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FABLE XX.

JUPITER ET LES TONNERRES.

Jupiter, voyant nos fautes,
Dit un jour, du haut des airs:
Remplissons de nouveaux hôtes
Les cantons de l'univers
Habités par cette race

Qui m'importune et me lasse.
Va-t'en, Mercure, aux enfers;
Amène-moi la Furie

La plus cruelle des trois.
Race que j'ai trop chérie,
Tu périras cette fois!
Jupiter ne tarda guère

A modérer son transport.

O vous, rois, qu'il voulut faire

Arbitres de notre sort,

Laissez, entre la colère
Et l'orage qui la suit,
L'intervalle d'une nuit.

Le dieu dont l'aile est légère
Et la langue a des douceurs,
Alla voir les noires sœurs.

A Tisiphone et Mégère
Il préféra, ce dit-on,

L'impitoyable Alecton.

Ce choix la rendit si fière

Qu'elle jura par Pluton

Que toute l'engeance humaine
Seroit bientôt du domaine

Des déités de là-bas.

Jupiter n'approuva pas

Le serment de l'Euménide.
Il la renvoie; et pourtant
Il lance un foudre à l'instant
Sur certain peuple perfide.
Le tonnerre, ayant pour guide
Le père même de ceux
Qu'il menaçoit de ses feux,
Se contenta de leur crainte ;
Il n'embrasa que l'enceinte
D'un désert inhabité :
Tout père frappe à côté.
Qu'arriva-t-il? Notre engeance
Prit pied sur cette indulgence.
Tout l'Olympe s'en plaignit ;
Et l'assembleur de nuages
Jura le Styx, et promit
De former d'autres orages:
Ils seroient sûrs. On sourit :
On lui dit qu'il étoit père,
Et qu'il laissât, pour le mieux,
A quelqu'un des autres dieux
D'autres tonnerres à faire.

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1. La Fontaine, comme ses contemporains, écrit toujours Vulcan. Cette

Ce dieu remplit ses fourneaux
De deux sortes de carreaux : 1
L'un jamais ne se fourvoie;
Et c'est celui que toujours

L'Olympe en corps nous envoie :
L'autre s'écarte en son cours;

Ce n'est qu'aux monts qu'il en coûte;
Bien souvent même il se perd;

Et ce dernier en sa route

Nous vient du seul Jupiter.

orthographe, plus conforme à l'étymologie, introduirait dans ce vers une cacophonie désagréable. (W.)

1. Le carrel, ou le carreau, ou quarriau, était une flèche fort grosse, dont le fer avait la pointe triangulaire.

« Quiconque est arschier à Paris, il peut faire ars, quarriaux et fleisches de tel fust, comme il lui plaist, ou de cor, ou de pluseur pièces, ou d'une, et puet empenner les quariaus de tex pennes, comme il voudra, soit de gelines ou d'autres. » Establissement des mestiers de Paris, cité par M. Roquefort.

Les poëtes ont ensuite fait de carreaux le synonyme de foudres, et n'emploient ce mot qu'au pluriel.

FABLE XXI.

LE FAUCON ET LE CHAPON.

Une traîtresse voix bien souvent vous appelle ;
Ne vous pressez donc nullement :

Ce n'étoit pas un sot, non, non, et croyez-m'en,
Que le chien de Jean de Nivelle. 1

Un citoyen du Mans, chapon de son métier,
Étoit sommé de comparoître

Par devant les lares du maître,

Au pied d'un tribunal que nous nommons foyer.
Tous les gens lui crioient, pour déguiser la chose :
Petit, petit, petit! mais, loin de s'y fier,
Le Normand et demi laissoit les gens crier.
Serviteur, disoit-il; votre appât est grossier :
On ne m'y tient pas; et pour cause.
Cependant un faucon sur sa perche voyoit
Notre Manceau qui s'enfuyoit.

Les chapons ont en nous fort peu de confiance,
Soit instinct, soit expérience.

1. Allusion au proverbe qui dit: Il ressemble au chien de Jean de Nivelle, qui s'enfuit quand on l'appelle. La Fontaine paraît avoir ignoré l'origine de ce proverbe, qu'on raconte de la manière suivante: Jean II, duc de Montmorency, voyant que la guerre allait se rallumer entre Louis XI et le duc de Bourgogne, fit sommer à son de trompe ses deux fils, Jean de Nivelle et Louis de Fosseuse, de quitter la Flandre, où ils avaient des biens considérables, et de venir servir le roi aucun des deux ne voulut se rendre à cette sommation. Leur père irrité les traita de chiens, et les déshérita. (W.)

Celui-ci, qui ne fut qu'avec peine attrapé,
Devoit, le lendemain, être d'un grand soupé,
Fort à l'aise en un plat honneur dont la volaille
Se seroit passée aisément.

L'oiseau chasseur lui dit: Ton peu d'entendement
Me rend tout étonné. Vous n'êtes que racaille,
Gens grossiers, sans esprit, à qui l'on n'apprend rien.
Pour moi, je sais chasser et revenir au maître.
Le vois-tu pas à la fenêtre ?

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Il t'attend es-tu sourd? Je n'entends que trop bien,
Repartit le chapon : mais que me veut-il dire?
Et ce beau cuisinier armé d'un grand couteau?
Reviendrois-tu pour cet appeau?

Laisse-moi fuir; cesse de rire

De l'indocilité qui me fait envoler

Lorsque d'un ton si doux on s'en vient m'appeler.
Si tu voyois mettre à la broche

Tous les jours autant de faucons
Que j'y vois mettre de chapons,

Tu ne me ferois pas un semblable reproche.

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