plus grand'peine du monde ; mais à la fin il se vint à reconnoître, disant en soi-même : « Comment! je ne fais « que penser en mon pot! Les gens connoissent bien à ma façon « qu'il y a quelque chose de nouveau en mon cas! Bah! le diable << y ait part au pot! Il me porte malheur. » En effet, il le va prendre gentiment et le jette en la rivière et noye toute sa mélancolie avec ce pot... Il se remit à sa coutume première de chanter et faire bonne chère, laquelle lui dura jusqu'à la mort. Et en la souvenance de la joyeuse vie qu'il avoit menée fut fait un épitaphe de lui, tel que s'en suit :

Ci-dessous gist en ce tombeau
Un savetier nommé Blondeau,
Qui en son temps rien n'amassa,
Et puis après il trespassa.
Marris en furent les voisins,

Car il enseignoit les bons vins. »

L'épitaphe du savetier Blondeau fait pendant à l'épitaphe de La Fontaine : « Jean s'en alla comme il étoit venu, etc. >>

FABLE III. Le Lion, le Loup et le Renard. Esop., 72, 233. Le récit du Romulus mérite d'être mis en regard de la fable de La Fontaine; voici comment il est traduit par M. SaintMarc Girardin :

« Le lion étant malade, tous les animaux venaient le voir et lui disaient qu'il avait besoin d'un savant médecin. Mais où trouver ce médecin ? demandait le lion. « Personne, sire, n'est plus

1. Alliage dont beaucoup de monnaies blanches étaient composées. 2. Échoppe couverte d'une toile.

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« savant que le renard, qui sait parler aux bêtes comme aux oi<< seaux, et qui traite souvent des affaires avec les unes et les « autres. » Le renard fut donc mandé près du roi; mais il resta caché plusieurs jours. Une nuit cependant, sortant secrètement de sa demeure, il vint se poster dans un trou près de la chambre royale, et là, prêtant l'oreille, il écoutait le prince qui entretenait les assistants de sa maladie. Il recueillait avec soin les réponses, et déjà il avait entendu beaucoup d'opinions diverses, lorsqu'arriva Ysengrin qui dit : « Rien n'empêche le renard de « venir donner des soins à notre souverain, si ce n'est son natu«rel pervers, et, pour cela, je le dénonce comme traître à la « santé du roi et le juge digne de mort.» Le renard alors, entrant dans la salle à pas comptés, l'air grave, salua le roi de la part des docteurs de la ville de Salerne. Mais le roi le menaçant du dernier supplice pour avoir tardé tant à venir : « Qu'aurais-je fait, sire, dit le renard, si je ne vous avais apporté une guérison as« surée? Aussitôt que j'eus reçu votre ordre, je me mis à para courir divers pays, et je suis allé consulter les médecins de Sa« lerne. Je leur ai expliqué la maladie de Votre Majesté, et je « vous annonce de leur part qu'il n'y a pour vous qu'un moyen « de recouvrer la santé, c'est de vous envelopper la poitrine << avec la peau fraîchement enlevée du corps d'un loup, encore chaude et encore fumante de sang. En trois jours, au plus, ce « remède, sire, vous rendra la santé. » Aussitôt, par l'ordre du roi, le loup est saisi, écorché vivant, et sa peau imbibée de sang est appliquée sur la poitrine du lion. Ysengrin, délivré enfin des gardes du roi, s'enfuit sans peau dans la forêt, suivi du renard, qui lui criait de loin : « Combien sont heureux les conseillers du «< roi vêtus ainsi de pourpre et d'écarlate! Quant à toi, cepen« dant, comme tu as percé ton prochain absent des traits de ta « langue, souffre maintenant les piqûres des mouches et des « guêpes. » Voilà ce qui arrive aux envieux qui, cherchant à faire du mal au prochain, sont pris dans leurs propres filets. 1 »

On remarquera l'entrée cérémonieuse du renard et le récit de son voyage à Salerne pour y consulter les médecins, consulta

1. La Fontaine et les Fabulistes, t. I, p. 210. Voyez le texte latin, ibid., p. 212, ou dans Robert, Fables inédites, t. II, p. 559.

tion qui est plus à propos, dit M. Saint-Marc Girardin, que le pèlerinage du renard de La Fontaine.

Marie de France, dans son Ysopet (fable 59), reproduit exactement toutes les circonstances de la fable de ce Romulus.

FABLE IV. Le Pouvoir des fables. Esop., 181, 54.

Démosthènes employa, suivant Plutarque, un moyen analogue pour réveiller l'attention fatiguée des Athéniens :

« Un jeune homme, leur dit-il, pour aller à Mégare, avait • loué un de ces animaux si connus par leur patience, dont le propriétaire devait l'accompagner pendant la route. A midi, la chaleur devenant insupportable, l'Athénien met pied à terre pour se reposer à l'ombre de sa monture; mais l'ânier s'y oppose, prétendant que l'ombre de son âne ne fait pas partie de la location. » L'orateur s'arrête, et ses auditeurs, que cette fiction a rendus attentifs, lui fournissent, par leurs questions, l'occasion de se livrer à ce mouvement d'éloquence si bien rendu par La Fontaine.

Les prédicateurs du moyen âge connaissaient et pratiquaient cet art d'exciter par des fables et des exemples la curiosité de l'assistance. Le cardinal-évêque de Tusculum, Jacques de Vitry, dut à cette méthode ses grands succès de prédication: Utens exemplis in sermonibus suis, disait Étienne de Bourbon, totam commovit Franciam. Elle fut, après lui, poussée jusqu'à l'abus et dut être blâmée et réprouvée par l'autorité ecclésiastique.

FABLE V. L'homme et la Puce. Esop., 62, 194.

« N'avez vous point ouy parler de ce moucheron qui entra dans l'œil du roi Iacques d'Angleterre un jour qu'il estoit à la chasse? aussitost l'impatience prit le Roy ; il descendit de cheval en jurant (ce qui lui estoit assez ordinaire) : il s'appela malheureux, il appela insolent le moucheron; et luy adressant la parole: «Méchant animal, luy dit-il, n'as-tu pas assez de trois << grands royaumes que je te laisse pour te promener, sans qu'il « faille que tu viennes te loger dans mes yeux? 1»

Sterne a saisi la contre-partie de cette idée avec une grâce

1. BALZAC, Entretiens. Leyde, Elzévir, 1659, in-12, p. 303 et 304.

ravissante: « Va, dit l'oncle Tobie au moucheron en lui ouvrant la croisée, le monde est assez grand pour nous deux ! »>

FABLE VI. Les Femmes et le Secret. Abstemius, 129. Guicciardini, Detti piacevoli, etc.

Le héros du conte de Guicciardini dit, comme l'homme de La Fontaine «Ma guarda, ben mio, se tu mi ami, che non ti uscisse di boca, perche tu puoi pensare che dishonore mi sarebbe se si dicesse che d'uomo io fussi diventato una gallina. »> On trouve au chapitre xxxIII des Contes d'Eutrapel une anecdote toute semblable:

« Plutarque, aux livres du babil, dit qu'un jour, voire deux, au sénat de Rome, ils demeurèrent plus tard qu'ils n'avoient de coutume pour délibérer une difficulté à fer émoulu et de grand poids. La femme d'un sénateur, bonne et honnête femme, femme toutefois, importunément sollicita son mari sur l'occasion de tel et non accoutumé retardement, y ajoutant les mignardises dont une femme soucieuse sait paître la gravité d'un sage mari, lequel étant assez instruit de quel bois se chauffe tel animant, ne lui voulant communiquer chose qui importât tant peu fût, la contenta et paya en monnoie de femme, la faisant, avant toutes choses, jurer sa foi et conscience qu'elle ne révéleroit à personne vivant, cela qu'elle poursuivoit tant honnêtement, et de quoi, pour dire vrai, il se sentoit gracieusement vaincu. Les promesses d'une et autre part conclues, les stipulations mieux arrêtées, je le vous dirai, travailloit le sénateur, mais vous entendez. «< Ha! monsieur, répondit la bonne personne, à votre femme, << mananda j'aimerois mieux, hoon! Eh bien donc, lui dit-il « en l'oreille, encore qu'ils fussent seuls, l'on a vu cette nuit une caille ayant le morion en tête et la pique aux pieds, volant « sur cette ville; aux conjectures duquel présage les augures et devinateurs sont après et fort empêchés à savoir et consulter « que c'est; et de notre part nous en attendons l'issue; mais st, et « bon bec. » Ce disant, et l'ayant baisée, se retira en son cabinet, attendant l'heure prochaine d'aller au Palais. Il ne lui eut sitôt tourné le dos, que cette diablesse, guignant et épiant s'il étoit point aux écoutes, comme ordinairement elles sont en perpé

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tuelle fièvre et soupçon, qu'elle ne s'écriât à la prochaine qu'elle rencontra M'amie, nous sommes tous perdus, on a vu cent « cailles passant armées sur la ville, qui faisoient le diantre, mais « mot. » De là elle voisina tant, caqueta tellement avec la multiplication et force que les nouvelles acquièrent de main en main, qu'en moins de rien les rues furent remplies, jusques aux oreilles des sénateurs, de plus de vingt mille cailles. De sorte que ce Romain étant au sénat, leur leva et ôta la peine où jà ils étoient, leur faisant entendre, non sans rire, le moyen promptement inventé pour avoir la raison et tromper la sapience de sa femme. Qui fut une moquerie si dignement couverte, que femme, haute à la main et rebrassée qu'elle fût, ne s'avança désormais s'enquérir des affaires communes et publiques. »

Comparez aussi l'anecdote rapportée au chapitre XXXIV du livre III de Rabelais.

FABLE VII. Le Chien qui porte à son cou le diner de son maître.

Cette fable existait, antérieurement à La Fontaine, dans l'Alsacien Walchius dans le Trésor des récréations; (Rouen, 1611); dans Jacques Régnier (Regnerii Apologi phædrii. Divione, 1643).

Une lettre de Brossette à Boileau raconte que La Fontaine a dû cette fable au savant lyonnais de Puget.

« Vous connoissez, monsieur, la fable de La Fontaine intitulée le Chien qui porte à son cou le dîner de son maître. Le sujet en est tiré d'une des lettres de M. Sorbière, qui assure que l'aventure décrite dans cette fable étoit arrivée à Londres, du temps qu'il y étoit. Avant que La Fontaine composât sa fable, M. de Puget avoit déjà mis ce sujet en vers pour faire allusion à la mauvaise administration des deniers publics dont on accusoit nos magistrats. La Fontaine étant venu à Lyon chez un riche banquier de ses amis, il y voyoit souvent M. de Puget qui lui montra la fable qu'il avoit composée. La Fontaine en approuva fort l'idée et mit ce même sujet en vers, à sa manière. Vous pouvez remarquer l'application qu'il fait, quand il dit, à la fin de sa fable:

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