FABLE XXII. LE CHAT ET LE RAT. Quatre animaux divers, le chat grippe-fromage, Toutes gens d'esprit scélérat, Hantoient le tronc pourri d'un pin vieux et sauvage. Tant y furent qu'un soir à l'entour de ce pin L'homme tendit ses rets. Le chat, de grand matin, Sort pour aller chercher sa proie. Les derniers traits de l'ombre empêchent qu'il ne voie Le filet il y tombe, en danger de mourir ; : Et mon chat de crier; et le rat d'accourir : L'un plein de désespoir, et l'autre plein de joie ; Il voyoit dans les lacs son mortel ennemi. Le pauvre chat dit : Cher ami, Sont communes en mon endroit ; Que, seul entre les tiens, par amour singulière Comme tout dévot chat en use les matins. Ce réseau me retient ma vie est en tes mains ; Viens dissoudre ces nœuds. Et quelle récompense En aurai-je ? reprit le rat. Avec toi, repartit le chat. Dispose de ma griffe, et sois en assurance : Envers et contre tous je te protégerai ; Et la belette mangerai Avec l'époux de la chouette: Ils t'en veulent tous deux. Le rat dit : Idiot! Puis il s'en va vers sa retraite : La belette étoit près du trou. Le rat grimpe plus haut; il y voit le hibou. L'homme paroît en cet instant; Les nouveaux alliés prennent tous deux la fuite. Penses-tu que j'aie oublié Qu'après Dieu je te dois la vie? Et moi, reprit le rat, penses-tu que j'oublie Peut-il forcer un chat à la reconnoissance? Qu'a faite la nécessité ? FABLE XXIII. LE TORRENT ET LA RIVIÈRE. Avec grand bruit et grand fracas Un torrent tomboit des montagnes : Tout fuyoit devant lui; l'horreur suivoit ses pas; Il faisoit trembler les campagnes. Nul voyageur n'osoit passer Une barrière si puissante: Un seul vit des voleurs; et, se sentant presser, Et les mêmes voleurs le poursuivant toujours, Une rivière dont le cours, Image d'un sommeil doux, paisible, et tranquille, A couvert des voleurs, mais non de l'onde noire : Allèrent traverser, au séjour ténébreux, Les gens sans bruit sont dangereux : FABLE XXIV. L'ÉDUCATION. Laridon et César, frères dont l'origine Fortifiant en l'un cette heureuse nature, Son frère, ayant couru mainte haute aventure, 1. VAR. Édition de 1678 : L'un hantoit les forêts et l'autre la cuisine. Ce vers fut corrigé par l'auteur dans l'errata qui est à la suite de sa préface. 2. Ce mot était autrefois, dans le style noble, synonyme d'éducation. 3. Ce mot n'est ici que de deux syllabes, selon l'usage de ce temps. Desmarets, dans la préface de Clovis, se plaignait que des innovateurs, sans autorité suffisante, voulussent faire les mots, sanglier, ouvrier, bouclier, et d'autres semblables, de trois syllabes, afin de les rendre plus faciles à prononcer, «tandis, ajoutait-il, que depuis qu'on parle françois on a toujours fait ces mots de deux syllabes. » L'usage a depuis décidé en faveur de ces innovateurs dont Desmarets se plaignait. (W.) 4. La nation, la race. L'emploi de ce mot, en ce sens, est fréquent chez nos vieux poëtes. Ne fit en ses enfants dégénérer son sang. Il peupla tout de son engeance: 1 Tourne-broches par lui rendus communs en France On ne suit pas toujours ses aïeux ni son père : Oh! combien de Césars deviendront Laridons! 1. On appelle ainsi des chiens dressés à faire tourner une roue qui met en mouvement le tourne-broche. |