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breux alors de la société polie, avait introduit l'habitude de ces narrations piquantes dans lesquelles l'imagination égayée brode ses capricieux ornements sur un fond léger de vérité en conséquence, le cardinal de Retz fera des maximes, des portraits et des contes, et il en ornera ses récits. Procédons par ordre et prenons d'abord quelques maximes: «< la faiblesse ne plie jamais à propos; les gens irrésolus prennent toujours avec facilité et même avec joie toutes les ouvertures qui les mènent à deux chemins, et qui par conséquent ne les pressent pas d'opter; -on a plus de peine dans les partis à vivre avec ceux qui y sont qu'à agir contre ceux qui y sont opposés ; il y a des espèces de frayeurs qui ne se dissipent que par des frayeurs d'un plus haut degré. » Il serait facile de multiplier les exemples de ce genre; mais il serait moins aisé, n'étant pas averti, de décider si des pensées ainsi frappées sont de La Rochefoucauld ou du cardinal de Retz, tant ces deux ennemis poli ́tiques, au temps de la seconde Fronde, ont, en fait de style, un air de famille.

Le cardinal de Retz est incomparable dans ses portraits qui sont moins des figures que des caractères; mais ces caractères sont si bien tracés qu'on imagine les visages par induction. Je ne sais pas si jamais la finesse malicieuse a été portée aussi loin, avec une touche aussi ferme et aussi délicate que dans cette esquisse de la sœur du grand Condé : << Madame de Longueville a naturellement bien du fond d'esprit, mais elle a encore plus le fin et le tour. Sa capacité, qui n'a pas été aidée par sa paresse, n'est pas allée jusqu'aux affaires dans lesquelles la haine contre monsieur le Prince l'a portée, et dans lesquelles la galanterie l'a maintenue. Elle avait une langueur dans les manières qui touchait plus que le brillant de celles qui étaient plus belles: elle en avait une même dans l'esprit qui avait ses charmes, parce qu'elle avait des réveils lumineux et surprenants. Elle eût eu peu de défauts, si la galanterie ne lui en eût donné beaucoup. Comme sa passion l'obligea à ne mettre sa politique qu'en second dans sa conduite, d'héroïne d'un grand

parti elle en devint l'aventurière. La grâce a rétabli ce que le monde ne lui pouvait rendre. » Ce dernier trait, qui rappelle la conversion de madame de Longueville, régénérée par la grâce d'en haut et transformée en néophyte fervente et patronne dévouée de Port-Royal, est délicieusement cruel. La cruauté va plus loin et rien ne la déguise dans le coup de pinceau qui achève le portrait de madame de Montbazon : « Je n'ai jamais vu personne qui eût conservé dans le vice aussi peu de respect pour la vertu. » Il y avait imprudence, on le voit, à poser devant Paul de Gondi quand on n'était pas de ses amis. Mal en est advenu à ce Mazarin qu'il poursuivait encore du fond de son exil, ainsi parle Bossuet, «< de ses tristes et intrépides regards. »

Le plus piquant des récits anecdotiques semés dans les volumes du cardinal est sans comparaison celui de l'apparition de fantômes noirs, qui se trouvèrent en fin de compte des moines augustins. L'art d'exciter l'intérêt et de le satisfaire par une surprise y est porté à la perfection. Nous y surprenons aussi une part d'imaginative un peu forte, puisqu'il résulte du rapprochement de ce récit avec un passage de Tallemant que le narrateur y introduit deux personnages étrangers, le vicomte de Turenne et lui-même. Mais tout conteur, pour être mieux écouté, doit dire : « J'étais là, telle chose m'advint. » Retz n'y manque pas, et son récit est si naturel et si attachant que nous en serions encore à l'en croire sur parole, sans le contrôle qui lui donne un démenti authentique. Tous ces divers mérites d'écrivain original, de penseur profond, de peintre au ferme dessin, au coloris vif et net, font des Mémoires du cardinal de Retz, un des modèles du genre, bien supérieur aux confidences de La Rochefoucauld, de la duchesse de Nemours, de Mademoiselle, fille de Gaston, et de madame de Motteville, quoique ces ingénieux chroniqueurs de la Fronde soient encore de rares esprits, dignes de ne pas être oubliés, puisqu'on n'a pas cessé d'interroger leur témoignage et que leurs écrits sur cette curieuse époque de notre histoire se font toujours lire avec intérêt.

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Importance de son rôle. - Satires.

Boileau.
Art poétique. -
Poëtes dont il n'a pas goûté le mérite. - Brébeuf. — Quinault.
Epitres. Le Lutrin.- Racine. - Ses tragédies. — Force, souplesse
de son génie propre à tous les genres.

Louis XIV avait inspiré le génie de Molière et discrètement encouragé ses hardiesses; il avait laissé faire La Fontaine, qui ne demandait pas autre chose et qui aimait mieux penser à l'écart et «< parler de loin que de se taire; » il protégea ouvertement deux autres poëtes de génie, Boileau et Racine: il les admit à sa cour; il leur confia le soin de sa renommée en les chargeant d'écrire l'histoire de son règne; il parut même les aimer, et cette tendresse du grand roi avait tant de prix à leurs yeux que l'un d'eux mourut de la pensée de l'avoir perdue. Illusion touchante et cruelle, méprise d'une âme délicate et fière qui sentit trop tard, à l'épreuve d'un mot blessant, ce que recouvrait d'orgueil et de sécheresse la familiarité royale! Lorsque ce rêve détruit fit mourir Racine, bien d'autres étaient déjà désabusés : plus d'un million de Français payaient de l'exil leur constance dans une foi qui n'était pas conforme à celle du prince, et le reste de la France écrasée d'impôts, décimée sur les champs de bataille, pouvait enfin comprendre que son chef ne cherchait plus dans l'intérêt de tous la gloire et les conquêtes. Mais n'anticipons point sur ces tristes découvertes.

Boileau et Racine, qui étaient entrés dans la vie presque en même temps que le roi, se sentirent tous deux poëtes au moment même où celui-ci, délivré d'une longue tutelle par la mort de Mazarin, saisissait d'une main ferme le gouvernement du royaume; tous deux furent échauffés de l'ardeur qui transporta toutes les âmes à l'avénement réel de Louis XIV. Racine oublia les sévères conseils qu'il avait reçus de PortRoyal et se tourna vers le théâtre; Boileau secoua la poussière du greffe paternel, et n'ayant emporté de ses études diverses

Histoire littéraire.

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que « la haine des sots livres » et l'animosité contre ceux qui les font, il s'arma contre eux « du fouet de la satire. >> Toutefois, pendant cette guerre contre les mauvais auteurs, il s'associait par instants à l'enthousiasme public par des éloges qui venant d'un satirique n'en chatouillaient que plus agréablement l'amour-propre. Louis XIV voulut bientôt connaître ce jeune homme si vif dans ses critiques contre les autres, si adroit, si discret et si sincère dans les éloges qu'il lui adressait. Boileau plut au roi, car sa rudesse n'avait rien de farouche, sa franchise rien de blessant, et d'ailleurs, en faisant la police dans la république des lettres, il avait travaillé pour sa part à l'ordre général. Colbert de son côté, malgré son faible pour Chapelain, qui avait eu, grâce à lui, la feuille des bénéfices littéraires, aima le courage et le bon sens du jeune poëte, que son âge avait préservé des avances de Fouquet; de sorte qu'en attendant la faveur, qui ne tarda guère à venir le trouver, Boileau put sans entraves donner cours à son humeur satirique.

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La campagne que Boileau avait ouverte contre les rimeurs de son temps n'était pas une boutade de colère, un simple caprice de l'esprit : c'était une entreprise utile et courageuse; elle était nécessaire pour réprimer de tristes écarts. Nous n'avons pas oublié qu'à ce moment Chapelain était encore le roi des auteurs, et que l'invasion espagnole et italienne, contenue quelque temps par Malherbe, avait de nouveau repris son cours. Le mauvais goût trouvait partout faveur dans la chaire chrétienne, où Mascaron, jeune encore, lui payait un large tribut; au théâtre, où Scarron balançait Molière, et Scuderi, Corneille; dans la poésie badine, où le burlesque introduisait la caricature; dans les romans, qui se jouaient de la passion et de l'histoire; dans l'épopée que ridiculisaient les grands avortements des Chapelain, des Scuderi, des Coras et des Saint-Sorlin. Il fallait déblayer le terrain au profit des hommes de génie et des véritables beaux esprits dont l'heure était venue; il fallait préparer le siècle à priser dignement Molière, Racine, Bossuet, madame de La Fayette. Ce fut

le rôle de Boileau; au nom du goût, il se fit le justicier et comme le grand prévôt de la littérature. Ce généreux dessein lui gagna tout d'abord l'amitié de Racine, dont il fut le guide utile et sévère; de La Fontaine, qu'il défendit contre les partisans d'un autre imitateur de l'Arioste; de Molière, qui vit en lui un puissant auxiliaire pour le redressement des travers sociaux.

Boileau, dans la satire, n'a pas la véhémente indignation de Juvénal; il n'a ni tout le sel ni toute la grâce d'Horace; il n'a pas la vigueur ni l'aimable nonchalance de Régnier : mais en retour il ne pousse pas l'hyperbole aussi loin que Juvénal, et, en peignant le vice, il ne laisse pas soupçonner qu'il soit atteint lui-même et gangrené par la corruption contre laquelle il s'indigne; il ne tend pas comme Horace à faire prévaloir les doctrines d'un épicurisme commode, plus dangereux encore par l'élégance qui le décore; il n'a pas comme Régnier cette sorte de cynisme candide qui, à la vérité, ne démoralise pas, mais qui effarouche la délicatesse de l'âme. En un mot, pour la pureté morale, il est supérieur à ses devanciers; comme poëte, une seule satire exceptée, il doit peut-être leur céder le pas.

Il est inutile et il serait fastidieux de juger ici isolément chacune des satires de Boileau. Ses premiers essais dans ce genre sont d'un disciple des anciens qui peut devenir maître à son tour, mais qui ne l'est pas encore. Déjà cependant abondent les vers heureux, ces vers qui frappent d'abord et qu'on n'oublie plus, parce qu'ils expriment nettement une pensée juste. On pouvait dès lors bien augurer non-seulement du poëte qui faisait à son début des vers si agréables à lire, si faciles à retenir, mais de la probité et du courage de celui qui se promettait d'appeler « un chat un chat et Rolet un fripon. » Toutefois, Boileau dans la satire morale, évita de nommer les personnes; pour les travers du caractère, il laisse le champ libre à l'allusion, et c'est affaire aux commentateurs de chercher alors contre qui le trait porte; quant aux vices qui déshonorent, il prit le louable parti de les stigmatiser par des peintures générales, abandonnant

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