FABLE XXV. LES DEUX CHIENS ET L'ANE MORT. Les vertus devroient être sœurs, Ainsi que les vices sont frères. Dès que l'un de ceux-ci s'empare de nos cœurs, A l'égard des vertus, rarement on les voit Se tenir par la main sans être dispersées. L'un est vaillant, mais prompt; l'autre est prudent, mais froid. Parmi les animaux, le chien se pique d'être Soigneux et fidèle à son maître; Mais il est sot, il est gourmand; Témoin ces deux mâtins qui, dans l'éloignement, Dit l'un de ces mâtins; voilà toujours curée. Le point est de l'avoir car le trajet est grand; Et de plus, il nous faut nager contre le vent. 1 1 1. Cette réflexion fait un contre-sens avec un des vers précédents, où l'on a vu que « le vent de plus en plus l'éloignoit de nos chiens. » Buvons toute cette eau; notre gorge altérée Provision pour la semaine. Voilà mes chiens à boire : ils perdirent l'haleine, Qu'on les vit crever à l'instant. L'homme est ainsi bâti: quand un sujet l'enflamme, L'impossibilité disparoît à son âme. Combien fait-il de vœux, combien perd-il de pas, Si je pouvois remplir mes coffres de ducats! Mais rien à l'homme ne suffit. Pour fournir aux projets que forme un seul esprit, 1. S'excédant, se ruinant. FABLE XXVI. DÉMOCRITE ET LES ABDÉRITAINS. Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire ! 1 Le maître d'Épicure en fit l'apprentissage. Ces gens étoient les fous, Démocrite, le sage. Par lettres et par ambassade, A venir rétablir la raison du malade. De Démocrites infinis. Non content de ce songe, il y joint les atomes, Enfants d'un cerveau creux, invisibles fantômes ; Et, mesurant les cieux sans bouger d'ici-bas, 1. Odi profanum vulgus et arceo. HORAT., lib. III, od. 1. Il connoît l'univers, et ne se connoît pas. Venez, divin mortel; sa folie est extrême. Le sort cause! Hippocrate arriva dans le temps Cherchoit dans l'homme et dans la bête Quel siége a la raison, soit le cœur, soit la tête. L'occupoient. Il avoit à ses pieds maint volume, Leur compliment fut court, ainsi qu'on peut penser : Il n'est pas besoin que j'étale Le récit précédent suffit Pour montrer que le peuple est juge récusable. FABLE XXVII. LE LOUP ET LE CHASSEUR. ureur d'accumuler, monstre de qui les yeux Regardent comme un point tous les bienfaits des dieux, Te combattrai-je en vain sans cesse en cet ouvrage ! Quel temps demandes-tu pour suivre mes leçons? L'homme, sourd à ma voix comme à celle du sage, Ne dira-t-il jamais : C'est assez, jouissons? Hâte-toi, mon ami, tu n'as pas tant à vivre. Je te rebats ce mot; car il vaut tout un livre : Jouis. Je le ferai. - Mais quand donc? - Dès demain. Eh! mon ami, la mort te peut prendre en chemin : Jouis dès aujourd'hui ; redoute un sort semblable A celui du chasseur et du loup de ma fable. Le premier de son arc avoit mis bas un daim. 1. Cras vives: hodie jam vivere, Postume, serum est. Non est, crede mihi, sapientis dicere, vivam. Sera nimis vita crastina: vive hodie. Ibid., I, 16. |