ADRASTE. Il est vrai qu'elle et moi souvent nous nous sommes parlé des yeux; mais comment reconnoître que chacun de notre côté nous ayons comme il faut expliqué ce langage? Et que sais-je, après tout, si elle entend bien tout ce que mes regards lui disent, et si les siens me disent ce que je crois parfois entendre? Fais-les approcher. (seul.) Je veux jusqu'au jour les faire ici chanter, et voir si leur musique n'obligera point cette belle à paroître à quelque fenêtre. SCÈNE IV. ADRASTE, HALI, MUSICIENS. HALI. LES Voici. Que chanteront-ils? ADRASTE. Ce qu'ils jugeront de meilleur. HALI. Il faut qu'ils chantent un trio qu'ils me chantèrent l'autre jour. ADRASTE. Non. Ce n'est pas ce qu'il faut. HALI. Ah! monsieur, c'est du beau bécarre. ADRASTE. Que diantre veux-tu dire avec ton beau bécarre? HALI. Monsieur, je tiens pour le bécarre Vous savez que je m'y connois. Le bécarre me charme; hors du bécarre point de salut en harmonie. Écoutez un peu ce trio. ADRASTE. Non, je veux quelque chose de tendre et de passionné, quelque chose qui m'entretienne dans une douce rêverie. HALI. Je vois bien que vous êtes pour le bémol. Mais il y a moyen de nous contenter l'un et l'autre : il faut qu'ils vous chantent une certaine scène d'une petite comédie que je leur ai vu essayer. Ce sont deux bergers amoureux, tout remplis de langueur, qui, sur bémol, viennent séparément faire leurs plaintes dans un bois, puis se découvrent l'un à l'autre la cruauté de leurs maîtresses; et làdessus vient un berger joyeux avec un bécarre admirable, qui se moque de leur foiblesse. ADRASTE. J'y consens. Voyons ce que c'est. HALI. Voici tout juste un lieu propre à servir de scène; et voilà deux flambeaux pour éclairer la comédie. ADRASTE. Place-toi contre ce logis, afin qu'au moindre bruit que l'on fera dedans je fasse cacher les lumières. FRAGMENT DE COMÉDIE, chanté et accompagné par les musiciens qu'Hali a amenés. SCENE PREMIÈRE. PHILÈNE, TIRCIS. PREMIER MUSICIEN, représentant Philène.' Si du triste récit de mon inquiétude Je trouble le repos de votre solitude, Rochers, ne soyez point fâchés : Vous en serez touchés. DEUXIÈME MUSICIEN, représentant Tircis. Mes soupirs languissants et mes tristes regrets. PHILÈNE. Ah! mon cher Tircis... TIRCIS. Que je sens de peine! PHILÈNE. Que j'ai de soucis! TIRCIS. Toujours sourde à mes vœux est l'ingrate Climène. PHILÈNE. Chloris n'a point pour moi de regards adoucis. Amour, si tu ne peux les contraindre d'aimer, Pourquoi leur laisses-tu le pouvoir de charmer? SCÈNE II. PHILÈNE, TIRCIS, UN PATRE. TROISIÈME MUSICIEN, représentant un påtre. D'adorer des inhumaines! Jamais les âmes bien saines Ne se payent de rigueur; Et les faveurs sont des chaînes On voit cent belles ici Auprès de qui je m'empresse; PHILÈNE ET TIRCIS ENSEMBLE. HALI. Monsieur, je viens d'ouïr quelque bruit au dedans. ADRASTE. Qu'on se retire vite, et qu'on éteigne les flambeaux. SCÈNE V. D. PÈDRE, ADRASTE, HALI. D. PEDRE, sortant de sa maison en bonnet de nuit et en robe de chambre, avec une épée sous son bras. Il y a quelque temps que j'entends chanter à ma porte; et sans doute cela ne se fait pas pour rien. Il faut que dans l'obscurité je tâche à découvrir quelles gens ce peuvent (Don Pèdre est derrière eux, qui les écoute. ) ADRASTE. Quoi! tous nos efforts ne pourront obtenir que je parle un moment à cette aimable Grecque! et ce jaloux maudit, ce traître de Sicilien, me fermera toujours tout accès auprès d'elle! HALI. Je voudrois de bon cœur que le diable l'eût emporté, pour la fatigue qu'il nous donne, le fâcheux, le bourreau qu'il est! Ah! si nous le tenions ici, que je prendrois de |