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a pas moins le mérite, dans ces tragédies et tragi-comédies aujourd'hui oubliées, d'avoir habituellement évité l'emphase et la platitude, sans toutefois atteindre l'élégance ni se soutenir dans la noblesse, et d'avoir, dans des dialogues bien coupés et dans des récits intéressants, dérouillé et parfois assoupli la langue que parlera Corneille. Donnons encore un souvenir au Normand Vauquelin de La Fresnaye, qui a mis de la grâce et de la délicatesse dans ses poésies pastorales, de la gravité et de l'élévation dans des satires et épîtres morales à l'imitation d'Horace, et qui de plus a renouvelé l'art poétique du poëte latin, en l'honneur de l'école de Ronsard. Ce code poétique, en vers un peu languissants, a été connu de Boileau, qui n'a pas dédaigné d'en tirer quelques hémistiches.

En terminant cette rapide revue des poëtes qui forment le cortége et la suite de Ronsard, il convient de rappeler que cette école généreuse, bruyante et féconde n'a pas été inutile aux progrès de la littérature et au développement de la langue. Elle a provoqué une crise nécessaire à la croissance de la poésie. Il fallait appeler énergiquement les esprits supérieurs, encore attardés par l'habitude dans l'usage du latin qui paraissait le seul vêtement digne des pensées sérieuses, à l'emploi de la langue vulgaire qui avait besoin de leur secours pour se fortifier et s'enrichir. Cet appel fut entendu on continua de savoir le latin, on apprit mieux le grec, ce qui est une grande ressource, mais on se crut moins obligé à écrire dans ces langues anciennes, et dès lors n'étant plus qu'un exercice, un moyen et non un but, elles servirent à l'accroissement de la langue dont leur voisinage avait retardé la marche; au lieu de continuer à la retenir dans l'enfance, elles contribuèrent à l'amener à une maturité trop longtemps attendue. Si l'école de Ronsard n'a rien fondé, elle a imprimé un mouvement qui devait conduire au but, et ses efforts ont préparé des matériaux et des instruments pour le solide et majestueux édifice que des mains plus favorisées ont pu construire.

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Eloquence politique. - Michel de Lhôpital.

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Ses idées sur la religion.

Sur la conciliation des partis. - Caractère de son

de son rôle. Passages de ses discours.
-Sur la justice.
éloquence.

La réforme littéraire tentée par Ronsard se poursuivait avec éclat, lorsque les germes de discorde civile déjà développés sous François Ier et sous Henri II, tantôt par l'incurie de la royauté, tantôt par ses rigueurs, aboutirent enfin à des entreprises qui mirent les armes aux mains des partis et firent de la France, pendant plus d'un quart de siècle, un champ de bataille. L'ambition d'une famille puissante qui aspirait au trône, à l'imitation des Carlovingiens dont elle se prétendait issue, la faiblesse et les vices des derniers Valois, l'intolérance religieuse, de tous les fléaux le plus terrible, détournèrent les forces de la nation de leur véritable emploi, qui était, dans l'ordre politique, de consolider l'autorité royale, d'abaisser la maison d'Autriche, de revendiquer, soit par d'habiles négociations, soit au besoin par la guerre, les provinces qui limitaient notre territoire bien en deçà de ses frontières naturelles, surtout du côté de l'Allemagne. Tout semblait mûr pour cette œuvre de légitime conquête que Henri IV, Richelieu, Louis XIV même, n'ont pas achevée. Mais les passions humaines mettent leurs convoitises au-dessus du bien public, et lorsque aucune force supérieure n'est là pour arrêter leur déchaînement, l'intérêt général, qui leur sert souvent de prétexte, ne leur est jamais un frein. Heureusement, la pensée de justice, de probité, de dévouement, qui pouvait seule prévenir d'effroyables malheurs est personnifiée à cette époque par un homme dont tous les actes et toutes les paroles sont des enseignements de vertu et de patriotisme. C'est pour cela que nous devons nous arrêter devant

la noble figure du chancelier Michel de Lhôpital. Son éloquence simple et austère, sa science profonde, lui assignent une place dans l'hisoire des lettres; mais nous ne craindrons pas de l'élargir un peu, au risque de paraître avoir introduit, avec préméditation, un chapitre de morale parmi nos études littéraires.

Michel de Lhôpital était né sur cette terre d'Auvergne qui trempe si vigoureusement les corps et les âmes. Sa jeunesse eut en outre à lutter contre les rigueurs de l'exil, et lorsqu'il put revenir en France il y rapportait, avec la science du droit laborieusement acquise à l'école de Padoue, l'expérience du malheur et l'habitude de souffrir courageusement les épreuves de la vie. Il s'éleva lentement par les succès du barreau, les charges de la magistrature, les services diplomatiques, et pendant ces premiers progrès de sa fortune, il eut la prudence de ne donner ni gages ni ombrage aux partis. Il ne laissa paraître que la gravité de ses mœurs, la solidité de son savoir, l'étendue de ses lumières, sans trahir l'inflexibilité de son caractère ; c'est pour cela qu'il put monter pendant la faveur des Guises, sous le faible François II, à la dignité de chancelier. Les chefs de l'État pensaient pouvoir se couvrir de sa bonne renommée et se servir de sa docilité'; mais ils comptaient sans son austérité et son patriotisme. En effet, arrivé à ce poste élevé d'où la violence seule pourra l'arracher ou le découragement le bannir, il n'hésite pas un instant; il est fidèle sur ce nouveau terrain à la conduite qu'il a constamment tenue : dans toutes ses fonctions il a obéi à la voix du devoir; au faîte des honneurs, c'est encore la voix du devoir qui sera son guide; il sera l'homme du pays, de la royauté et de la loi : ainsi, il comprend que l'intérêt de la France est de prévenir la lutte des partis, d'amortir les passions impatientes, et de placer la

1. << On tenoit, dit Regnier de La Planche, qu'il n'oseroit contredire en rien au cardinal [de Lorraine]. Mais sitost qu'il eust esté establi en sa charge, il se resolut de cheminer droict en homme politique et de ne favoriser ni aux uns ni aux autres, ains de servir au roi et à sa patrie. >>

loi au-dessus de toutes les factions; il y travaillera malgré tous les obstacles. Lhôpital ne tend pas à ce but en trompant également ses adversaires, en abusant de leur crédulité, en les armant les uns contre les autres; mais il essaye de placer la royauté dans une sphère supérieure, de la mettre tout à fait hors de page et de la faire régner par la loi, qu'il fortifie en l'épurant.

Nous n'avons pas à suivre le chancelier dans tous les mouvements de la politique habile et prudente par lesquels il sut amener, après l'assemblée des notables de Fontainebleau, la réunion des états d'Orléans et le colloque de Poissy; obtenir l'édit de Saint-Germain, qui contient déjà l'édit de Nantes, dont il est séparé par trente années de troubles et de misères que la France endura pour ne s'être pas arrêtée au point marqué par la prévoyance d'un sage, et où l'on devait revenir; enfin promulguer l'ordonnance de Moulins, qui a introduit dans l'administration de l'État et de la justice de si heureuses réformes; mais nous recueillerons avec respect quelques-unes des nobles paroles de l'orateur, qui doivent rester dans la mémoire comme des leçons d'équité, de modération et de fermeté. Ainsi, dans le discours par lequel il ouvrit la session des états d'Orléans, Lhôpital pose en principe que toute sédition est mauvaise et pernicieuse, encore que la cause en soit bonne et honnête; car il vaut mieux souffrir toutes pertes et injures que d'émouvoir la guerre civile dans son pays. Les caprices des rois dans la distribution des charges et des honneurs n'autorisent pas les mécontentements, car les rois sont libres de répartir à leur gré ce qu'ils ne tiennent pas des hommes, mais de Dieu : les injustices particulières, les préférences sans fondement apparent, doivent donc être supportées patiemment. L'orateur essaye, en outre, de prouver que chacun des ordres considérés en masse n'a pas à se plaindre de sa condition. L'Église doit se contenter de sa puissance sur les âmes et des richesses dont elle a le dépôt et qu'elle est tenue d'administrer au profit des pauvres ; la noblesse serait bien injuste si elle voulait au delà

de ses priviléges; pour sa part, le peuple n'a-t-il pas la culture de la terre et le commerce, sources de considération et de richesse. Il n'y a donc dans la situation générale des classes de la société aucune cause plausible de troubles; quant à la religion, « ceux qui la veulent planter par armes, espées et pistolets, font bien contre leur profession, qui est de souffrir la force, non la faire. »

Lhôpital veut brider en même temps l'intolérance et la rébellion; c'est pour cela qu'après avoir exagéré l'indépendance du pouvoir royal, et proclamé sans restriction une maxime qu'il est généralement bon de suivre, il invoque les moyens de douceur à l'égard des hérétiques. Les paroles du parti médiateur ne pouvaient avoir d'autorité qu'à ce prix. Aussi quelle force les conseils qui suivent n'ont-ils pas dans la bouche de celui qui a proclamé le respect des lois et l'inviolabilité de la puissance royale: «< Considérons que la dissolution de notre Église a esté cause de la naissance des hérésies, et la réformation pourra estre cause de les esteindre. Nous avons ci-devant fait comme les mauvais capitaines, qui vont assaillir le fort de leurs ennemis avec toutes leurs forces, laissant despourvus et desnuez leurs logis. Il nous faut doresnavant garnir de vertus et bonnes mœurs, et puis les assaillir avec les armes de charité, prières, persuasions, paroles de Dieu, qui sont propres à tel combat. La bonne vie, comme dit le proverbe, persuade plus que l'oraison : le cousteau vaut peu contre l'esprit, si ce n'est à perdre l'âme ensemble avec le corps. Regardez comment et avec quelles armes vos prédécesseurs, anciens Pères, ont vaincu les hérétiques de leur temps. Nous devons par tous moyens essayer de retirer ceux qui sont en erreur, et ne faire comme celuy qui voyant l'homme ou beste chargée dedans la fosse, au lieu de la retirer lui donne du pied : nous les devons aider sans altendre qu'on demande secours : qui fait autrement est sans charité; c'est plus haïr les hommes que les vices. Prions Dieu incessamment pour eux et faisons tout ce que possible nous sera, tant qu'il y ait espérance de les réduire et con

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