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Ceste orde vie demenée,

Si regnassent plus longuement,
Crestienté certenement

S'en fust partout envenimée.

Ces courts passages indiquent l'esprit de ce poëme et suffisent pour le rattacher à la croisade séculière et monarchique que nous avons signalée.

Le personnage de Renart reparaît encore quelques années après Renart le Nouvel. On ne s'en lassait point. Un Champenois dont on ignore le nom termina, en 1322, un poëme démesurément long et très-confus sous le titre de Renart le Contrefait, c'est-à-dire composé d'une autre manière que les précédents. Toutefois les mêmes personnages y figurent et on y retrouve plusieurs aventures déjà racontées. L'auteur ne veut pas qu'on se méprenne sur son dessein le renard qu'il a en vue n'est pas le quadrupède à peau rousse et à longue queue, mais bien le bipède

Qui a deux mains,

Dont il sont en cest siècle mains,
Qui ont la chappe Faus-Semblant
Vestue, et pour ce vont emblant
Et les honeurs et les chastels.

Le poëme sera donc encore symbolique et satirique; mais Renart a fait des progrès : il a beaucoup étudié, il est devenu savant et il fera étalage de sa science, citant à tout propos Virgile, Ovide, Cicéron, Perse, Platon, et bien d'autres encore; de plus, il se fera professeur d'histoire, et prenant le monde à sa naissance, il s'étendra sur les exploits d'Alexandre, les conquêtes des Romains, et la mission de Mahomet qui devient, grâce à lui, un cardinal, apostat pour avoir vainement prétendu à la tiare. On voit que, sous prétexte d'histoire, il débitera bien des fables. Nous n'insistons pas, mais nous devions au moins indiquer cette dernière apparition et cette métamorphose pédantesque d'un des héros favoris du moyen âge.

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Décadence de la féodalité. Crise sociale. - Guerre de cent ans.

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Le chroniqueur Jean Froissart.

Quelques passages de ses mémoires.

Son caractère et son talent.
Eustache Deschamps, poëte.

Citations. Olivier Basselin. - Vaux-de-Vire.

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Un siècle commencé sous de pareils auspices ne promettait ni la prospérité nationale ni la paisible 'culture des esprits. Évidemment la féodalité entrait en dissolution, et cependant il lui restait trop de force pour céder sans combat; évidemment encore la royauté, qui tendait au pouvoir absolu, n'était pas encore en mesure de le saisir. On peut donc à ce moment pressentir de terribles agitations et s'écrier, comme le poëte, bella, horrida bella! Le moyen âge, même dans sa période la plus brillante, au 12o et au 13° siècle, était resté bien en deçà de l'idéal que lui proposait la foi religieuse, l'unité à laquelle il tendait ne pouvant se réaliser que par la dépendance complète du pouvoir temporel et par la pratique universelle et sincère des préceptes de la morale évangélique. La suprématie incontestée du saint-siége aurait amené l'établissement d'une théocratie où les peuples auraient formé comme autant de familles paternellement administrées par des chefs séculiers, fils dociles de l'Église, soumise elle-même à l'autorité d'un chef unique, représentant visible et vicaire de Dieu sur la terre. La sainteté au sommet, la discipline et le dévouement à tous les degrés de la pyramide, telles étaient les conditions de solidité pour l'édifice qui se construisait : c'est assez dire qu'on n'en devait connaître que le plan et l'ébauche et qu'il ne s'achèverait jamais. Les passions humaines, que rien ne peut réduire, et avec lesquelles il faut bien compter, portèrent l'indiscipline où la soumission était nécessaire. La royauté tendait à s'émanciper et à rattacher directement son autorité à Dieu même; les vassaux, quand la force leur venait en main, essayaient de s'affranchir en brisant le lien féo

dal, et d'être rois de fait dans leurs fiefs; les faibles, imparfaitement protégés par ceux qui devaient les défendre, tenus dans l'ignorance par ceux qui avaient charge de les instruire, frémissaient sous l'oppression et n'obéissaient pas toujours. Dès lors le droit divin des rois, la personnalité des nations, l'extinction des grands vassaux, l'allégement du joug qui pesait sur les masses, étaient nécessaires à la fondation d'un ordre nouveau. Il ne faudra pas moins de trois siècles pour arriver au but.

La crise qui devait aboutir à l'indépendance de la royauté et à l'unité nationale ne pouvait être ni de courte durée ni de médiocre labeur; mais l'épreuve fut plus longue et plus terrible que ne l'exigeait la tâche qu'il fallait accomplir. On peut dire que la France joua de malheur; car le principe qui devait avec le temps surmonter les obstacles produisit à peu d'intervalle les deux vices dont il recèle le germe, qui peuvent corrompre la vertu de l'hérédité du pouvoir, je veux dire le doute sur le droit et l'incapacité dans le droit. L'évidence du droit manqua à l'avénement de Philippe de Valois, et de là vinrent les prétentions de l'Angleterre; l'aptitude de celui qui avait le droit manqua pendant la minorité et pendant la démence de Charles VI, et par là les grands vassaux purent reprendre leurs avantages. Aussi jamais peuple n'eut à souffrir aussi longtemps des maux aussi cruels. Crécy, Poitiers, Azincourt, Bourguignons, Armagnacs, la Jacquerie, noms qu'on ose à peine écrire, tant ils rappellent de désastres et de forfaits, et pour couronner le malheur par l'infamie, le bûcher de Jeanne d'Arc! voilà les sinistres trophées de cette lamentable époque. Cependant ces temps néfastes ne seront pas complétement stériles pour les lettres: ils nous donneront au moins un poëte noblement touché des misères du temps, et un chroniqueur qu'elles n'atteindront pas, qui remarquera à peine la peste noire et le massacre des Jacques, qui ne verra guère à Crécy et à Poitiers que les incidents d'une joute héroïque, dont l'oreille avide recueillera les bruits les plus mensongers, et dont les yeux s'arrêteront de préférence

devant les passes d'armes, les fêtes galantes, les brillantes armures de la chevalerie, dont il admire et colore les dernières et malencontreuses prouesses. D'ailleurs, dans cet orage il y aura, comme une éclaircie, le règne de Charles V, pendant lequel de nobles esprits, formés à l'école des anciens, feront quelques années plus tard, au retour de la tempête, entendre de généreuses paroles.

On sait que des premiers désastres de la guerre contre les Anglais faillit naître pour la France un gouvernement libre, où les états généraux annuellement convoqués auraient limité par le vote des subsides et la détermination de leur emploi le pouvoir de la royauté. En effet, l'ordonnance de 1355, grande charte de notre roi Jean, reconnaît tous les droits populaires compatibles avec l'existence de la monarchie. Nous n'avons pas à entrer ici dans le détail des actes et des délibérations de cette assemblée politique, orageuse comme la convention, esclave d'abord, et bientôt victime des passions populaires qu'elle avait soulevées. Elle eut ses orateurs dans Étienne Marcel, prévôt des marchands, et dans l'évêque de Laon, Robert Lecoq, dont le malheur des temps a fait des factieux devant le tribunal de l'histoire. Parmi ces orages intérieurs et ces agitations de la place publique commence à se produire l'éloquence des hommes d'État et des tribuns. Les chroniques attestent sa puissance par les effets qu'elle produit, et même nous pouvons en recueillir quelques vestiges dans le texte des remontrances adressées au roi Jean au nom de l'assemblée, quelques mois avant la bataille de Poitiers : « Il est clair et notoire que de tels officiers ont conseillé le roi par adulations, malice, fictions et simulations, et n'ont eu leur esgard en rien à la grandeur de Dieu, à l'honneur du Roi, au profit du Royaume ni à la grand misère du pueple, mais ont eu leur regard et pensée seulement à leur profit singulier, à grands possessions et richesses, et prenant grands dons du Roi et se faire donner grands dignités, de avancer leurs amis et dire au Roi peu de verité et de la misère de son pueple. Car il est vraisemblable que si les grands misères,

Histoire littéraire.

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pauretés et douleurs du pueple, les grands injustices qui estoient et sont faictes, et le grand défaut des officiers qui estoient mis par le Royaume et les très-grands périls en quoi le Roi et le Royaume estoient et sont en doute de venir par ses ignorances, négligences et défauts dessus enoncés eussent été bien et duement dits et exposés au Roi par lesdits officiers, comme ils estoient tenus et que le Roi s'en attendait à eux, les trois Etats tiennent fermement que le Roi y eust mis tel remède que le Royaume ni son pueple ne fussent pas ainsi désolés, mais il est tout certain et tout sûr que les gouverneurs et les principaux ne fesoient que passer temps, dissimuler et vendre à leur profit singulier et de leurs amis, et tel qui a plus haute dignité pensoit transporter hors du Royaume ses grands richesses, et laisser le Roi et le Royaume en tel estat comme il pourroit estre, et de ces racines sont venus maints grands maus au gouvernement du Royaume et sont encore à venir, si bon et brief remède n'y est mis. »>

Ces griefs et d'autres semblables fournissaient de matière les doléances et les invectives qui aboutirent au bouleversement de la France. Marcel, qui s'était annoncé comme un grand citoyen, irrité par les obstacles, fut entraîné par une pente fatale de la violence à la trahison; les paysans, exaspérés par la misère, avilis par le servage, aveuglés par l'ignorance, s'étaient mis de la partie : voulant être libres avant d'être hommes, ils s'étaient rués comme des bêtes fauves contre leurs seigneurs, qui les abattirent. Ce ne fut pas une guerre, mais une chasse. L'impression de terreur laissée par ces effroyables convulsions des communes et des campagnes donna à la sagesse cauteleuse et à l'ambition prudente de Charles V les moyens de réparer les pertes de la royauté et les ruines du royaume. Le tiers état, qui avait trop entrepris, se laissa, sans mot dire, dépouiller de sa part de souveraineté, trop heureux lorsqu'il parvenait à maintenir les priviléges des communes. Ainsi les menaces et le danger revinrent du côté des grands, qui déchirèrent l'autorité par la conflit de leurs ambitions, qui dissipèrent fol

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