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Il est sage.

Repartit le cochon

Il est sot,

s'il savoit son affaire,

Il crieroit, comme moi, du haut de son gosier; Et cette autre personne honnète

Crieroit tout du haut de sa tête.

Ils pensent qu'on les veut seulen.ent décharger.
La chèvre de son lait, le mouton de sa laine :
Je ne sais pas s'ils ont raison;

Mais quant à moi, qui ne suis bon
Qu'à manger, ma mort est certaine.
Adieu mon toit et ma maison.

Dom pourceau raisonnoit en subtil personnage:
Mais que lui servoit-il? Quand le mal est certain,
La plainte ni la peur ne changent le destin;
Et le moins prévoyant est toujours le plus sage.

FABLE XIII.

TIRCIS ET AMARANTE.

POUR MADEMOISELLE DE SILLERY. 1

J'avois Esope quitté,

Pour être tout à Boccace;

Mais une divinité

Veut revoir sur le Parnasse

Des fables de ma façon.
Or, d'aller lui dire, Non,
Sans quelque valable excuse,
Ce n'est pas comme on en use
Avec des divinités,

Surtout quand ce sont de celles
Que la qualité de belles

Fait reines des volontés.

Car, afin que l'on le sache,

1. La Fontaine était, ainsi que son ami Maucroix, fort lié avec les Bruslart de Sillery, et on trouve encore dans ses œuvres diverses une épître adressée à un chevalier de Sillery, probablement frère ou parent de celle à qui cette fable est dédiée. Gabrielle-Françoise Bruslart de Sillery, à qui ces vers sont adressés, était la troisième fille de Louis Bruslart de Sillery et de Marie-Catherine de La Rochefoucauld. Elle était la nièce, par conséquent, de l'auteur des Maximes.

Cette fable ou plutôt cette lettre en vers intitulée Tircis et Amarante est, dans le manuscrit autographe, datée du 11 décembre 1674. Six mois après, le 23 mai 1675, Mlle de Sillery, âgée de vingt-six ans, épousa Louis de Tibergeau, marquis de La Motte-au-Maine. Mme de Tibergeau mourut à Paris, le 27 juin 1732.

C'est Sillery qui s'attache
A vouloir que, de nouveau,
Sire loup, sire corbeau,
Chez moi se parlent en rime.
Qui dit Sillery dit tout :
Peu de gens en leur estime
Lui refusent le haut bout;
Comment le pourroit-on faire?

Pour venir à notre affaire,
Mes contes, à son avis,
Sont obscurs les beaux esprits
N'entendent pas toute chose.
Faisons donc quelques récits

Qu'elle déchiffre sans glose:

Amenons des bergers; et puis nous rimerons
Ce que disent entre eux les loups et les moutons.

Tircis disoit un jour à la jeune Amarante :
Ah! si vous connoissiez comme moi certain mal
Qui nous plaît et qui nous enchante,
Il n'est bien sous le ciel qui vous parût égal!
Souffrez qu'on vous le communique;
Croyez-moi, n'ayez point de peur :

Voudrois-je vous tromper, vous, pour qui je me pique
Des plus doux sentiments que puisse avoir un cœur?
Amarante aussitôt réplique :

Comment l'appelez-vous ce mal? quel est son nom?
-L'amour. Ce mot est beau! dites-moi quelques marques
A quoi je le pourrai connoître que sent-on?

-

Des peines près de qui le plaisir des monarques Est ennuyeux et fade on s'oublie, on se plaît

Toute seule en une forêt.

Se mire-t-on près d'un rivage,

Ce n'est pas soi qu'on voit; on ne voit qu'une image Qui sans cesse revient, et qui suit en tous lieux :

Pour tout le reste on est sans yeux.

Il est un berger du village

Dont l'abord, dont la voix, dont le nom fait rougir:
On soupire à son souvenir;

On ne sait pas pourquoi, cependant on soupire;
On a peur de le voir, encor qu'on le désire.
Amarante dit à l'instant :

Oh! oh! c'est là ce mal que vous me prêchez tant?
Il ne m'est pas nouveau je pense le connoître.
Tircis à son but croyoit être,

Quand la belle ajouta: Voilà tout justement
Ce que je sens pour Clidamant.

L'autre pensa mourir de dépit et de honte.

Il est force gens comme lui,

Qui prétendent n'agir que pour leur propre compte, Et qui font le marché d'autrui.

FABLE XIV.

LES OBSÈQUES DE LA LIONNE.

La femme du lion mourut;

Aussitôt chacun accourut

Pour s'acquitter envers le prince De certains compliments de consolation, Qui sont surcroît d'affliction.

Il fit avertir sa province

Que les obsèques se feroient

Un tel jour, en tel lieu; ses prevôts y seroient
Pour régler la cérémonie,

Et pour placer la compagnie.
Jugez si chacun s'y trouva.

Le prince aux cris s'abandonna,

Et tout son antre en résonna :

Les lions n'ont point d'autre temple.
On entendit, à son exemple,

Rugir en leur patois messieurs les courtisans.

Je définis la cour, un pays où les gens,
Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents,

Sont ce qu'il plaît au prince, ou, s'ils ne peuvent l'être,
Tâchent au moins de le paroître. 1

1. Édition de 1678: Parétre. La Fontaine a écrit ainsi ce mot pour rimer, aux yeux comme à l'oreille, avec le vers précédent, et par une licence commune aux poëtes de son temps.

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